Une sacrée caboche

En peu de temps, le Russe est passé du statut de nobody à celui de joueur courtisé.

C’est l’été et le public est assez nombreux à assister au premier match du tour final du RWDM. Celui-ci aligne une équipe jeune et inconnue. En pointe, un jeune Russe. Imprévisible, comme l’affirment ceux qui l’observent régulièrement aux matches à domicile des Bruxellois: « Il peut tout réussir aujourd’hui et tout rater demain ».

Deux mois plus tard, quand Molenbeek rejoint la D1, Alex Kolotilko est un des rares « survivants » en équipe fanion. D’abord comme seul avant puis associé à Mike Origi. Il n’a cure de la tactique choisie: tout ce que montre Molenbeek sur le plan offensif porte sa marque. Certaines de ses actions valent, à elles seules, le déplacement.

Les dirigeants se frottent les mains. Molenbeek n’est pas un club riche. Pour combler son déficit et éviter que le président ne doive dénouer les cordons de sa bourse chaque année, le RWDM est obligé de vendre chaque saison un de ses meilleurs joueurs, au prix fort.

Une semaine sur deux, l’avant de 22 ans est la vedette des Bruxellois. Le club s’est donc hâté de lever son option avant le 15 décembre. Kolotilko est arrivé à Molenbeek il y a deux ans. Le RWDM l’a obtenu pour zéro franc, zéro centime. Avec l’accord de son club russe, l’avant a signé un contrat de deux ans, avec une option d’un an à signer avant le 15 décembre 2001. Il est donc lié pour une saison encore, au terme de cet exercice, au RWDM.

Non qu’il y ait beaucoup de chances pour qu’il s’attarde encore longtemps à Molenbeek. Celui-ci a tout intérêt à le monnayer. Car en échange de son transfert gratuit, Neftekhimik Nizhnekamsk, son club d’origine, profitera de la plus-value que le joueur a obtenue à Bruxelles, soit 50% du prix de vente, le reste allant à Molenbeek. Une chose est sûre: le RWDM ne le lâchera pas pour un million d’euros.

International chez les jeunes à 16 ans

Etienne Koelbergs est architecte à Molenbeek. Il a fait partie de la direction. Son travail le conduisait souvent en Russie. Comme il parle russe, l’ancien manager du RWDM, Herman Van Holsbeeck, maintenant au Lierse, lui a demandé de l’aide quand un manager russe a proposé des joueurs. Igor Zavgorodnyi, reconnu par la FIFA, a lui-même une modeste carrière de joueur de D1 derrière le dos.

Koelbergs:  » Guy Vandersmissen entraînait alors l’équipe. Les trois premiers testés, un Géorgien, un Russe et un Ukrainien, n’ont pas été satisfaisants. Nous avons demandé un meilleur joueur. Un jour, il est arrivé avec Kolotilko, qui avait transité par Bordeaux avant de retourner dans son ancien club ».

Neftekhimik venait de redescendre de D2 en D3 russe. Nizhnekamsk est une ville d’environ 40 ans. Elle compte 270.000 âmes, une bourgade de province selon les normes russes. Elle est située au Tatarstan, à 1.000 kilomètres au sud de Moscou. Kolotilko explique qu’elle a été construite autour de gigantesques usines de pneus. Son père a travaillé dans une fabrique, sa mère était comptable. Sa ville natale n’est pas un site touristique et encore moins un centre commercial. En bref, c’est une ville où vous ne mettez pas les pieds si vous n’y êtes pas vraiment obligé.

« Et c’est un tout petit club, sans centre de formation. Les joueurs devaient se débrouiller. A 16 ans et demi, j’ai tapé dans l’oeil d’un scout des équipes nationales d’âge. Je n’étais pas le seul à évoluer en D2, mais certains font toujours partie de l’équipe nationale. Comme Bulikin, du Lokomotiv Moscou, Bulidin, du Torpedo, et quatre autres encore ».

Il a effectué ses débuts en Première de Neftekhimik à 16 ans et a fait le tour de la Russie:

« Il ne s’agissait pas de trajets d’une heure en car comme ici. Nous prenions l’avion. Nous partions la veille du match, jusqu’à 3.000 kilomètres de chez nous, nous logions à l’hôtel et revenions le jour suivant. Ici, vous n’avez pas la même notion des distances. On peut comparer l’ensemble du territoire belge au grand Moscou. J’ai continué à habiter chez mes parents car les jeunes n’étaient pas bien payés. Mieux vaudrait appeler ce salaire de l’argent de poche. Les plus âgés pouvaient vivre de leur sport et entretenir une famille, mais sans réaliser d’économies. Il s’agissait aussi d’un petit club, qui attirait tout au plus 3.000 spectateurs, lesquels n’étaient même pas fanatiques. Mais je jouais. Je n’étais pas un bon élève, et pourtant je ne rêvais même pas d’une carrière professionnelle ni de l’étranger. Je n’avais pas de contact avec les clubs moscovites. Un jour, le président du club m’a présenté au manager Zavgrodnyi. Il avait joué notamment pour le CSKA Moscou. Moi, je ne le connaissais pas et mon père n’avait pas davantage entendu son nom ».

Trop seul à Bordeaux

Bordeaux l’a remarqué lors d’un match international de jeunes en Angleterre: « J’étais prêt à m’en aller le jour-même! Mes parents n’appréciaient guère la perspective de me laisser partir tout seul à l’étranger mais ils ont fini par céder. Mon intégration s’est avérée pénible. Je me sentais seul, loin de ma famille et de mes amis. Durant mes premiers mois à Bordeaux, je ne pouvais aller nulle part sans un accompagnateur. Je ne parlais que russe ».

Ses leçons de français n’ont pas été un succès. Deux professeurs se sont relayés en vain: « J’étais incapable de me concentrer. Je n’avais pas de patience. Mes coéquipiers m’ont alors entraîné partout avec eux. C’est comme ça que j’ai appris le français. Mais souvent, j’étais seul à la maison, empreint de nostalgie. Au début, je téléphonais tous les jours à la maison. Mes parents m’ont conseillé de serrer les dents, de ne pas abandonner. En me faisant des amis, j’ai espacé mes coups de téléphone. Mon club comprenait ma situation. En-dehors des vacances, il m’a offert plusieurs billets d’avion pour retrouver les miens, l’espace de quatre jours ».

S’il s’entraînait généralement avec le noyau A, il ne jouait guère car Bordeaux avait une pléiade de joueurs en attaque. Au bout de deux ans, le club français a décidé de ne pas prolonger son contrat.

« Il se demandait pourquoi il devait investir de l’argent dans un joueur qui n’était même pas dans l’équipe. J’avais l’opportunité de jouer en D1 russe, au Zénith St-Petersbourg, mais je n’en avais pas envie. Je suis rentré chez moi. ça. A ce moment-là, le fait que mon club évoluait en D3 ne me dérangeait pas. J’étais resté trop longtemps seul. Un bon contrat m’attendait à St-Petersbourg. Je pouvais y gagner cinq fois plus qu’à Neftekhimik, mais ce n’était pas un argument valable. Quand vous voulez rentrer chez vous, l’argent ne compte pas ».

Pas incontournable au début

Un mois et demi plus tard, un club coréen, Samsung, s’est présenté. Kolotilko y a effectué un test: une blessure l’a empêché de se livrer à fond. Le Dinamo Moscou le convoitait aussi, pour la saison suivante: « Je ne voulais pas attendre. Je désirais jouer. Je me sentais mal dans ma peau. Je m’imaginais que ma carrière était fichue. J’avais un mauvais pressentiment. J’étais dépressif. En fait, je suis parti en France à un âge trop tendre. C’était mon choix. Je ne le referais plus. Ne serait-ce que parce que mon pays m’a complètement oublié pendant ces deux saisons. Une fois à Bordeaux, j’ai été sélectionné deux fois encore en équipe olympique. C’est tout ».

Quand Freddy Smets a appris qu’il avait séjourné à Bordeaux, il a immédiatement appelé LouisCampora. Celui-ci se souvenait de Kolotilko. Son opinion était nette: il convenait parfaitement à la D1 et à la D2 belges. Il fallait le prendre sur-le-champ!

Koelbergs: « Kolotilko a joué contre Walhain. Ariel Jacobs était enthousiaste; Daniel Renders, qui allait rejoindre Anderlecht, aussi. Son intégration ne s’est pas bien déroulée. Il a été évincé de l’équipe. Jacobs le soutenait au début mais il a finalement préféré aligner Giuntini aux côtés de Kpaka. Alex a dû glisser sur le flanc droit, ce qui ne lui convenait pas ».

L’intéressé ne veut pas expliquer ce qui s’est passé: « Il y avait quelque chose entre l’entraîneur et moi. J’avais parfois l’impression qu’il favorisait certains footballeurs. Ceux-ci n’étaient pas meilleurs que moi, même si je trouvais Paul Kpaka excellent ».

Sa confiance est revenue quand Patrick Thairet a été nommé entraîneur. A l’exception d’un match, il a été constamment aligné: « Thairet avait entraîné les Réserves. Il m’a rendu confiance en moi. C’est vrai, l’année dernière, j’ai été irrégulier mais ça va nettement mieux maintenant. Je dispose aussi de plus d’espaces en D1. Pourtant, je n’ai pas encore montré tout ce dont je suis capable. J’ai encore une marge de progression ».

Un caractère de feu

Quand Emilio Ferrera a pris le relais de Thairet, la situation a failli s’envenimer à nouveau. Etienne Koelbergs: « Alexander n’est pas facile. Il a son caractère. Deux jours avant le match à Anderlecht, il m’a téléphoné pour que je lui achète un billet à destination de la Russie. Un aller simple. Il voulait partir, à tout jamais. Je lui ai répondu: -Alex, calme-toi. Nous avons eu une longue discussion, il est allé trouver l’entraîneur et a joué ce match. Maintenant, tout va bien. Plusieurs équipes le convoitent. La semaine dernière, je lui ai rappelé son coup de tête. Il a rit ».

Kolotilko confirme l’incident. Et rit toujours: « Vous savez, l’entraîneur est plus âgé que moi, il a plus d’expérience. J’ai retenu la leçon ».

Il se sent bien dans sa peau. A Molenbeek, on ne craint pas qu’il déraille. Koelbergs: « Il est quelque peu timide. Il ne recherche pas la publicité. Beaucoup ont fait de grands yeux durant le stage au Maroc. Quand il est dans un groupe restreint, il met de l’ambiance. Quand il y a du monde, il préfère s’enfuir ».

Kolotilko n’est pas pressé de quitter la Belgique: « D’un côté, je suis un peu surpris que tout le monde me remarque, d’un coup. Je suis tout à fait disposé à rester en Belgique la saison prochaine. Si je reste encore un peu plus d’un an, je pourrai demander un passeport belge ».

Il n’entretient pas de contacts avec les autres Russes du championnat: « Je n’entends pas grand-chose des autres. Pourtant, je ne m’isole pas. A part Monsieur Etienne, je ne peux parler russe avec personne mais ça ne me dérange pas. Quand j’en ai le temps, je parcours la Belgique, tout seul. J’aimerais inviter ma famille à me rendre visite. J’ai beaucoup de choses à lui montrer. La Grand-Place de Bruxelles est la plus belle de toutes celles que j’ai déjà vues ».

Avant, il était attiré par l’Angleterre: « Enfant, j’étais fasciné par le football britannique ».

Ce n’est pas aussi simple: pour obtenir l’autorisation d’évoluer en Premier League, il doit avoir pris part à 70% des matches internationaux des deux dernières années. Il est loin du compte: « Mais mon nom commence à refaire surface. Des journalistes russes me téléphonent régulièrement pour avoir de mes nouvelles. Il y a déjà eu plusieurs articles sur moi, là-bas. Je sens que je suis susceptible d’être repris en équipe nationale. Je serais évidemment ravi de participer à la prochaine Coupe du Monde. Malheureusement, je crains qu’elle ne tombe un rien trop tôt pour moi » .

Geert Foutré et Veronika Iltchenko

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