UNE OMBRE TRÈS PRÉSENTE

Il est le secret le mieux gardé de la maison mauve. Pas une photo, de rares témoignages, et une discrétion à toute épreuve. Mais qui est donc celui qui se profile comme le futur patron d’Anderlecht ? Enquête.

12 septembre 2000. Anderlecht doit affronter le lendemain, à Old Trafford, Manchester United en phase de poules de la Ligue des Champions. Dans le cortège de suiveurs du RSCA, médias et dirigeants se retrouvent la veille du match lors du traditionnel dîner de presse. A l’une des tables, un homme proche de la quarantaine, médiatiquement inconnu, lance pour dérider quelque peu les convives :  » Vous connaissez la différence entre les naufragés du sous-marin Koursk (ndlr, sous-marin russe qui avait coulé le 12 août 2000) et les supporters d’Anderlecht ? Eh bien, il n’y en a pas : ils sont tous mauves et ont tous le gros cou.  »

Le trait d’humour émane d’Alexandre Van Damme, considéré par certains initiés comme la plus grande fortune de notre pays, l’homme à l’origine du rapprochement en 2004 entre InBev et l’entreprise brésilienne AMBEV qui déboucha sur la naissance d’AB InBev, plus grande société brassicole au monde.  » Alexandre Van Damme, c’est une autre planète. A côté de lui, des Roland Duchâtelet et Marc Coucke sont des clodos « , paraphrase un proche de la maison mauve.  » Il ne payait pas de mine, il était très sympa et décontracté, il contrastait avec la rigidité d’autres dirigeants de la maison « , se rappelle le journaliste qui était assis à sa table ce soir-là.

Aujourd’hui, le nom d’Alexandre Van Damme revient de plus en plus avec insistance. Dans son édition du 2 janvier, Het Laatse Nieuws a d’ailleurs vendu la mèche : dès le début février, les actions du club seront renégociables. Aujourd’hui, le duo Vanden StockCollin possède 60 % des parts, le troisième homme est Michael Verschueren (fils de Mister Michel) avec 10 % des actions, les 30 derniers % étant partagés par plusieurs petits actionnaires. Doit-on s’attendre à un chamboulement dans la répartition des parts de marché ? Alexandre Van Damme, qui ne possède que 50 actions sur les 2000, est depuis plusieurs années perçu comme l’homme fort en coulisses, le dirigeant du futur. Une prise de capitale à hauteur de 60 % ne représenterait que des  » cacahouètes  » pour celui dont la fortune personnelle est évaluée par certains économistes, à 3 milliards d’euros en cours de Bourse (avec 2,5 % des actions AB Inbev) – sans prendre en compte les autres participations dans d’autres sociétés et investissements immobiliers.

En 2009, peu avant le passage du club d’ASBL en Société Anonyme, Le Soir évoquait déjà une prise de participation de 40 % par Alexandre Van Damme. L’histoire remonte même bien au-delà. En 1997, certains journalistes le sondent pour savoir s’il serait intéressé par la succession de Constant Vanden Stock. Âgé d’à peine 30 ans, Van Damme rigole alors de la question. Aujourd’hui, le son de cloche semble être bien différent. En mars dernier, dans Sport/Foot Mag, Herman Van Holsbeeck le reconnaissait volontiers :  » Roger Vanden Stock est l’actionnaire principal. Je pense qu’il restera encore à la présidence pendant quelques années mais qu’il songe déjà à sa succession. Tout va dépendre de ce qui va se passer avec les actions. Roger Vanden Stock et Alexandre Van Damme vont régler ça en bonne intelligence. A ce moment-là, je verrai s’il existe une fonction dans laquelle je peux m’épanouir…  »

Un Liégeois à Anderlecht

Alexandre Van Damme est un supporter d’Anderlecht depuis de nombreuses années mais aussi et surtout un homme d’affaires hors-pair, une sorte de synthèse parfaite à l’heure du foot business pour en faire le futur patron du club. C’est ce que l’on pense de lui, du moins ceux qui le connaissent et le croisent. Et ils ne sont pas très nombreux. Ce qui a pour effet de créer le mystère autour de son nom.

Petit-fils d’Albert Van Damme, fondateur de la brasserie Piedboeuf qui lancera la Jupiler, Alexandre Van Damme a étudié à l’Institut Saint-Servais de Liège avant de décrocher une licence d’ingénieur commercial à Solvay.  » C’était un sportif accompli qui faisait du golf et du tennis « , raconte François Fornieri, ami d’enfance et patron de la société Mithra, dont la mère était gouvernante au domicile du père d’Alexandre, Jean Van Damme.  » Adolescent, il voulait toujours être le premier. C’est un gagnant, un battant, il était à mes yeux quelqu’un d’extrêmement brillant.  »  » Il contrastait terriblement avec son père Jean, le bon vivant… Alexandre est l’élève studieux, une sorte d’Harry Potter, mais diablement intelligent… La pinte après la réunion très peu pour lui…. Il peut sembler froid et raide de prime abord… Mais tout le monde lui reconnaît un sens de l’humour. Ce n’est pas non plus quelqu’un de pédant… Quand il débute dans la brasserie de Jupille à la fin des années 80, il arrive tôt, parle avec tout le monde, une attitude très éloignée de celle du fils à papa…  » peut-on lire à son sujet dans le livre, de Belgische Bierbaronnen (les barons de la bière belge), livre sorti en 2009 et écrit par le journaliste de Trends, Wolfgang Riepl qui décrit Alexandre Van Damme aujourd’hui  » comme le nouvel Albert Frère « .

Métro et Claudia Schiffer

A l’image d’autres capitaines d’industrie, Alexandre Van Damme aime le pouvoir. Décrit comme un financier sans état d’âme, il ne laisse pas les considérations sentimentales influencer son analyse.

 » En tant qu’homme d’affaires, il est doté d’une grande intelligence analytique, un stratège qui possède une vision à long terme « , témoigne Charles Adriaenssen, ancien administrateur d’Interbrew.  » Il ne disait jamais de bêtises alors que dans les Conseils d’administration, ils sont nombreux à aimer s’entendre parler. C’est quelqu’un d’un peu atypique dans ce milieu. Alors qu’il était très courant de rencontrer des passionnés de musique classique et d’art ancien, lui préférait un bon match de foot et l’art contemporain.  »

Atypique, le mot est lancé pour celui qui habite dans le centre-ville de la capitale, qui venait en métro au stade jusqu’au début des années 2000, et qui aujourd’hui encore évite les délégations et réceptions officielles.

 » Je me rappelle cette anecdote où il avait pris un concorde pour New York « , prolonge ce proche d’Anderlecht.  » Durant le trajet, il était assis à côté d’une très belle femme avec qui il a pu discuter tout le long. Quelques jours plus tard, il a vu cette fille dans un magazine. C’était Claudia Schiffer… Lui n’en avait jamais entendu parler. Ça vous donne une idée du personnage, quelqu’un qui ne vit pas dans le même monde que le nôtre.  »

Protection totale

Pas du même monde ou plutôt protégé du monde extérieur. Impossible de trouver une photo de lui par exemple. Van Damme, c’est l’extrême opposé des golden boys des années 80 type Bernard Tapie ou d’un Bart Verhaeghe aujourd’hui.

A l’image d’un Albert Frère, qui n’accorde que de très rares entretiens, le jeu de l’exposition médiatique n’en vaut pas la chandelle. Le journaliste, Wolfgang Riepl, peut en témoigner lui qui depuis dix ans envoie par lettre, tous les six mois, des demandes d’interviews. Sans résultat. On peut d’ailleurs confirmer que les connaissances sont également touchées par cette volonté d’en dire le moins possible. Toutes les personnes interrogées (non pas ceux s’exprimant sous couvert d’anonymat), ont semblé plutôt ennuyé de répondre à nos questions.

 » Il a toujours eu cette volonté de protéger sa vie privée. Par confort de vie tout simplement « , estime Charles Adriaenssen.  » Mais ce n’est pas pour autant quelqu’un de renfermé, il aime aller manger son moules-frites avec ses amis quand il en a la possibilité.  »

Si Alexandre Van Damme fuit les médias comme la peste, c’est aussi pour des questions de sécurité. A l’image de son grand-père, Albert – qui ne quittait jamais son berger allemand suite à l’enlèvement de Freddy Heineken en 1983 – Alexandre Van Damme a une peur bleue de connaître ce type de préjudice. Voilà pourquoi, il refuse systématiquement d’être photographié.

 » C’est un grand anxieux « , confirme un membre du RSCA.  » On a le sentiment en le côtoyant qu’il craint que quelque chose lui arrive. Je ne l’ai jamais vu autour d’un des terrains à Neerpede, ni à l’Académie. Il vient par contre au club faire soigner son dos. Mais je mets ma main au feu qu’aucun des joueurs ne le connaît. Tout se fait toujours en totale discrétion avec lui.  »

En duo avec Michael Verschueren

De trente ans son aîné, l’homme d’affaires, l’homme au cornet de frites de la tribune présidentielle, et administrateur du club, Etienne Davignon a longtemps navigué dans les mêmes eaux qu’Alexandre Van Damme :  » S’il est là, à Anderlecht, c’est parce qu’il aime ça et qu’il est un ami de la famille Vanden Stock depuis de longues années. C’est évidemment quelqu’un de très compétent, qui amène des idées. Il fait en sorte d’améliorer la structure, l’organisation du club. Son influence est très utile au club. Mais ce n’est pas quelqu’un qui se mêle du sportif.  »

Michael Verschueren (44 ans), nommé vice-président de l’association européenne des clubs (AEC) en octobre 2013, est l’homme qui monte au sein du club. Quelqu’un pour qui Alexandre Van Damme voue de l’estime et quelqu’un de complémentaire qui ne craint pas la médiatisation. Tel père-tel fils.

 » L’éventualité d’un duo Van Damme-Verschueren à la tête du bateau mauve est la solution la plus plausible « , poursuit un proche du club.  » Chacun dans un registre différent puisque je reste persuadé que Van Damme continuera à rester en retrait, laissant le travail de terrain et médiatique à Michael Verschueren dont le rêve est de devenir directeur général. Il a d’ailleurs toutes les qualités pour être un dirigeant de premier ordre. Reste à voir si l’amitié entre Roger Vanden Stock et Lucien D’Onofrio ne va pas venir brouiller ce schéma.  »

En 2013, un comité, dont faisait partie Alexandre Van Damme, avait été mis sur pied pour surveiller de plus près la comptabilité. Les conclusions furent cinglantes : trop d’argent dans les poches des agents et une masse salariale trop importante. Alexandre Van Damme avait notamment fait remarquer à Herman Van Holsbeeck l’erreur de l’option (2 saisons + 1 campagne en sus) prévue dans le contrat de John van den Brom. Une clause qui s’avéra être une perte financière importante pour le club. Herman Van Holsbeeck en septembre dernier à Sport/Foot Mag :  » Alexandre Van Damme ne s’immisce pas directement dans le sportif mais bien dans la gestion de l’entreprise… Il donne son avis sur ce qu’il voit avec du recul. Il dit ce qu’il pense de Defour mais il n’est pas intrusif au niveau sportif. Par contre, d’un point de vue financier, c’est quelqu’un d’un niveau exceptionnel. Quand je siège à notre Conseil d’administration, je suis parfois impressionné par ceux qui le composent. Emmanuel Van Innis (Suez), Pascal Minne (Petercam), Etienne Davignon, etc. Mais de temps en temps, il faut arriver à leur faire comprendre qu’un club de foot n’est pas exactement comme une société classique.  »

Le futur patron d’Anderlecht semble au contraire vouloir faire d’Anderlecht une entreprise moderne et performante. Et vu son parcours, on aurait tendance à lui faire confiance…

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS: BELGAIMAGE

 » Vous connaissez la différence entre les naufragés du sous-marin Koursk et les supporters d’Anderlecht ?  » Alexandre Van Damme

 » L’éventualité d’un duo Van Damme-Verschueren à la tête du bateau mauve est la solution la plus plausible.  » Un proche du club

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