Une question de respect

L’an dernier, la Belgique a adapté sa législation. La procédure de transfert est plus sévère. Il faut signer une déclaration de prise en charge, l’âge minimum a été relévé à dix-huit ans et le salaire net minimum a doublé pour atteindre 95.000 francs. C’est une bonne affaire pour les Africains?

Willy Verhoost : C’est certainement un grand progrès mais ça ne change rien pour Lokeren. Nous avons toujours été corrects. Après un seul match, amical en plus, Charles Dago a dû être opéré. Nous savions qu’il serait indisponible pendant un semestre. Beaucoup auraient dit qu’il pouvait partir. Nous, nous l’avons fait opérer par le Docteur Martens. Comme Bapo Bola.

Vous savez, j’ai l’impression que Verhoost est davantage apprécié en Afrique qu’en Belgique. Quand Verhoost va en Afrique, c’est pour assister au plus de matches possible. Verhoost connaît toutes les familles des joueurs qui sont venus ici. Partout, je leurs rends visite. Quand vous connaissez les gens, vous les respectez et vous les traitez correctement. Vous êtes heureux de leur faire plaisir. Je n’y vais jamais les mains vides.

Une gerbe de fleurs, de la nourriture, des pneus, des matériaux de construction?

Beaucoup de choses, mais ça ne paraîtra pas dans les journaux. Je peux vous montrer des lettres de remerciement. Verhoost sait comment la mère et le père de Bangoura vivent. Je vais bientôt retourner en Guinée. Imaginez que je ne passe pas dire bonjour et qu’ils apprennent que j’étais dans les environs. Ils seront fâchés. Le père de Youla a deux épouses. Quand je suis là, il va les chercher toutes les deux.

Pour Monsieur Verhoost, le grand patron.

Holà! Le contact que j’ai noué avec ces gens est mon plus grand bonheur. Ils vous rendent dix fois ce que vous faites pour eux. A peine suis-je arrivé que je dois partager leur repas. Par respect pour eux, je ne vous décrirai pas leurs conditions de vie mais je vous le jure : toujours par respect pour eux, vous faites un effort pour manger ce qu’ils vous proposent. Vous voyez un manager belge le faire? Imaginez-vous Michel Verschueren se promener là en short, avec des lunettes solaires et une bête casquette sur la tête?

Pas vraiment, non.

Ce n’est pas le Palais Royal ni la Princesse Mathilde, hein. En Afrique, Lokeren a une formidable réputation, chez les joueurs et leur famille. La semaine dernière, j’ai donné à Olufade deux anoraks trop petits pour moi.

Ça marche?

Zoundi a passé deux tests à Anderlecht. Patrick Zoundi. Retenez ce nom. Il coûtait quinze millions. Traore en a coûté neuf à Anderlecht. Quinze millions? Je me suis dit: va voir ses parents. Je leur ai rendu visite et ils m’ont fait confiance. Zoundi est ici. Quinze millions? (Il esquisse un sourire) Je paie les parents, vous comprenez, pas toutes sortes d’intermédiaires qui ne sortent de leur léthargie que quand ils peuvent empocher des millions sur le dos des gens. La mère m’a téléphoné entre les fêtes de fin d’année : – Prenez soin de mon fils. Elle prie pour moi tous les jours. Même si vous n’avez pas de coeur, jamais vous ne trahirez leur confiance. Je leur consacre ma vie. Je viens moi-même d’une famille de douze enfants, ne l’oubliez pas.

Olufade a fêté ses 21 ans pendant le stage en Espagne. J’ai dit au président : célébrons l’événement au champagne avec tout le groupe. Tout le monde a chanté Happy birthday to you! Il en a pleuré, le gamin. Pendant la trêve hivernale, Youla m’a téléphoné tous les jours. Le soir du réveillon, ils m’ont tous présenté leurs voeux. Pas le matin, mais peu après minuit. Ça fait quelque chose. Ils savent qu’ils peuvent compter sur moi. Verhoost a une grande gueule mais un petit coeur. Ceux qui me connaissent savent que les Noirs sont mes chouchoux.

Entre la Noël et le Nouvel-An, j’ai accueilli chez moi trois joueurs qui ne pouvaient pas entrer cherz eux. Olufade, Zoundi et Maiga. Ma femme leur a préparé des petits plats tous les jours, elle les a soignés du matin au soir. Verhoost n’a jamais été à la foire de Courtrai avec ses enfants mais il l’a fait avec ces trois garçons. Jamais ils n’avaient vu pareille fête. Il n’y avait pas moyen de les faire descendre du premier manège. Puis, ils ont découvert un jeu qui consiste à expédier des balles dans des trous. Cent francs pour trois balles. Un coup a suffi : ils ont tous gagné une bouteille de mousseux. Olufade a demandé combien coûtait une bouteille. Parce que, si son prix était supérieur à cent francs, mieux valait continuer à jouer, pour gagner. N’allez donc pas imaginer que les Africains n’ont pas le sens des affaires.

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