» UNE PARTIE DE MOI ÉTAIT RESTÉE EN FRANCE « 

Il a retrouvé la Ligue 1 après six mois de sevrage. Et, déjà, il s’éclate.  » Je suis sûr que certaines personnes ne comprennent pas mon choix mais c’était le meilleur moment pour quitter Anderlecht.  »

Guillaume Gillet est installé jusqu’à la fin du mois dans un lieu chargé d’histoire. Son hôtel full luxe, en plein centre de Nantes, est l’ancien palais de justice où a eu lieu une prise d’otages retentissante, couverte en direct par des télés du monde entier, il y a juste 20 ans. Des bandits jugés en cour d’assises et des complices y ont séquestré magistrats, jurés, journalistes et public pendant 36 heures.

Il est relax, le Liégeois. Deux jours plus tôt, il a disputé son premier match avec le FC Nantes. Victoire au bout du compte et des commentaires enthousiastes dans la presse locale du lundi. Notamment ceci : Guillaume Gillet a été présent dans l’impact et a gratté plusieurs ballons. On sent que ça va être un bon. En route pour sa première confession XXL depuis son retour dans ce championnat qu’il a tellement kiffé durant sa saison à Bastia.

Tu as conservé le numéro de téléphone français que tu avais en Corse. Parce que tu étais certain de revenir très vite en Ligue 1 ?

GUILLAUME GILLET : Je pense qu’il y a un peu de ça… Si je n’avais pas eu cette idée dans un coin de la tête, je l’aurais désactivé. Une partie de moi était restée en France. Je peux te dire que quand Nantes m’a contacté en fin d’année, je n’ai pas trop hésité. J’avais reçu pas mal de propositions de Ligue 1 pendant l’été, j’espérais juste que cet intérêt allait continuer, malgré mon retour à Anderlecht.

Ça a été difficile de ne pas pouvoir rester à Bastia ?

GILLET : Honnêtement, oui. Je pense que j’aurais terminé ma carrière là-bas si Bastia avait fait ce qu’il fallait dans les temps. Des journaux belges ont écrit à l’époque qu’ils avaient levé l’option pour me transférer définitivement mais c’était faux. J’ai eu assez peu de contacts avec la direction concernant cette option. Je suis parti en vacances sans savoir si j’allais pouvoir rester ou pas. Mais je pensais bien que ça allait être très compliqué.

C’est étonnant parce que tu avais tout joué et tu n’étais pas cher du tout !

GILLET : Ils pouvaient m’avoir pour 500.000 euros. C’est pour ça que j’ai été fort surpris par leur attitude. Ils ne sont revenus à la charge qu’après avoir reçu leur licence mais c’était trop tard. Le prix avait augmenté puis Anderlecht a décidé que je ne pouvais plus partir à cause de l’affaire Anthony Vanden Borre et du départ de Maxime Colin.

 » ON M’A EMBARQUÉ DE FORCE À REIMS…  »

Avant ça, tu avais donné ton accord à Reims puis tu t’étais rétracté… C’est ce que le président de ce club a dit, en tout cas…

GILLET : Je suis allé visiter le club… mais sans être vraiment décidé à y aller, en fait. Une heure après mon retour de vacances, mes agents m’ont mis dans une voiture, un peu contre ma volonté. Ils m’ont dit : -On va voir à Reims, ça ne t’engage à rien. J’ai vu les installations, pas mal, je leur ai demandé de me laisser réfléchir. Ils me faisaient une belle proposition mais je ne voulais pas y aller. Notamment parce que Reims restait sur une saison compliquée. A ce moment-là, ils n’avaient toujours pas fait de transfert. Et puis, même si c’est une belle région, je me voyais mal quitter la Corse pour aller là-bas. Je préférais jouer le maintien avec Bastia que me retrouver numéro 6 devant une défense un peu fébrile…

Tu n’as pas réagi quand le président t’a un peu démoli.

GILLET : Oui, il a fait quelques sorties dans la presse, je trouve ça bon enfant, finalement. C’est le foot. J’étais sa priorité et, pour lui, c’était difficile à admettre que je refuse sa proposition. Ils croyaient qu’ils étaient proches d’un accord alors qu’on en était loin.

Tu as quel souvenir de ton match ici avec Bastia ?

GILLET : Un souvenir très particulier… Sur toute la saison, championnat et Coupe de France ensemble, c’est le seul match que je n’ai pas joué entièrement. On était venus en février, j’avais toujours 100 % de temps de jeu et je m’étais fixé comme objectif de ne pas rater une seule minute. Donc, j’étais très fâché en arrivant à Nantes parce que le coach venait de me dire que je commencerais sur le banc. Il m’a dit que j’avais besoin de souffler et de me remettre un peu en question. Je ne comprenais pas. Avec le recul, je me dis qu’il a pris une bonne décision. Ça m’a fait du bien de rater un match. Après, de nouveau, j’ai eu 100 % du temps de jeu jusqu’à la fin de la saison. Pour le reste, je me souviens que je suis monté pour les vingt dernières minutes, qu’on a gagné tranquillement, et surtout que l’ambiance était fantastique. Alors que leur équipe était menée, les supporters de Nantes n’ont pas arrêté de chanter. Quand tu viens d’Anderlecht, c’est impressionnant. A Anderlecht, c’est difficile, parfois…

 » ON PEUT DIVISER LES POINTS PAR 4, PARIS SERA TOUJOURS DEVANT  »

Le FC Nantes, ça te fait penser à quoi ?

GILLET : Je me souviens de leur dernier titre, il y a une quinzaine d’années. OK, ça date un peu, mais Nantes, c’est quand même huit titres de champion. C’est un club qui représente toujours quelque chose dans le foot français.

Adrien Trebel nous a dit récemment que le fameux jeu à la nantaise n’existait plus qu’au centre de formation !

GILLET : C’est vrai, chez les jeunes il y a toujours un jeu qu’on peut comparer à celui de Barcelone. Mais Trebel a raison quand il dit que ça n’existe plus dans l’équipe pro. Même si les entraîneurs ont peut-être un peu la volonté de poursuivre avec le même football, c’est très compliqué à mettre en place au plus haut niveau. En France, il n’y a que le PSG qui est capable de produire un jeu pareil.

Ton entraîneur dit qu’à part le PSG, la Ligue 1 est tellement homogène que tout peut aller très vite. Tu penses qu’il y a encore un bon coup à jouer pour Nantes ?

GILLET : En battant Saint-Etienne, on est revenus à huit points du deuxième. Donc, on peut être optimistes. Mais il faut être réaliste aussi parce que l’écart est le même par rapport aux places descendantes. Donc, oui, c’est fort serré. Ce serait bien de faire maintenant une bonne série pour pouvoir regarder jusqu’à la fin uniquement vers le haut, et plus jamais vers le bas.

Angers, Caen et Nice dans le top 5, c’est un peu fou !

GILLET : Tout à fait. Le classement actuel ne respecte pas du tout les budgets. Marseille, Bordeaux, Lille et d’autres dépensent beaucoup plus d’argent que ces trois-là mais ils sont derrière.

C’est gai de jouer dans un championnat dont une équipe est sur une autre planète ? Tous les autres clubs savent dès le début que le PSG sera champion. Ils doivent viser au mieux la deuxième place.

GILLET : C’est clair que tu pourrais instaurer des play-offs ici et diviser les points par quatre, Paris serait toujours largement devant… Moi, je dois être réaliste, je ne viens pas en France pour être champion. Je veux simplement jouer le plus haut possible. Et Nantes n’a jamais crié haut et fort qu’il voulait être le dauphin du PSG. Il n’y a pas énormément de pression ici. On se bat pour une place européenne, c’est déjà pas mal. Après, il y a les coupes. Mais les gars du PSG ont tellement l’obsession de tout gagner que même les matches de coupe, ils les jouent à fond. Donc, c’est compliqué pour tous les autres, oui.

 » JE VOULAIS SORTIR PAR LA GRANDE PORTE, LÀ J’AI ATTEINT LE SOMMET  »

Tu as quitté un club qui va à nouveau jouer le titre et est toujours en Europa League : tu ne risques pas de ressentir un manque ?

GILLET : J’ai pesé le pour et le contre. Je sais que certaines personnes ne comprennent pas mon choix mais j’étais sûr que c’était le meilleur moment pour partir. Maintenant, c’est clair que j’aurai un pincement au coeur les soirs où Anderlecht va jouer contre l’Olympiacos. J’ai bien contribué à la qualification, je me suis régalé dans ces matches. Certains coéquipiers avaient été effrayés en découvrant le tirage, moi j’étais super content. Si tu regardes le parcours de Monaco en Ligue des Champions la saison dernière et ce que Tottenham fait maintenant, tu te dis que c’était un groupe de Ligue des Champions. Même Qarabag n’était pas évident. Aucune des trois autres équipes de la poule n’a aimé jouer contre eux, que ce soit là-bas ou à domicile. Maintenant, j’aurais pu rester à Anderlecht en pensant à l’Europa League, mais si on se fait éliminer par l’Olympiacos, je fais quoi après ?… Je me suis aussi fait la réflexion que si on ne remportait pas le titre, ça me ferait encore plus mal que les autres saisons où on est passés à côté.

Tu as fait une sortie à la Laurent Ciman, avec un but décisif dans ton dernier match…

GILLET : Ce que je voulais plus que tout, c’était quitter Anderlecht par la grande porte. Là, je peux dire que j’ai atteint le sommet. Je n’avais pas digéré la façon dont j’étais parti un an et demi plus tôt. J’avais soulevé le trophée du titre mais tout le monde sait que ma fin de saison avait été très compliquée. C’était un départ triste. A ce moment-là, qui pensait encore que j’allais revenir ? Pas 10 % des gens dans le club et autour du club. Même moi, j’étais presque convaincu que la page était tournée. Mais partir pour de bon sans avoir eu mon petit hommage comme Sacha Kljestan, ça m’aurait fait mal. Au bout du compte, les six mois de mon retour se sont super bien passés et j’ai pu finir en apothéose en marquant contre Westerlo.

Quand tu montes sur le terrain ce jour-là, tu sais que tu vas partir ?

GILLET : Euh… Ce n’est pas si simple ! Jusqu’à la dernière seconde, je me suis dit qu’on allait me proposer quelque chose de mieux. Je pouvais prolonger pour deux ans, mais pour moi, l’offre n’était pas suffisante. On n’a pas trouvé d’accord. J’ai compris que c’était définitivement terminé quand Roger Vanden Stock m’a offert un maillot collector sur le terrain, juste avant ce match. Là, j’ai su qu’il n’y aurait plus de revirement. Ça a été une grosse émotion.

Ton état d’esprit quand tu prends le micro après le match pour aller parler aux supporters ?

GILLET : Je m’étais un peu préparé, j’avais réfléchi à ce que j’allais leur dire. Mais quand tu dois assurer devant 20.000 personnes, d’un coup, c’est moins évident, surtout que je suis plutôt timide.

 » FINIR EN MLS  »

On a parlé d’un intérêt du championnat américain, ça t’aurait tenté ?

GILLET : Oui, ça a été à l’ordre du jour. Plusieurs clubs de MLS se sont manifestés mais, je n’ai pas peur de le dire, ça a coincé au niveau financier. Je vais avoir 32 ans, je ne peux pas me permettre de gagner trois ou quatre fois moins qu’à Anderlecht simplement pour avoir le plaisir de jouer aux Etats-Unis. Mais ça me tente à fond, c’est clair. Ma femme et moi, on part régulièrement en vacances là-bas, on adore la mentalité des Américains, leur façon de vivre. Il y a de plus en plus de bons joueurs en fin de carrière qui y vont, ils donnent une bonne image du championnat, ça me donne vraiment envie d’y faire au moins une saison avant d’arrêter.

Tu dis que tu aurais quitté plus tôt la Belgique pour un meilleur championnat si tu avais toujours joué en milieu de terrain. Ces changements de poste resteront un fil rouge de ta carrière.

GILLET : Je vais te citer une anecdote qui résume bien la situation. Un jour, le président de l’Udinese a dit à mes agents : -J’ai une quinzaine de scouts qui travaillent pour moi, ils ont tous vu jouer Guillaume Gillet, aucun n’est capable de dire quelle est sa meilleure place. Un de ses scouts venait, je jouais dans le milieu. Un autre venait quelques semaines plus tard, j’étais back droit. Je comprends que ce n’est pas facile pour eux de se faire une opinion. Si j’avais joué des saisons complètes dans l’entrejeu, j’aurais eu des stats complètement différentes et je suis convaincu que je serais parti en Allemagne ou en Angleterre. Je ne dis pas dans un club du top, mais j’aurais pu faire quelque chose de chouette dans des championnats pareils.

Tu es au courant des réactions dans le vestiaire d’Anderlecht depuis ton départ ? Silvio Proto, par exemple, n’est pas content du tout. Ce n’est pas à toi qu’il en veut mais à la direction.

GILLET : Avec les années, Silvio Proto et Olivier Deschacht sont devenus des amis. Me voir revenir, puis repartir six mois plus tard, ce n’est pas facile pour eux. C’est vrai que pendant les six mois de mon retour, j’ai ramené de la rage de vaincre, un état d’esprit. Je pense que je faisais du bien à ce groupe jeune. Mais bon, tout le monde au club était au courant que la direction m’avait promis de ne pas me mettre de bâtons dans les roues en janvier.

Tu peux dire pourquoi Anderlecht n’était pas en tête à la fin décembre ?

GILLET : A cause d’un manque de constance et d’un gros problème de mentalité dans certains matches. C’est fini, le temps où le talent suffisait à faire la différence dans les matches entre guillemets faciles. Cette saison, tous les matches ont été difficiles, même à domicile, même contre Beveren ou Malines. On ne gagnait jamais sur des gros scores. C’était sur un but d’écart, ou on ne gagnait même pas. On met le doigt sur la mentalité. Contre Bruges, Tottenham ou Monaco, tu vois un Anderlecht qui est bien. Contre Malines, Beveren ou Mouscron, tu ne vois plus du tout le même état d’esprit.

 » À ANDERLECHT, C’EST DEVENU TROP FACILE POUR LES JEUNES  »

On croirait entendre Silvio Proto. Lui aussi, il a du mal avec la mentalité des jeunes, surtout.

GILLET : Les anciens, on sait qu’un match entre guillemets banal, il faut le prendre de la bonne façon, sans quoi ça risque de mal se terminer. A mon avis, les jeunes ne voient pas les choses comme ça. A Anderlecht, c’est devenu trop facile pour les jeunes parce qu’ils savent qu’ils sont sûrs de rester dans l’équipe, quoi qu’il arrive. Ils n’ont plus du tout la même façon de vivre et de voir les choses que les jeunes d’il y a dix ans. Dans le vestiaire, ils sont relax. J’ai parlé devant tout le groupe, pas longtemps avant de partir. J’ai dit : -Celui qui joue ici deux ou trois ans et qui n’est pas champion au moins une fois, c’est scandaleux. Quand tu joues à Anderlecht, tu dois vouloir étriller l’adversaire, chaque week-end. Tu dois vouloir être champion.

Besnik Hasi n’a pas l’air convaincu d’avoir le matériel pour jouer le titre. Encore moins depuis ton départ. Tu le suis ?

GILLET : Point de vue qualité, Anderlecht a la meilleure équipe. Mais on vient de parler de la mentalité… Hasi travaille beaucoup là-dessus, mais si ça ne rentre pas dans la tête des joueurs, qu’est-ce qu’il peut faire d’autre ? Tous les joueurs doivent prendre conscience de ça. Et comprendre qu’il n’y a plus des individualités capables de faire la différence comme Lucas Biglia, Dieumerci Mbokani ou Milan Jovanovic. Cette saison, c’est plus un collectif qui doit le faire !

Tu sens Hasi sous pression ?

GILLET : Anderlecht joue toujours la tête du classement et continue en Europa League en étant sorti d’un groupe très compliqué, donc on ne peut pas dire que l’équipe soit en retard sur le planning. Le problème, c’est que plusieurs résultats restent en travers de la gorge de pas mal de gens. Des matches nuls à domicile, normalement, quand tu es Anderlecht, ça n’arrive pas. Il y a eu trop de hauts et de bas, ça retombe tout de suite sur le coach. Maintenant, Hasi sait que ce club ne change pas d’entraîneur comme de chemise.

On a l’impression que tout le club vit mal l’ascension de Gand…

GILLET : A Anderlecht, c’est clair qu’ils sont surpris. Tout le monde est un peu jaloux de la réussite de Gand. Mais il faut voir les choses autrement. On doit se réjouir qu’il y ait une grande pointure en plus dans le foot belge. Ça ne peut qu’améliorer le niveau. Je sais que c’est difficile à faire comprendre. C’est difficile de se réjouir de l’ascension d’un rival. Mais ça va obliger Anderlecht et les autres à travailler plus et mieux.

PAR PIERRE DANVOYE À NANTES – PHOTOS BELGAIMAGE – VALERY JONCHERAY

 » Jusqu’à la toute dernière seconde, j’ai cru qu’Anderlecht allait me proposer quelque chose de mieux.  » GUILLAUME GILLET

 » J’aurais fini ma carrière à Bastia si la direction avait tout fait dans les temps là-bas.  » GUILLAUME GILLET

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