UNE SEMAINE PARTICULIÈRE

Un déserteur, une mutinerie et un général qui refuse de communiquer : Anderlecht a vécu une semaine turbulente, conclue par un match nul à Eupen.

LUNDI : APRÈS OKAKA, DE MAIO

RenéWeiler profite de son week-end pour découvrir la ville où il réside désormais. Samedi, le Suisse flâne au Brussels Summer Festival et accepte de poser en photo pour quelques supporters anderlechtois qu’il croise sur la Place des Palais. Après deux jours de repos relatif – Anderlecht a déjà joué le vendredi à Saint-Trond – les joueurs sont attendus à Neerpede pour le premier entraînement intensif de la semaine. En ce lundi 15 août, le centre d’entraînement est très calme : celui dont la présence n’est pas indispensable profite de ce jour férié. Mais, pour HermanVanHolsbeeck comme pour les préposés à l’entretien des terrains, un jour férié ça ne compte pas.

Avant même le début de la séance, le debriefing du match à Saint-Trond débouche sur un clash entre Weiler et SébastienDeMaio. Le Français ne montera pas sur le terrain et signe de facto son arrêt de mort à Anderlecht. Détail piquant : c’est Weiler lui-même qui avait insisté pour que De Maio vienne au Parc Astrid. StevenDefour est absent, lui aussi : le leader spirituel du Sporting se trouve déjà à Burnley, où il passe les tests médicaux.

Mais le drame le plus terrible se produira en soirée : sous les yeux de NicolasFrutos, AndyKawaya est sévèrement taclé dans un match avec les U21. Cela ne fait pas rire le clan Kawaya : pourquoi aligner un joueur avec les Espoirs alors qu’il est en passe d’être transféré ? On fait bien une exception pour DennisPraet. Mais le Louvaniste a une valeur marchande bien plus grande que Kawaya. Peu avant minuit, le diagnostic tombe : fracture du péroné, ce qui signifie une indisponibilité de deux mois. C’est le début d’une semaine mouvementée.

MARDI : WELCOME STEVEN

#WelcomeSteven. Le transfert de Defour à Burnley est officialisé. Chez les Clarets, le milieu de terrain ne gagnera pas baucoup plus d’argent qu’à Anderlecht. Le salaire moyen à Burnley tourne autour des 17.500 euros. Les joueurs les mieux payés, TomHeaton et MichaelKane, touchent 52.000 euros par semaine. Le salaire de Defour se situe sans doute entre les deux. Mais au moins, celui qui a été Diable Rouge à 48 reprises ne sera plus exposé aux jets de bière des supporters et aux décapitations fictives.

Dans le vestiaire, Praet et Tielemans ont perdu leur voisin. Deux étages plus haut, le départ de Defour alimente encore toutes les conversations. Mais, pour un homme – Weiler – c’est déjà du passé. Le Suisse reste fidèle à ses principes : on ne parle plus des absents. Defour est parti, De Maio cherche la porte de sortie, Praet flirte avec quelques clubs italiens et espagnols. StefanoOkaka, lui, est relégué dans le noyau B.

 » Qui sera le suivant ? A ce rythme, nous n’aurons bientôt plus de joueurs ! « , soupire un collaborateur du club.  » C’est un secret de Polichinelle que KaraMbodj veut, lui aussi, quitter Anderlecht. Weiler doit se méfier : ses méthodes pourraient avoir les effets d’un boomerang. Je me souviens de ce qui est arrivé à HerbertNeumann : lui aussi voulait transformer le club de l’intérieur. Il avait organisé des entraînements à 7 heures du matin, mais après 52 jours, il avait pu faire ses valises.  »

A Neerpede, les avis sont partagés : certains trouvent que Weiler exagère, d’autres estiment que le club avait besoin de cette nouvelle discipline. Van Holsbeeck fait partie de la deuxième catégorie. Mais, lorsqu’il quitte son bureau, son visage est fermé.

MERCREDI : RADIO PRAHA

Comment un Espagnol et un Egyptien, qui ne balbutient que quelques mots d’anglais, peuvent-ils communiquer ? En 2016, la réponse coule de source : grâce à une application de traduction simultanée. C’est ainsi qu’à l’aéroport de Zaventem, DiegoCapel et HassanTrezeguet discutent par smartphone interposé. Tout est bon pour tuer le temps.

Le match européen contre le Slavia Prague est éclipsé par l’affaire De Maio. Van Holsbeeck s’empresse de dédramatiser et affirme que le départ du Français de 29 ans est essentiellement lié à des problèmes d’adaptation de la famille. Les autres arrivants, Diego Capel, LukaszTeodorczyk, AlexandruChipciu, DenisAppiah et SofianeHanni, doivent sans doute se demander dans quel guêpier ils sont tombés.

Alors que la direction tente de limiter les dégâts, on déroule le tapis rouge pour tous les invités de marque qui accompagnent la délégation : le petit-fils de RogerVandenStock, la femme de Van Holsbeeck, EddyMerckx, PaulVanHimst, DirkDeWolf. Un peu plus loin, MichelVerschueren ne se départit pas de son enthousiasme légendaire. A la question d’un journaliste qui lui demande si MonsieurConstant a vécu une saison sans football européen, la réponse fuse :  » Jamais !  » Verschueren s’en va alors d’un pas décidé, puis fait demi-tour et revient.  » Correction : sous MonsieurConstant et MisterMichel.  »

A l’Eden Arena du Slavia, on s’aperçoit que le nom d’Anderlecht fait toujours rêver.  » Demain, le stade sera plein « , assure GuillaumeNarguet, un Français qui s’est établi en République tchèque dans les années 90 et qui travaille pour RadioPraha. Lorsqu’il était jeune, Narguet a joué en Belgique, dans le petit club de Templeuve.  » Anderlecht est toujours un grand nom, même si l’étoile du club a un peu pâli au cours des deux dernières décennies. Lors du tirage au sort, l’entraîneur du Slavia a évalué les chances des deux équipes à du 50/50.

Autrefois, le rapport de forces était différent. Le match d’il y a onze ans, au tour préliminaire de la Ligue des Champions – et qu’Anderlecht avait gagné 2-0 – est surtout resté dans les mémoires pour le vol commis dans les vestiaires, davantage que pour le résultat. De l’argent, des bijoux, des montres et d’autres objets de valeur avaient été dérobés. Je n’ai pas oublié la colère de FrankieVercauteren lors de la conférence de presse.  »

JEUDI : PRAET DERNIÈRE

Seules 400 des 1.000 places réservées aux supporters anderlechtois sont occupées. Les sponsors ne sont pas présents en masse non plus : pas plus de 15 inscriptions pour le déplacement à Prague. La saison dernière, lorsque le Sporting avait affronté l’Olympiacos, ils étaient encore une centaine de sponsors à avoir effectué le déplacement à Athènes. Un tour préliminaire d’Europa League est, de toute évidence, moins attrayant, et de plus, le nom du Slavia Prague n’est pas vraiment porteur. Pourtant, la tension est perceptible sur les visages des trois membres de la cellule de communication. Ils se détendront rapidement.

Malgré les investissements substantiels de CEFCChinaEnergy, une entreprise classée à la 229e place de la liste Fortune Global 500, le Slavia n’oppose quasiment aucune résistance aux Bruxellois. Lorsque Hanni inscrit le 0-3, l’attaché de presse DavidSteegen est soulagé. Et au coup de sifflet final, les joueurs anderlechtois vont communier dans un coin du stade avec les supporters mauves qui ont effectué le déplacement. Praet sait déjà que c’était sa dernière apparition sous le maillot bruxellois. La nouvelle de son transfert à la Sampdoria s’est répandue comme une traînée de poudre à travers le stade praguois, mais personne ne veut la confirmer. Steegen est formel :  » Aussi longtemps que ce n’est pas signé, il n’y a rien d’officiel. Mais c’est en bonne voie.  »

Pendant ce temps, Weiler s’épanche au micro de Sporza sur le nouvel Anderlecht.  » Je veux changer la culture du club. Je veux aller le plus haut possible avec mes joueurs, mais il faut se défaire de l’idée qu’il faut tout gagner.  » Le Nouveau Réalisme a fait son apparition à Anderlecht. Jadis, ce courant artistique prônait un retour au réalisme en réponse au lyrisme qui avait cours à l’époque. Le réalisme et la patience sont désormais les maîtres mots au centre d’entraînement de Neerpede.

VENDREDI : SILENZIO STAMPA

L’ambiance est un peu plus détendue aux portes de Neerpede. Un bus, décoré d’un gigantesque logo du FC Twente, engloutit de jeunes joueurs U13. Les adolescents sont attendus quelques heures plus tard à Zutphen, aux Pays-Bas, pour un tournoi international.  » Lors des tournois de jeunes, il est de coutume que l’équipe organisatrice s’occupe du transport. Nous-mêmes, nous ne nous rendrons sur place que demain « , explique la maman de WoutAsselman, qui a quitté Gand pour Anderlecht trois ans plus tôt. Quelques photos et quelques bisous plus tard, le bus disparaît de la vue de maman et papa.

Dans le bâtiment principal, l’atmosphère est plutôt orageuse. Weiler ne se présente pas à la traditionnelle conférence de presse. Nous n’avons pas souvenir d’un tel événement dans le passé. En se comportant de la sorte, le Suisse veut délivrer un message : laissez-moi travailler en paix. Weiler 1 – la presse belge 0. Youri Tielemans est invité à remplacer son coach au pied levé. Ce n’est pas un hasard s’il a été choisi : Tielemans incarne la figure de proue du nouvel Anderlecht, selon Steegen.

Le jeune homme se plie à ses obligations et a réponse à tout, même aux questions les plus insidieuses.  » Oui, nous avons suffisamment de qualité pour remplacer Defour. Non, Weiler n’est pas trop sévère. Il tente d’appliquer ses méthodes à chaque entraînement. Avec certains, cela réussit mieux que d’autres.  »

Un journaliste d’une chaîne de télévision, qui tente de confronter Tielemans aux problèmes du vestiaire, est promptement écarté par Steegen.  » Nous n’obligerons jamais les médias à poser certaines questions et pas d’autres, mais il faut rester correct. La saison dernière, on disait qu’il fallait donner un grand coup de balai dans le vestiaire. Weiler s’en charge, et aujourd’hui, il est critiqué pour ça. Il faut savoir ce que l’on veut. Doit-on procéder comme à Chelsea et fermer la porte aux médias ?  »

Les joueurs ont droit à une séance assez relax : un décrassage de 30 minutes, puis des soins à la carte. Ils ont le choix entre un massage, un jacuzzi, un bain froid ou un sauna. Au lendemain d’un match européen à Prague, et deux jours avant le déplacement à Eupen, il vaut mieux économiser ses efforts.

SAMEDI : DR JEKYLL AND MR HYDE

Après avoir boycotté la presse la veille, Weiler apparaît dans un petit film sur le site internet du RSCA. Est-ce l’avenir ? Une conférence de presse sans journaliste et une préface du match effectuée par un collaborateur du club qui ne pose aucune question ennuyeuse ? Weiler semble, en tout cas, avoir retrouvé sa bonne humeur et plaisante avec Van Holsbeeck. Un jour n’est pas l’autre : tantôt il apparaît en Dr Jekyll, le lendemain en Mr Hyde.  » Mais il ne baissera jamais son pantalon devant la direction « , souligne un employé de Neerpede.  » Chez lui, tout tourne autour de la discipline, du sérieux et de la passion. Pas question de laisser-aller.  »

A Neerpede, on assiste aux allées et venues de différentes équipes. A 9 heures, Okaka et Cie – ceux qui appartiennent au noyau B – s’entraînent sous la direction de Frutos. A midi, c’est au tour des Espoirs. Et à 15 heures, le groupe de 18 joueurs retenus par Weiler est attendu sur le terrain pour une séance d’entraînement de trois quarts d’heure. L’équipe part ensuite en mise au vert dans la région de Verviers. Après le dîner de 18 heures, chacun prend possession de sa chambre. Hanni s’empresse de brancher la télé sur Waasland-Beveren – Malines.

DIMANCHE : THE ROEF IS ON FIRE

Quinze kilomètres séparent Verviers d’Eupen. Quinze, mais pour le bus des joueurs, ils sont interminables. Le véhicule s’engouffre à grand peine dans les ruelles étroites et sinueuses des cantons de l’Est. Des paparazzi amateurs s’en donnent à coeur joie, alors que le bus tente de négocier un rond-point. La délégation n’arrive sur le parking du Kerhweg qu’une heure avant le coup d’envoi. La faute à quelques policiers et stewards, qui ont mal aiguillé le bus.  » Ils ont joué avec nos pieds « , jure MichaëlRuysseveldt, qui est le chauffeur du bus mauve depuis de longues années.  » Et ce parking, je ne vous dis pas ! Beaucoup trop petit pour pouvoir manoeuvrer !  »

Du temps précieux est perdu. Weiler est le dernier à descendre du bus et repousse, énervé, un cameraman qui tente de le filmer. A Eupen, on est un peu gêné par tant de contretemps.  » Notre parking n’est pas adapté pour un bus de cette dimension « , reconnait un bénévole, habillé de la tête aux pieds d’un training aux couleurs des Pandas.  » Lorsque nous jouions en D2, le bus des visiteurs se garait devant le café, dans la rue. Mais je peux comprendre que les joueurs d’Anderlecht n’aient pas trop envie de fendre la foule, à pied, pour marcher jusqu’au stade. On ne sait jamais, s’il y avait un fou dans la masse… Au prochain match, nous réserverons deux places pour le bus visiteur.  »

Capel ne ressent aucune gêne musculaire durant la première mi-temps. Lorsque l’Espagnol ouvre le score, Van Holsbeeck reçoit quelques poignées de mains de ses collaborateurs les plus proches, dans la tribune. Mais ce sera le seul fait marquant d’une première mi-temps à oublier.

La deuxième ne peut pas mieux débuter : Teodorczyk fait 1-2 après une action brillante de Hanni. Un but qui a le don de réveiller les supporters visiteurs massés derrière le but d’HendrikVanCrombrugge. Teo, Teeeo. Tout le monde répond à l’appel de Teo. Une adaptation de la publicité pour les gaufrettes chocolatées Leo. Les supporters d’Anderlecht ne manquent jamais d’imagination.

Mais leur version de Theroofisonfire sonne faux lorsque DavyRoef encaisse un but gag dans les dernières minutes. Anderlecht repart avec un 2-2 dans les bagages, mais les fans mauves continuent à chanter. Les supporters bruxellois, d’habitude si critiques, auraient-ils déjà adopté les préceptes de Weiler ? Les joueurs en sont déjà convaincus. Après le match, OlivierDeschacht, qui a effectué sa rentrée après une longue blessure, n’en doute pas.  » Travailler et se taire.  » Parfois, quelques mots en disent plus long que quelques phrases…

PAR ALAIN ELIASY À PRAGUE ET EUPEN – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Je veux changer la culture du club. Je veux aller le plus haut possible avec mes joueurs, mais il faut se défaire de l’idée qu’il faut tout gagner.  » RENÉ WEILER

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