URANIUM ENRICHI

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

L’homme qui vient du froid avait un abonnement au transsibérien, a travaillé sous Lobanovski, a eu Shevchenko comme coéquipier et était prédestiné à pratiquer un des métiers les plus dangereux du monde !

Sergiy Serebrennikov n’a que 29 ans mais possède déjà un vécu aussi long que les plaines de la Sibérie profonde où il a vu le jour. En marquant (contre Genk) avec Charleroi dès son premier match en Zèbre, le 22 janvier, il a rappelé qu’il était plutôt du genre précoce : à 16 ans, il avait déjà offert un premier enfant à sa compagne Irina…

Ce médian russe naturalisé ukrainien estime sans doute qu’il n’a plus de temps à perdre. Qu’il en a suffisamment abandonné au Club Bruges, où plusieurs blessures et un manque de confiance persistant du staff technique ont contrarié ses plans. Entre l’été 2002 et décembre 2005, il n’a joué qu’une trentaine de rencontres avec Bruges : maigre !

Contre Genk, il fut l’homme du match. Jacky Mathijssen fut élogieux ce soir-là :  » On vient de voir la différence entre un réserviste de Bruges et des gars de Charleroi qui réclament une place de titulaire « . L’ex-coéquipier d’Andriy Shevchenko (au Dynamo Kiev et en équipe ukrainienne – 5 caps) serait-il vraiment au-dessus du lot chez les Zèbres ? Un second couteau brugeois serait-il tellement plus fort qu’un titulaire carolo ?

Sergiy Serebrennikov : Je veux bien parler de Charleroi et de Bruges mais je refuse de comparer les qualités des deux noyaux. Ce n’est pas le but du jeu. J’étais à Bruges hier, je suis à Charleroi aujourd’hui, j’ignore où je jouerai la saison prochaine, quand mon prêt au Sporting aura expiré. Une chose à la fois. Je n’ai qu’une priorité pour le moment : me refaire une santé, être chaque week-end sur le terrain, prouver que j’ai le niveau. Je n’ai jamais réglé mes comptes en public et ce n’est pas maintenant que ça va commencer. C’est sur le terrain qu’il faut montrer ce qu’on a dans le ventre. Quand on parle trop, on finit par oublier de jouer.

Quels débuts rêvés avec Charleroi !

A fantastic start… Nous avons pris trois points contre un gros calibre du championnat de Belgique : c’est super.

Vos premières impressions sur votre nouveau club ?

Quand je suis arrivé ici, je n’ai vu que des sourires sur les visages : avant, pendant et après les entraînements. Comme s’il n’y avait aucun stress dans ce club.

Il y en a beaucoup plus à Bruges ?

Je veux bien parler des deux clubs mais je ne ferai pas de comparaisons. (Il rigole).

Ah pardon, j’avais oublié… Vous ne pouviez plus être heureux à Bruges ?

Dans n’importe quel club, celui qui ne joue pas régulièrement est malheureux. L’ambiance me plaisait mais je suis venu en Belgique pour disputer des matches, pas simplement pour bien me plaire dans un noyau.

 » Après 10 ans dans une mine d’uranium, on est déclassé  »

En 2003, vous aviez déclaré dans une interview que vous étiez triste en Belgique et que vous vouliez retourner en Russie.

Oui, j’avais eu un fameux coup de blues. J’étais blessé, ma famille ne se plaisait pas ici, je ne voyais pas d’autre solution. Mais nous nous sommes complètement adaptés entre-temps.

Vous êtes bien originaire de la Sibérie profonde ?

Oui. J’ai appris à jouer sous des températures de -30, jusqu’à -35 degrés – NDLA : températures max. et min. dans sa région natale d’Ulan-Ude le jour où a lieu cet entretien : -35° et -43° ! Heureusement qu’il y a un réchauffement du climat : ces quelques degrés en plus font du bien aux Sibériens. (Il se marre).

La Sibérie est-elle vraiment aussi hostile qu’on le dit en Occident ?

J’avoue que j’ai grandi dans un environnement assez spécial. Dans une espèce de ville fantôme, Krasnokamensk, à une soixantaine de kilomètres de la frontière chinoise. C’est l’un des principaux gisements d’uranium de Sibérie. Mon père travaillait sous terre, et il n’y avait que les mineurs et leurs familles qui pouvaient pénétrer dans la ville, pour des raisons de sécurité. C’était encore la guerre froide et l’uranium était une richesse inestimable. Un bien terriblement précieux dans le contexte politique de l’époque, dans la recherche nucléaire.

Vous alliez faire vos courses en Chine comme les Wallons vont faire leur shopping en France…

Quand j’étais gosse, c’était impossible. Le communisme, c’était quelque chose. On ne passait pas comme ça la frontière. Mais aujourd’hui, les gens de ma région la traversent régulièrement, oui. Il suffit d’un visa en règle et ils peuvent voyager librement d’un pays à l’autre.

Quels souvenirs forts gardez-vous du communisme ?

J’ai des images marquantes des célébrations officielles : le 1er mai et le 7 novembre. Je conserve aussi un souvenir fort de la discipline qu’on nous imposait dès notre plus jeune âge : même pour les gosses, tout était organisé, planifié. Dès 7 ans, c’était l’uniforme avec la cravate rouge pour aller à l’école. Nous étions habillés comme des scouts du matin au soir. (Il rigole).

Extraire l’uranium, c’est encore plus dangereux qu’extraire le charbon, non ?

Oui, les dégâts peuvent être terribles. Mon père souffre aujourd’hui d’un cancer du poumon. Je ne suis pas sûr que ça provienne de son métier, mais c’est fort possible. Après 10 ans dans la mine, on est mis à la retraite, déclassé ! Ça veut tout dire. Pourtant, j’aurais pu me retrouver sous terre moi aussi. It’s the biggest job there. Les gens de cette ville sont pour ainsi dire prédestinés à descendre dans la mine, une fois qu’ils atteignent l’âge de travailler.

Transsibérien

Vous avez préféré vous exiler à Moscou. A 5.000 km de chez vous ! A 15 ans !

Je voulais faire carrière dans le sport et je me suis inscrit dans un sport-études moscovite. Je rentrais voir mes parents deux fois par an, à bord du transsibérien : un voyage de quatre jours à travers la Russie. J’en garde de bons souvenirs, d’ailleurs. Il y avait toujours une ambiance très spéciale, très sympathique dans ce train. A la fin du voyage, tous les passagers se connaissaient. Passer une centaine d’heures ensemble, dans un espace vital aussi restreint, ça crée forcément des liens. Je suis resté à Moscou jusqu’à l’âge de 22 ans. J’ai d’abord disputé un championnat interscolaire, puis j’ai joué en divisions inférieures. A 22 ans, j’avais mon diplôme de professeur d’éducation physique et j’ai signé à Shinnik Yaroslavl, mon premier club de D1, à 300 km de Moscou.

Puis, ce fut le grand Dynamo Kiev !

Oui, après seulement un an en D1 russe, je me suis retrouvé en championnat d’Ukraine. Le vrai début de la grande aventure.

Le début, aussi, de la collaboration avec le grand Valeri Lobanovski !

A great coach ! Le charisme, l’autorité, les compétences : il ne lui manquait rien.

On l’a souvent décrit comme un dictateur.

Faux ! On n’avait pas intérêt à lui manquer de respect ou à manquer de discipline, mais de là à le dépeindre comme un dictateur, non. On pouvait provoquer une discussion avec lui. Ce n’était ni un dictateur, ni un robot.

Vous l’avez vu rigoler ? Nous, jamais !

Contrairement à ce que le grand public pense, il avait de l’humour. Un humour très fin, un peu comme celui des Anglais. Les jeux de mots subtils, c’était sa spécialité.

Comment travaillait-il ?

Il nous faisait énormément courir. Il appréciait aussi les mises au vert : les deux nuits qui précédaient chaque match, c’était la quarantaine ! Parfois, nous étions aussi retenus au complexe d’entraînement pour la nuit suivant le match. Et il était extrêmement méthodique. Dès la fin d’une rencontre, il avait les données personnelles de tous les joueurs sur ordinateur. Ses adjoints encodaient tout : les déplacements, les touches de balle, etc. Il nous sortait des graphiques d’une précision diabolique. Lobanovski, c’était la passion avec un grand p. Le foot l’a tué, d’ailleurs : il est mort d’un arrêt cardiaque en plein match. Son cercueil a été exposé pendant plusieurs jours à Kiev et 200.000 personnes ont défilé. C’était une légende dans toute l’Ukraine et la Russie. Aujourd’hui, le stade du Dynamo Kiev porte d’ailleurs son nom.

La légende raconte aussi qu’il ne crachait pas sur un verre…

Je ne l’ai jamais vu boire.

Et vous ne l’avez jamais vu saoul ?

(Il rigole). Ça, je ne l’ai pas dit.

 » J’étais toujours réserviste : une raison de plus pour quitter Bruges  »

Est-ce avec lui que vous avez débuté en équipe nationale ukrainienne ?

Oui, il cumulait les deux fonctions : Kiev et sélection. Et le président du Dynamo était aussi président de la Fédération. L’équipe d’Ukraine, c’était le Dynamo Kiev, avec souvent 8 ou 9 joueurs de ce club.

Mais vous n’étiez pas ukrainien au départ…

Dès que je suis arrivé à Kiev, le président en question m’a proposé de me naturaliser. J’avais été appelé une fois pour un stage en équipe russe, mais après le départ de l’entraîneur qui m’avait convoqué, je n’ai plus eu de nouvelles. Mon choix s’est donc fait assez facilement. Et je ne l’ai jamais regretté.

Toute l’Europe s’est étonnée des succès du Dynamo Kiev dans les compétitions internationales. Quel était le secret ?

Lobanovski, de l’organisation, du travail, des infrastructures qui valent celles des plus grands clubs de l’Ouest et de l’argent. Beaucoup d’argent !

Les blessures dont vous avez souffert à Bruges n’ont-elles pas un lien avec la charge de travail qui vous était imposée à Kiev ?

C’est fort possible. C’était parfois très, très, très dur au Dynamo, et je pense que mon corps n’était pas prêt vu que j’avais surtout joué dans les divisions inférieures avant de signer à Kiev. Je l’ai payé ensuite. Six mois après mon arrivée à Bruges, mon ménisque a trinqué. Après cela, il y a encore eu des cartilages et plusieurs petits bobos qui m’ont empêché de tout donner pour le Club.

Je ne veux pas penser à cela. Je me concentre désormais sur Charleroi, point à la ligne.

A la fin de cette saison, il vous restera un an de contrat là-bas.

On verra. C’est en mai que je réfléchirai à mon futur.

Une de vos priorités actuelles n’est-elle pas de démontrer aux gens de Bruges qu’ils ont eu tort de ne pas croire en vous ?

C’est surtout à Jacky Mathijssen et à moi-même que je veux prouver des choses. Je n’ai plus Bruges en tête. Je n’ai aucun esprit de revanche.

Vous n’avez joué que trois matches partiels au premier tour : étiez-vous toujours blessé ?

Non. I was completely fit.

Avez-vous provoqué une discussion avec Jan Ceulemans ?

Oui. Il m’a répondu que c’était dans mon intérêt d’aller voir ailleurs.

Déçu ?

Oui, mais je l’aurais été encore plus s’il m’avait fait de fausses promesses, s’il m’avait laissé sur le banc après m’avoir dit que j’aurais ma chance. Il a été clair, c’est plus honnête comme ça.

Ce ne sont pourtant pas les blessés qui ont manqué au premier tour. On n’aurait pas pu vous trouver une petite place dans l’équipe, en pleine hécatombe ?

Ne pas jouer alors qu’il y avait autant de joueurs indisponibles, ce fut une raison de plus pour partir.

Si vous êtes capable de remplacer Sébastien Chabaud à Charleroi, vous auriez peut-être pu prendre la place de Timmy Simons à Bruges ?

(Il réfléchit un long moment). Je ne veux pas me comparer à Chabaud, à Simons ou à n’importe quel autre joueur. On ne me faisait pas confiance à Bruges. C’est le foot, c’est la vie.

 » Si Blokhine m’appelle, je pars à pied, valise à la main  »

Que vaut le noyau de Charleroi ?

Le Sporting a battu Genk puis est allé gagner à Mouscron avec une équipe complètement différente : c’est prometteur, cela montre qu’il y a de la richesse en profondeur. On doit terminer dans la première moitié du classement.

Et en Coupe ? Le plus dur a-t-il été fait en arrachant un nul blanc à St-Trond ?

It will be fifty-fifty. Nous aurons l’avantage de jouer le retour chez nous et nous avons pris un ascendant psychologique, mais tout reste à faire.

Qui sera champion ? Bruges ?

Je l’espère. N’oubliez pas que j’ai toujours un an de contrat là-bas. (Il rit). Je pense franchement que le Club a les meilleurs atouts. Anderlecht n’est pas assez bon et le Standard n’est pas assez stable.

Avez-vous déjà coché la date de Bruges-Charleroi dans votre agenda ?

Ce sera le 11 mars, je pense. Un match spécial pour moi mais je répète que je ne l’aborderai pas avec un quelconque esprit de revanche. Ou, en tout cas, j’essayerai de ne pas penser à une revanche. A quoi bon ?

Est-il encore raisonnable pour vous de rêver à la Coupe du Monde ?

Si le coach fédéral, Oleg Blokhine, m’appelle, je pars en Ukraine à pied, avec mes valises à la main !

Suffira-t-il d’être titulaire à Charleroi pour retrouver le noyau ?

Tout le staff me connaît, Blokhine m’a déjà convoqué une fois : c’est un avantage.

Comment le pays vit-il sa première qualification pour un grand tournoi ?

Les gens ont fait une fête incroyable. L’Ukraine n’est pas au Mondial par hasard. Elle avait la Grèce, le Danemark et la Turquie dans son groupe : c’était du costaud. Mais elle a terminé en tête. Avant le début des éliminatoires, Blokhine avait déclaré que l’Ukraine remporterait le classement de cette poule. Tout le monde lui avait ri au nez. Cette qualification, c’est aussi une mise au point après trois échecs dans des barrages pour l’EURO ou le Mondial, contre la Croatie, la Slovénie et l’Allemagne.

PIERRE DANVOYE

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire