© TIM DE WAELE

UNE PASSION POUR LES BOLIDES

En début d’année, Tom Boonen a posté les voeux suivants sur Instagram :  » There is no road to happiness, happiness is the road. Follow your dreams.  » Étonnant : il n’a pas placé une photo de vélo mais de voiture de course, sur un circuit. Ce n’est pas un hasard.

T om Boonen n’a que douze ans quand il annonce à ses parents que, comme ses camarades de classe, il veut participer au championnat de Belgique scolaire de cyclisme. André et Agnes sont stupéfaits. Bien qu’André ait été coureur professionnel, sans succès certes, pendant les quatre premières années de vie de Tom, la famille n’a jamais parlé de cyclisme. Mais maintenant, Tom en a envie et le père, représentant de Ridley, un fabricant de cycles, lui amène un vélo de l’usine. Il est encore plus surpris quand Tom, sans entraînement, remporte aisément le sprint. L’arrivée se déroule sur le circuit automobile de Zolder, à quelque trente kilomètres du domicile familial à Balen. Tom est en terrain connu car son grand-père Raymond, employé par Ola, y a vendu des glaces pendant des années et il l’accompagnait, se régalant du bruit des moteurs.

Là, sur ce circuit, il développe une passion pour les véhicules à quatre roues. D’accord, il a reçu un vélo dès sa tendre enfance mais il lui préfère le tracteur avec remorque qu’on lui a offert à la Saint-Nicolas. Il l’enfourche pendant des heures. Agnes en rit toujours : c’est comme ça que son fils s’est fait du muscle. Plus tard, il prend goût à la vitesse. Dans les parcs d’attractions, il opte pour les tours les plus vertigineux, sans la moindre appréhension. Il est fou de vitesse et de bolides, comme la Bugatti EB110, qui fait l’objet d’un speach passionné à l’école primaire.

Avec six camarades, Boonen récolte des sous pour acheter une épave, soi-disant  » pour faire du cross dans la prairie de mon grand-père « . Las, alors qu’il n’a pas encore son permis de conduire, il s’aventure d’emblée sur les routes publiques pour croiser… la police, quelques rues plus loin. Celle-ci confisque l’auto et prévient ses parents. Sans suite, car l’agent est un vieil ami d’André, mais le policier donne un bon conseil à l’adolescent :  » Tu ferais mieux de jouer au coureur, comme ton père.  »

Boonen s’y met. Depuis le championnat de Zolder, il a chopé le virus du cyclisme. A treize ans, en dernière année en aspirants, il s’adjuge sept courses. Il n’en perd pas pour autant sa passion de l’automobile : durant ses trois dernières années d’humanités à l’institut Saint-Paul de Mol, il suit l’orientation mécanique puis effectue une année de spécialisation en électronique automobile. Il n’a pas l’intention de se servir de ce diplôme, exigé par ses parents. Il sait déjà qu’un travail normal dans une usine n’est pas fait pour lui. En outre, il semble avoir plus de talent que son père pour le cyclisme, quand il est champion de Belgique en espoirs, en 2001.

FREDDY LOIX COMME INSTRUCTEUR

La saison suivante, après ses fameux débuts professionnels à Paris-Roubaix, il est clair que Tom n’aura jamais besoin de son diplôme. Quelques semaines plus tard, dans le magazine Humo, il compare sa flamme pour les pavés à celle pour les roues.  » Il vaut mieux que je me tienne loin des autos car quand un engin peut rouler vite, j’éprouve l’envie d’en prendre le volant et d’aller le plus vite possible. Rouler sur les pavés est dangereux aussi mais je n’en ai pas conscience. Je ne ressens pas de danger, je le fais machinalement. C’est sans doute inné, une question de chimie cérébrale.  »

Avant le championnat de Belgique fin juin, Boonen, âgé de 21 ans, achète sa première voiture : une BMW 520I mauve de cinq ans. Il l’a vue le long de la route à l’entraînement et a immédiatement téléphoné au propriétaire. Le soir, il a effectué une sortie-test et conclu l’achat, y compris un maillot et un cuissard dédicacés.  » Une occasion « , selon le Campinois, qui sait à quoi il occupera ses vacances au terme du championnat.  » Je vais rouler. En auto, évidemment.  » Hasard ou pas, à la fin de cette saison-là, Boonen dispute son premier Mondial en pros, sur le circuit de Zolder ! Il le reconnaît :  » Je préférerais rouler ici avec une voiture de sport.  »

C’est chose faite le mois suivant. Le Campinois peut effectuer un test au volant d’une Ferrari. Un an plus tard, début 2004, Boonen effectue également ses débuts sur le circuit de Spa-Francorchamps : Freddy Loix lui donne un cours accéléré de pilotage en Peugeot 206 WRC, pour l’émission Sportweekend. Dans la course qui s’ensuit, il n’accuse que quatre secondes de retard sur son mentor d’occasion.

 » Ce n’est pas mal, hein ? J’ai demandé un contrat : j’ai de l’avenir « , rigole Tornado Tom, qui a troqué sa BMW 520I contre une BMW 330.  » Un coupé. J’aime les voitures sportives. Des spoilers ? Non, ce serait too much « , raconte Boonen fin mars 2004 dans Sport / Foot Magazine. Quelques semaines plus tard, il agrandit son parc : à l’entraînement, à nouveau, il aperçoit une Audi S4 – un break, 370 CV. Il la ramène de suite.  » C’est rapide et cher, oui, mais discret. Ce n’est pas comme Ferrari ou Porsche. Je peux circuler à son bord sans me faire remarquer « , insiste le jeune dieu du cyclisme.

AU VOLANT D’UNE LAMBORGHINI

En septembre 2005, Boonen est champion du monde. Son compte en banque commence à gonfler. Il opte quand même pour un jouet plus flashy et encore plus rapide : une Chevrolet Corvette C6, équipée en Allemagne, avec une vitesse maximale de plus de 300 km/h. Ce n’est que le troisième exemplaire en Belgique. C’est Anthony Kumpen, le fameux pilote et gérant de Ridley, la marque de vélos pour laquelle travaille André, qui le lui a conseillé.

 » Au Qatar, Tom s’intéressait à une Viper, ma voiture de course « , raconte Kumpen.  » Je lui ai conseillé la Corvette parce qu’on peut mettre deux vélos dans son coffre. C’est plus pratique pour un coureur.  » La Corvette n’est donc pas destinée à foncer, explique Boonen dans la biographie qui paraît en septembre 2006.  » Les bolides me donnent un kick : le bruit sous le capot, la carrosserie. Mais je n’irai jamais jusqu’au bout. Je ne vais pas faire de courses sur route. Je prends des risques calculés.  »

Un mois plus tard, après une saison dans le maillot arc-en-ciel, le coureur Quick-Step a un nouvel amour : une Lamborghini Murciélago jaune de 640 CV, qui peut atteindre les 330 km/h. Prix : à partir de 260.000 euros. Mais la sienne est une occasion et coûte donc moins cher. Son père confie au quotidien Het Nieuwsblad :  » Tom a longtemps hésité. Qu’allaient dire les gens ? Nous l’avons convaincu d’acheter cette Lamborghini, la voiture de ses rêves, mais à une condition : vendre la Corvette.  » Boonen la vend à son collègue Leif Hoste et suit un cours de conduite de trois jours.  » Sinon, j’aurais cassé la boîte de vitesse dès ma première sortie.  »

Ce même mois, Anthony Kumpen annonce une autre nouvelle : Boonen va participer aux 10 Heures de Zolder, l’épreuve-reine de la Coupe Touring, la division deux du championnat Belcar, en Porsche 996, avec lui et Bert Longin. Le coureur annule le projet in extremis. C’est que le manager de Quick-Step, Patrick Lefevere, n’est pas très chaud : ce n’est pas conforme aux intérêts des sponsors de son équipe cycliste et c’est trop risqué. Un accident poserait des problèmes d’assurance, en sus.

Néanmoins, il crashe sa Lamborghini, le lundi suivant Paris-Roubaix 2007. Boonen explique avoir voulu éviter un chat à Mol. Il est indemne mais l’avant de sa voiture, qui a heurté un poteau électrique, est très abîmé. En novembre 2008, Boonen sort encore de la route, cette fois avec son Audi : à l’aube, il doit brusquement éviter un motard à Postel. Il l’a vu trop tard à cause du brouillard. Il a heurté le rail et a fracassé sa voiture contre un arbre.

LE TOUR DES CIRCUITS EN FERRARI

Ce n’est pas le seul incident de l’année : suite à deux excès de vitesse, il écope d’une amende de mille euros et de deux mois de retrait de permis. La police de Mol constate qu’il a consommé trop d’alcool, pendant un dîner avec son manager. Ce ne sont toutefois que des anecdotes, comparé à la perte totale que subit son image de gendre idéal la même année, quand il est positif à la cocaïne et à l’ecstasy.

Ses crashes n’ont pas éteint sa passion de la course. Après l’entraînement, Boonen se rend donc régulièrement au circuit de Zolder, notamment avec sa Ferrari 599 GTB noire, acquise en occasion en 2012.  » Ce fut le coup de foudre car une Ferrari, c’est plus qu’une auto. C’est de l’art. Je ne peux pas vous l’expliquer si vous ne comprenez pas que la Mona Lisa est une peinture remarquable « , raconte Boonen au Nieuwsblad. Cette année-là, il va la tester à quelques reprises sur le circuit de Ferrari à Fiorano, en Italie, en compagnie de son amie Lore.

En 2013 et en 2014, des blessures empêchent le Campinois de participer à beaucoup de courses cyclistes. Il en profite pour rouler en voiture. Dans une vraie voiture de course, cette fois, une nouvelle Ferrari F430 rouge, il écume les circuits : Zolder, Francorchamps, Zandvoort, le Nürburgring… Anthony Kumpen lui donne quelques cours supplémentaires de pilotage. Pour le plaisir, même s’il ressent très fort l’appel des circuits. En attendant d’entamer une carrière automobile, il s’achète une combinaison de course blanche, personnalisée, et un casque.

En avril 2013, l’Anversois fait peur : pendant une journée de tests libres sur le circuit de Francorchamps, il est victime d’une crevaison dans le fameux virage de Blanchimont, à 200 km/h. Il heurte un mur, mais à une vitesse moindre et il s’en tire sans blessure. Sa Ferrari, peinte par le dessinateur Jeroom pour promouvoir Move to Improve, une organisation d’aide aux enfants souffrant de problèmes moteurs, est amochée. Il y en a pour des dizaines de milliers d’euros.  » Jésus n’a pas sauvé mes pneus « , twitte Boonen, en postant une photo des dégâts. Il fait allusion à l’inscription  » Jésus épargne ou sauve mes pneus « , dessinée par Jeroom.

Malgré sa passion pour les Ferraris, le coureur se laisse séduire par d’autres amantes en 2015 et en 2016 : une Donkervoort D8 GTO Bilster Berg verte, fabriquée sur mesure en carbone par l’entreprise familiale néerlandaise du même nom (voir encadré) et une Norma M20F Honda CN, un prototype de 265 CV. L’entretien de la Donkervoort requiert beaucoup de temps et d’amour mais comme Boonen le confie en décembre 2016 à Autowereld :  » C’est comme les bébés. Plus on change leurs langes, plus on les aime.  »

OBJECTIF ZOLDER

Les sorties estivales avec son père le récompensent de ses efforts.  » Partir le matin pour 800 bornes, sur des routes en bon état, c’est super « , raconte-t-il dans une double interview avec Stoffel Vandoorne dans le Nieuwsblad, rappelant ses ambitions de course automobile.  » Les 24 Heures de Zolder constituent mon objectif ultime. Près de chez moi.  »

Même s’il est conscient des progrès à effectuer :  » Je maîtrise bien ma voiture mais pour être réellement compétitif, je devrai encore rouler chaque semaine pendant six mois, voire un an. C’est pour ça que j’investis maintenant : je ne devrai pas partir de zéro quand je mettrai un terme à ma carrière cycliste.  » Boonen sera donc hyper motivé à quatre roues aussi.

PAR JONAS CRETEUR – PHOTOS TIM DE WAELE

 » J’adore la vitesse mais je ne roulerai jamais pied au plancher. Je prends des risques calculés.  » – TOM BOONEN

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