UNE VIEILLE DAME avec un coeur tout neuf

Il y a moins d’un an, Antonio Conte quittait la Juventus. Il pensait qu’après trois titres, il n’avait plus rien à gagner. C’était une erreur puisque, ce samedi, son successeur, Massimiliano Allegri pourrait remporter la Ligue des Champions.

Un stylo. Un beau stylo, certes. Un Cartier. Frappé du logo de Milan. Mais un stylo tout de même. Après dix années passés à l’AC Milan, Andrea Pirlo s’attendait à un plus beau cadeau d’adieu lorsqu’il quitta le bureau d’Adriano Galliani, vice-président du club lombard. Comme l’ambiance est un peu froide, celui-ci fait un peu d’humour pour détendre l’atmosphère.  » Ne l’utilise pas pour signer à la Juventus, hein.  »

Pirlo a l’impression d’avoir fait le tour de la question et il sent qu’à Milan, on pense la même chose. Surtout quand on lui dit :  » L’entraîneur a l’intention de te confier une nouvelle fonction. Tu n’évolueras plus comme médian défensif mais sur le flanc gauche.  » Ou encore :  » A partir de cette année, notre politique change : les joueurs de plus de 30 ans ne signent plus que pour une saison à la fois.  »

Pirlo décline poliment :  » Merci mais je discute d’un contrat de trois ans avec la Juventus.  »

Milan a beau penser que les plus belles années de Pirlo sont derrière lui, d’autres clubs ne sont pas de cet avis. Franco Baldini, alors directeur sportif de l’AS Rome, lui téléphone. Pirlo trouve que Rome est une ville fantastique et que la Roma est un beau club mais il ne connaît pas les repreneurs américains.

 » Pff, tu ne veux jamais venir dans le club où je travaille « , soupire Baldini. Quelques années plus tôt, Fabio Capello avait appelé Pirlo pour lui demander de jouer au Real Madrid, où il était associé à Baldini. Pirlo en avait envie mais l’AC Milan n’avait pas marqué son accord. Le même scénario s’était produit en août 2010 lorsque, après un match à Barcelone, Pirlo avait longuement discuté avec Pep Guardiola qui, à l’époque, était en conflit avec Zlatan Ibrahimovic.

Pirlo était chaud : en mise au vert, lorsqu’il jouait à la PlayStation avec son copain Alessandro Nesta, il choisissait toujours le Barcelone de Guardiola. Mais Milan avait refusé de négocier avec le Barça et le transfert n’avait pas eu lieu.

Moins d’un an plus tard, pourtant, Galliani lui disait qu’il pouvait partir. Un jour, Pirlo avait eu son ancien équipier Leonardo en ligne. Celui-ci entraînait alors l’Inter, l’autre club de la ville, dont Pirlo avait déjà porté le maillot et dont il était supporter lorsqu’il était petit. Mais l’Inter avait manqué de vitesse de réaction. Et lorsque Leonardo lui a dit que tout était prêt pour faire de lui la plaque tournante de l’équipe, il lui avait répondu.  » Merci, Léo, mais j’ai signé hier soir à la Juventus…  »

Le travail, toujours le travail

Un an plus tôt, un Agnelli était revenu à la Juventus. Andrea Agnelli n’avait que 34 ans mais il était bien décidé à faire aussi bien que son père Umberto, qui avait pris la présidence 46 ans avant lui, ou que son aïeul Edoardo, qui avait pris les rênes le 23 juillet 1923, à une époque où la Juventus ne comptait encore qu’un seul titre (1905).

Après le scandale du calciopoli, en 2006, la Juventus avait été rétrogradée en D2, les vedettes étaient parties et, depuis son retour parmi l’élite, le club éprouvait des difficultés à retrouver sa place.

Agnelli avait d’abord annoncé une augmentation de capital de 120 millions d’euros afin d’assainir la situation financière (voir encadré). Dans la foulée, il avait nommé un nouveau directeur, Giuseppe Marotta, ex-directeur sportif de la Sampdoria. La première saison n’avait pas été bonne : comme l’année précédente, sous la conduite de Luigi Delneri, la Juventus avait terminé septième. Mais Agnelli avait conservé Marotta et avait choisi lui-même le nouvel entraîneur : Conte.

Le nouveau président dirigeait lui-même : fini de déléguer ! Dans sa biographie, Andrea Pirlo décrit Andrea Agnelli comme :  » Le travail, toujours le travail…  » Dans l’ouvrage, Pirlo raconte également sa première rencontre avec le nouvel entraîneur, Antonio Conte.  » Il nous a dit qu’il n’était pas venu pour terminer septième, qu’il était temps d’arrêter de faire n’importe quoi. Nous n’avions qu’une chose à faire : l’écouter et le suivre : faire preuve d’autant de passion que lui.  »

 » Dès le premier jour, nous avons compris que nous serions champions « , ajoute Pirlo, qui dit que Conte était obsédé par la perfection.  » Nous répétions les mêmes exercices jusqu’à ce qu’il n’y ait pas d’erreur. En match, il ne supportait pas le moindre relâchement mais il était convaincant. Je m’attendais à ce qu’il soit bon mais pas aussi bon.  »

L’arrivée de Conte et du médian aux passes millimétrées contribuaient à refaire de la Juventus ce qu’elle était avant 2006 : une équipe conquérante.

L’erreur de Fergie

De prime abord, Pirlo ne respire pas la joie de vivre. Il parle peu aux journalistes mais fait parler ses pieds. Et dans le vestiaire, il sait se faire entendre. Curieusement, il est aussi le premier à faire des blagues. Ce n’est pas vraiment un leader mais on l’écoute, tout comme on écoute GianluigiBuffon (guéri de ses problèmes de dos, il a retrouvé son niveau), Giorgio Chiellini, Alessandro Del Piero ou Pavel Nedved, ceux qui sont restés fidèles au club malgré le scandale et la relégation.

Un an après l’arrivée de Pirlo, la Juventus découvre un nouveau pion important. En août, à la mi-temps d’un match amical contre Benfica, Conte fait entrer un jeune médian français arrivé gratuitement de Manchester United. Paul Pogba n’a que 18 ans et il estime que Sir Alex Ferguson aurait dû lui donner une chance. L’Ecossais est furieux et pense que Pogba lui manque de respect. En 20 minutes, Conte et les journalistes présents au match comprennent que Ferguson vient de commettre une des plus grandes erreurs de sa carrière.

Ensemble, Pogba, Pirlo et Andrea Barzagli(un défenseur champion du monde en 2006, ndlr) n’ont coûté que 300.000 euros.

Mercredi dernier, à Turin, Massimiliano Allegri reçoit le prix Enzo Bearzot, qui récompense l’entraîneur de l’année en Italie. Les 200 invités de la branche turinoise de l’association italienne des entraîneurs (AIAC) sont pendus à ses lèvres. Sujet de son discours : le rôle des entraîneurs en dehors du terrain.

Champion, vainqueur de la Coupe et finaliste de la Ligue des Champions, Allegri parle de l’alimentation ( » On ne peut pas proposer chaque jour le même menu à 30 joueurs « ) et, surtout, de l’aspect mental.  » Sur les plans technique et tactique, tout a été inventé en football « , dit-il.

 » Mais en sachant parler aux joueurs, on peut encore faire la différence. Il n’existe pas de formule-miracle car chaque joueur est différent. A Milan, j’ai commis l’erreur de ne pas comprendre qu’alors qu’il y avait beaucoup de champions quand je suis arrivé, ce n’était plus le cas lors de ma dernière saison. Là, j’aurais dû reprendre le leadership, comme lorsque j’ai débuté à Cagliari.  »

Le roi Midas

La veille, Tuttosport l’avait comparé au Roi Midas, qui transformait en or tout ce qu’il touchait.  » En neuf mois, il a fait augmenter la valeur marchande de la Juventus de 95 millions d’euros « , dit le journal turinois, selon lequel l’ensemble du noyau vaut à présent 385 millions.

En lisant tous ces superlatifs, Allegri doit repenser à son arrivée à Turin, en juillet 2014. A l’époque, les supporters de la Juventus ne voulaient pas en entendre parler.

La Juventus avait repris les entraînements le 15 juillet 2014. La veille, Conte avait surpris tout le monde en annonçant qu’il ne voulait pas rester. Pour lui, la Serie A était si mal gérée qu’un titre de champion national était tout ce que la Juventus pouvait envisager. Il était convaincu d’avoir tiré le maximum de son noyau. Pour faire mieux, disait-il, il lui fallait de meilleurs joueurs. Plus chers, aussi.

 » On n’entre pas dans un resto où le menu est à 100 euros quand on n’a que 10 euros en poche « , avait-il dit. Ce fut sans doute sa plus grosse erreur. Un an plus tard, la Juventus a pratiquement tout gagné et cette phrase revient souvent.

Les entraîneurs sur le marché n’étaient pas nombreux mais Beppe Marotta avait mis moins de 24 heures à lui trouver un successeur. Au téléphone, Allegri avait pensé qu’on l’appelait déjà en vue de la saison 2015-2016, le contrat de Conte arrivant alors à échéance. Mais Marotta lui avait demandé d’être sur le terrain dès le lendemain.

Allegri avait beau avoir été fan de la Juventus lorsqu’il était petit et avoir eu un poster de Michel Platini dans sa chambre à Livourne, pour les supporters de la Juventus, il était surtout l’homme qui avait offert le titre à Milan. Il s’était donc fait copieusement insulter mais n’avait pas perdu son calme. Il n’avait pas non plus fait la révolution, conservant le système de jeu à trois défenseurs tellement efficace prôné par Conte.

Un système polyvalent

Ce n’est qu’en octobre, face à l’Olympiacos, qu’il allait aligner pour la première fois quatre hommes derrière. Depuis, la Juventus passe sans difficulté du 3-5-2 de Conte au 4-2-3-1 d’Allegri, et inversement. Parfois même au cours du même match car Allegri a tout de suite compris qu’il avait à faire à des joueurs intelligents et toujours avides de victoires, même si la plupart d’entre eux ont déjà franchi le cap des trente ans.

Son point fort consiste à convaincre les joueurs que, si la Juventus gagne, c’est davantage grâce à eux que grâce à lui. Et qu’ils peuvent aussi gagner sans qu’on leur hurle constamment qu’ils doivent travailler davantage, comme Conte le faisait.

Car une chose est certaine : Conte a pressé ses hommes comme des citrons. Il n’était jamais satisfait, même après une large victoire. Les joueurs l’appréciaient mais, après trois ans, ils étaient soulagés de le voir partir.

Dans le même temps, ils appréciaient de plus en plus le nouvel entraîneur qui était non seulement plus cool mais s’adaptait à leurs qualités et ne donnait jamais d’explications aux réservistes. Ils voyaient aussi qu’il plaçait bien ses pions. En début de saison, alors que Pirlo était blessé, il l’avait remplacé par Claudio Marchisio, le seul joueur formé au club. Celui-ci s’était très bien débrouillé.

De retour, Pirlo avait immédiatement retrouvé sa place. Entre Allegri et lui, pas le moindre signe de tension. Allegri avait déclaré un jour que Milan avait effectué un choix économique en laissant partir son médian. Il avait ainsi laissé entendre qu’il n’était pour rien dans cette histoire.

Pirlo avait cependant éprouvé des difficultés à retrouver son niveau. Il restait important mais commettait plus d’erreurs qu’avant. C’est tout le paradoxe de cette saison : la Juventus n’a jamais été aussi forte alors que son meilleur joueur livre sa plus mauvaise saison. Même la blessure de Pogba n’a pas affecté le rendement de l’équipe. C’est bien la preuve que, contrairement aux dernières années, la Juventus ne dépend ni d’un ou deux joueurs, ni même d’un système de jeu.

Nainggolan bianconero ?

Ce qui surprend les fans, ce n’est pas qu’Allegri gagne, c’est que tout soit allé aussi vite. Beaucoup pensaient qu’en l’absence de quelqu’un qui crie sans cesse sur les joueurs, la Juventus serait moins concentrée mais ce n’est pas le cas.

A la une de Tuttosport, une grande photo de Radja Nainggolan, à qui la Juventus s’intéressait déjà lorsqu’il évoluait à Cagliari. Chaque jour, on annonce des arrivées et des départs. Quelques semaines plus tôt, Beppe Marotta et Ariedo Braida évoquaient l’avenir de Pogba. La Juve venait de refuser une offre de 80 millions de Barcelone qui, de toute façon, est toujours interdit de transferts jusqu’en 2015.

Un départ d’Andrea Pirlo n’est pas exclu. Il pourrait aller au FC Miami ou au Qatar. En 2011, il avait refusé une offre d’Al Sadd, qui lui proposait dix millions d’euros pour quatre ans.

Même si Pirlo s’en va, la Juventus ne paniquera pas car Claudio Marchisio le remplacera. Et même si Vidal, Perez ou Pogba devait quitter le club, les Turinois seraient au minimum champions d’Italie car la machine est bien huilée et la concurrence trop faible.

 » Quand la Juventus achète un joueur, celui-ci progresse automatiquement « , dit Maurizio Crosetti, qui suit le club pour le compte du journal La Repubblica.  » Ce maillot n’est pas lourd à porter, au contraire : il donne de la force.  »

Rendez-vous samedi prochain à Berlin.

PAR GEERT FOUTRÉ

Ensemble, Pirlo, Pogba et Barzagli n’ont coûté que 300.000 euros.

Le point fort de Allegri, c’est de convaincre les joueurs que, si la Juve gagne, c’est davantage grâce à eux que grâce à lui.

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