Une frappe de MULE

Malgré son air engageant, l’Américain est devenu une menace susceptible de durer.

Aux Etats-Unis, le magazine Sports Illustrated a surnommé Andy Roddick (21 ans) Everyman Champ que l’on pourrait traduire par le  » champion ordinaire « . Celui qui est comme tout le monde et non comme la majorité des joueurs et joueuses de tennis.

Certes, le garçon fait partie d’un circuit aux multiples stars. Il descend dans les meilleurs hôtels, participe à des exhibitions en tous genres, touche au métier d’acteur, est invité aux plus grands talk-shows américains et vante les mérites de produits divers dans des publicités mais tout cela est dû avant tout à sa victoire en septembre dernier à l’US Open ainsi qu’à son statut de n°1 masculin, une position qui lui a permis de finir la saison 2003 en beauté.

Certes aussi, on le voit de temps à autre dans les endroits branchés de la jet-set américaine mais c’est parce que depuis 15 mois, il est le fiancé attitré de Mandy Moore, une actrice et chanteuse qui, si elle est loin de Christina Aguilera ou Jennifer Lopez, commence à se forger une réputation outre-Atlantique et qui, donc, connaît Hollywood comme le fond de sa poche.

Sans quoi, Andy Roddick ne serait rien d’autre que ce charmant géant (1m87, 86 kilos) à l’air de chérubin qui, comme tous ses compatriotes, a pratiqué le sport dès son plus jeune âge et est féru de basket et surtout de base-ball.

 » J’ai commencé à comprendre et à gérer certains côtés de ma nouvelle célébrité mais il y a encore beaucoup de moments dans ma journée où je me dis : – Que se passe-t-il ici « …, explique-t-il.  » D’autres Américains avant moi ont accédé à la première place mondiale mais je ne fais pas encore partie de leur catégorie. Chacun d’entre eux est une légende du tennis. Mais moi, je sais que je vais beaucoup devoir travailler pour rester là où je suis « .

Il ne faut pas chercher loin pour trouver les raisons de cette (relative) simplicité. C’est à Omaha, une bourgade où vivent quelque 400.000 âmes paisibles du Nebraska, un Etat situé en plein c£ur des Etats-Unis, qu’il voit le jour le 30 août 1982. Pas la Californie, ni la Floride et encore moins New York. Le Nebraska ! Maintenant qu’il est devenu une VIP, c’est à Austin, Texas, qu’il vient d’acquérir une demeure, modeste qui plus est, et non à SoHo, South Beach ou Bel Air, LES quartiers où il fait bon habiter pour montrer que de l’argent, on en a plein les poches.

Dixième joueur mondial fin 2002, Roddick est devenu le sixième Américain à monter sur la plus haute marche du podium et le plus jeune depuis John McEnroe. Il a certes connu une incroyable saison mais son ascension s’est produite en deux temps : il y a l’avant et l’après Roland Garros.

Opposé au premier tour à Sargis Sargsian, un modeste Arménien plus connu pour ses aptitudes sur ciment, Roddick y est évincé dès le premier tour. Cette défaite agit sur lui comme un électrochoc. Abattu par cette défaite qui fait grand bruit, il ne mettra cependant que quelques jours pour se redresser… et appeler à la rescousse l’ancien joueur devenu coach à succès Brad Gilbert, au chômage depuis sa séparation d’avec Andre Agassi en février 2002. Roddick en est persuadé : s’il veut franchir un nouveau palier, et atteindre les sommets dont on lui a tant parlé, il doit mettre fin à sa collaboration avec Tarik Benhabilès, l’ancien joueur français qui s’occupe de lui depuis le mois d’août 1999.

Une énorme confiance en lui

Ce dernier fut l’entraîneur idéal lorsque Andy n’était qu’un junior prometteur. Il lui inculqua la confiance en ses moyens et lui apprit à se comporter en vrai professionnel.  » Mais nos visions du tennis ne coïncidaient plus et notre relation risquait à terme d’en pâtir « , expliqua Roddick.

On imagine la frustration du Français qui se vit retirer des mains un joyau au moment précis où il fallait le polir. Et si la séparation s’est faite à l’amiable comme on a coutume de dire dans pareilles circonstances, le téléphone ne doit plus beaucoup sonner aujourd’hui entre les deux anciens comparses. D’autant que dans son discours d’après US Open, Brad Gilbert fit preuve d’un manque de classe évident en ne citant à aucun moment le nom de Benhabilès. Comme si la réussite actuelle de son poulain lui était entièrement due ! Ainsi va la vie sur le grand carrousel du tennis professionnel. Les amitiés d’un jour sont rarement celles du lendemain.

Reste que l’apport de Gilbert, qui porta Agassi vers les sommets que l’on sait, fut indéniable. Depuis cette défaite honteuse sur l’ocre de Paris, Roddick entra dans une autre dimension. Il s’imposa sur le gazon du Queen’s, tomba en demi-finales à Wimbledon face au futur vainqueur Roger Federer en état de grâce, et connut un succès sans précédent sur son ciment favori en enchaînant des succès à Indianapolis, Toronto et Cincinnati avant l’apothéose à Flushing Meadows.

Capable de servir à plus de 230 kilomètre par heure, Roddick est le prototype même du joueur du nouveau millénaire. Tout le contraire de son nouveau mentor qui devint réellement célèbre le jour où il écrivit son livre Winning ugly, ou comment gagner… en jouant un tennis affreux.

Il y a chez Roddick la même passion qui brûlait jadis chez John McEnroe ou Jimmy Connors. Mais celui qui symbolise la relève du tennis US ne possède pas le quart du talent de ses glorieux aînés.

Ce qui n’empêche pas son tennis d’être plus efficace.  » Sur chaque balle, Andy aime dicter l’échange. Il vous impose sa volonté « , explique James Blake, autre membre de la new generation américaine.  » C’est pourquoi il se trouve là où il est « .

Et c’est vrai qu’en voyant £uvrer Roddick, on ne peut que plaindre son adversaire. Non seulement ses services laissent souvent sans réaction mais le garçon frappe sur chaque balle comme si sa vie en dépendait. Et ça reste dans le court !

Brad Gilbert le traite comme son fils

Telle est la grande différence entre le Roddick de la première partie de la saison ou des années passées, perturbé qui plus est par plusieurs blessures, et celui qui domine actuellement le classement mondial. Gilbert répète à l’envi qu’il n’a pas hésité une seconde lorsque Andy l’appelle. Comme il pourrait, au fond, être son propre fils, il n’eut aucun mal à cerner le personnage ainsi que ses faiblesses.

Gilbert a beau l’air d’être le plus cool des entraîneurs, il n’en est pas moins un gars très pointilleux. La première chose qu’il fit ne fut pas de chercher à calmer la force de frappe de son élève mais de l’utiliser plus intelligemment. Là où Benhabilès avait tendance à exagérer l’importance d’un match, Gilbert se pose en sage zen, toujours prêt à dédramatiser la situation. Ainsi, le jour de la finale de l’US Open, qui reste jusqu’à présent le plus grand match de la carrière de Roddick, l’entraîneur poussa son poulain à jouer à des jeux vidéos avant de monter sur le court !  » Il vaut mieux garder l’intensité et l’énergie pour le moment où l’on pénètre sur le terrain « , glisse-t-il, sourire en coin.

L’exécution en trois sets du malheureux Juan Carlos Ferrero prouve que la nouvelle tendance est la bonne. Pas une minute, pas une seconde, Roddick ne trembla. Il eut beau jouer la finale du tournoi que tout Américain rêve de gagner un jour, devant 21.000 personnes acquises à sa cause, ce fut, et de loin, son meilleur match du tournoi. Monter en puissance et ne plus rater les grands rendez-vous fait désormais partie de son répertoire de champion hors norme.

Selon beaucoup d’Américains, Andy est hautement apprécié sur le circuit. C’est l’homme des farces en tous genres, celui qui vous prend pour son frère, qui vient vous frapper sur l’épaule ou qui vous sort une bonne blague au moment où l’on s’y attend le moins. L’incident avec Ivan Ljubicic au terme d’une empoignade de toute beauté à l’US Open prouve toutefois qu’il n’en est rien, du moins si l’on en croit le Croate qui n’hésita pas à l’accuser publiquement d’exciter le public par son attitude de grand manipulateur tout en prétendant que le vestiaire masculin grouillait de joueurs qui souhaitaient sa perte.

Tandis que la majorité de ses collègues aurait laissé tomber, Roddick, mis au parfum de telles accusations, décrocha son téléphone pour appeler Ljubicic à son retour à l’hôtel et lui demander des explications. Il était… près de deux heures du matin ! L’incident n’alla pas plus loin.  » Quand j’ai un problème avec quelqu’un, je préfère le régler entre quatre yeux. J’aurais préféré qu’Ivan agisse de la sorte plutôt que d’aller se plaindre à la presse « , vint expliquer un Roddick qui démontra pouvoir être mûr quand la situation l’imposait.

Même si Roger Federer a prouvé qu’on pouvait battre la nouvelle terreur des courts, nul ne sait où s’arrêtera l’Américain. Car, comme l’estime Brad Gilbert :  » Il peut tout améliorer d’au moins 20 % « . Si le revers du garçon arrive un jour à la cheville de son coup droit et s’il avance un peu plus dans le terrain au lieu de frapper ses coups depuis les tribunes, Roddick peut devenir moins tributaire de son service et constituer une menace susceptible de durer.

Florient Etienne

 » Parfois je me demande CE QUI SE PASSE  »

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