Une fédé vache à lait !

Dury qui s’en va, Thans qui arrive, Leekens qui régente tout, Martens qui se justifie constamment, le coût de la scission, etc. Enquête.

En pleine conférence de presse de présentation des nouveaux visages de l’Union belge, un journaliste demande à BenoîtThans ce qu’il compte faire dans ses fonctions de directeur technique national (DTN) à la place d’un Michel Sablon qui part à la retraite. Georges Leekens croit bon d’intervenir :  » Rassurez-vous, je vais lui donner beaucoup de travail.  »

Cette réponse est significative. Long Couteau est le patron. Le vrai boss de l’Union belge. Le calife à la place de ceux qui devraient être les califes : le président François DeKeersmaecker et le CEO Steven Martens. Sans omettre Philippe Collin, qui chapeaute l’équipe nationale.

Leekens inverse les rôles. Le coach d’une équipe nationale ne doit pas dire à un DTN ce qu’il doit faire. Mais c’est Leekens, aussi, qui explique à la presse que l’Union belge a reçu de nombreuses candidatures pour le poste d’entraîneur de l’équipe des Espoirs et qu’on prendra le temps de les examiner. Là encore, ce n’est pas le job d’un sélectionneur. D’ailleurs, Leekens devrait avoir assez de pain sur la planche avec ces Diables Rouges, absents au prochain Euro. Mais il y a un problème quand il fourre son nez dans d’autres dossiers que les siens : personne n’ose lui dire que ce n’est pas son domaine. C’est que le Roi Georges prouve ce qui est connu depuis longtemps : il règne sans partage sur la Maison de Verre. C’est inquiétant. Si Francky Dury est parti, c’est aussi parce que le grand Georges était constamment dans sa foulée. Dury ne le dira jamais mais il avait compris que Leekens, finalement, dirige tout, fait tout, décide tout sous les boules de l’Atomium. En 1998, son côté omnivore lui avait valu de grosses tensions avec Sablon.

Ici, en prenant tout de suite l’ascendant sur Thans, il a limité son rôle. Normalement, le DTN définit la ligne à suivre, choisit les coaches. Ici pas. Leekens est juge et partie. De Keersmaecker et Collin sont incapables de lui résister. La marge de man£uvre de Thans est limitée. Bref, on se demande si le tennisman de formation Martens résistera au boulimique Leekens et à l’apathie de Collin et De Keersmaecker ?

Le règne des doubles casquettes

Thans, lui, était mercredi passé à Barcelone pour commenter le Clásico espagnol aux côtés de MarcDelire sur Belgacom TV. Est-ce bien ce que l’on attend d’un directeur technique ? Thans n’a pas peur d’affirmer clairement qu’il respectera ses contrats en cours avec les médias :  » J’ai besoin de liberté.  »

En revanche, il ne cumulera pas sa fonction de directeur technique avec le poste qu’il occupait à l’ACFF, l’aile francophone de la fédération (mais pas encore reconnue par le Conseil supérieur du sport), ni avec le poste de sélectionneur des Espoirs. On cherche donc l’homme idéal dans les deux cas.

Steven Martens comprend qu’on puisse s’inquiéter de la double casquette fédération-médias portée par Thans :  » Ce n’est que temporaire. Il avait des contrats en cours avec les médias et tient à les respecter. Je rappelle que, dans un premier temps, c’est Dury qui avait été engagé afin d’assurer la succession de Sablon, qui prendra sa retraite en juin. Mais Dury nous a quittés pour rejoindre Zulte Waregem. Thans, lui, avait été engagé par la Fédération pour devenir le directeur technique de l’ACFF. A ce titre, il avait déjà collaboré avec Dury dont il était en quelque sorte le bras droit. Face au vide laissé par le départ de Dury, nous lui avons proposé de rejoindre la coupole fédérale pour occuper les mêmes fonctions et poursuivre dans les grandes lignes le plan que le coach de Zulte Waregem avait déjà ébauché. Cela ne me dérange pas qu’il officie comme consultant télé le week-end. En revanche, lorsqu’il s’absente un ou deux jours en semaine pour partir à l’étranger, c’est plus ennuyeux.  »

De toute façon, c’est une habitude à la fédération où l’attaché de presse Stefan Van Loock, le T2 des Diables Marc Wilmots et l’entraîneurs ad intérim des Espoirs Jean-François Remy sont aussi actifs dans le médias (respectivement VTM, RTBF et BeTV). L’arbitre, SébastienDelferière travaille d’ailleurs aussi à l’Union belge où son père porte plusieurs casquettes. Et cela ne dérange personne non plus…

Les subsides du ministre flamand des Sports

Martens précise que Thans n’est pas le patron des Diables Rouges : ses prérogatives commencent avec les U21 et descendent jusqu’aux catégories les plus basses. Elles comprennent aussi les dames et le futsal :  » Thans est responsable de la formation des jeunes et de celle des entraîneurs. L’école des entraîneurs est aussi placée sous sa responsabilité. L’Union belge est une structure pyramidale : il y a toute la base du foot amateur pour qui le sport est un loisir, et il y a le foot-élites. Pour l’aider dans sa tâche, Thans a toute une équipe à sa disposition. « 

Martens reconnaît que le rôle de Leekens dépasse celui de simple sélectionneur.  » Son charisme est utile dans les relations avec la presse, mais aussi avec les sponsors et partenaires. Il officie comme ambassadeur des Diables Rouges. Leekens n’a pas d’ordre à recevoir de Thans, mais les deux hommes s’entendent très bien et vont collaborer. Thans continuera aussi à aider l’ACFF afin qu’elle comble le retard qu’elle accuse par rapport à l’aile néerlandophone. « 

On sait qu’au nord du pays, la volonté séparatiste est plus grande qu’au sud, où l’on n’était pas nécessairement demandeur d’une scission. Est-ce la raison pour laquelle l’aile néerlandophone est déjà plus développée ?  » Non ! « , coupe Martens.  » Simplement, il y avait déjà des subsides prêts à être distribués au nord du pays à l’époque de l’ancien ministre des Sports, BertAnciaux. Dès la création de l’aile néerlandophone, la manne s’est ouverte et on a pu commencer à engager des entraîneurs. Au sud, AndréAntoine est désormais prêt, lui aussi, avec son plan football. Il n’attend que la reconnaissance de l’ACFF pour distribuer des subsides.  » (Une matière très délicate comme le démontre l’encadré  » La VVF coûte 700.000 euros par an à l’Union belge !  » ).

Un sport à deux vitesses

Malgré une décennie entière sans participation à une grande compétition, les finances de l’Union belge ne sont pas dans le rouge explique Martens :  » La Commission marketing a très bien travaillé : elle a déniché de nouveaux partenaires, obtenu un bon contrat TV. C’est vrai aussi pour la Coupe de Belgique : les stades n’affichent pas complet, mais Cofidis est un bon sponsor et les contrats TV passés avec la RTBF sont intéressants.  »

Le 11 février, les clubs devront se prononcer sur le projet d’une nouvelle formule pour la Coupe : sans aller-retour mais avec, peut-être, des têtes de série. Mais plutôt que de laisser les dirigeants de clubs se prononcer en fonction des intérêts particuliers de chacun (comme cela avait été le cas lors de la réforme du championnat de D1), il faudrait qu’une personne au-dessus de la mêlée tranche dans l’intérêt du football belge.

 » Mais nous sommes tenus par les règlements de l’Union belge « , explique Martens.  » Ceux-ci précisent que, pour toute modification au règlement d’une compétition, il faut un vote des différentes Ligues concernées : la Pro League, celle de D2, celles des divisions inférieures… l’URBSFA est une institution démocratique. Trop de démocratie peut-il nuire ? Je ne le pense pas. Je sais que cela énerve les gens lorsqu’ils entendent : – LeComitéexécutif adécidéque… Mais c’est son rôle de décider. Il y a des gens qui lui suggèrent des idées, comme la Commission nationale d’étude (CNE), et il doit se prononcer. Le Comité exécutif a le rôle du conseil d’administration au sein d’une entreprise.  »

Comme Martens, Thans doit se justifier…

Martens, on le sait, est issu du monde du tennis. Le fonctionnement des deux sports est-il différent ?  » Selon moi, non. Certes, on ne peut pas demander à un entraîneur de tennis de devenir entraîneur de football, et vice-versa. Mais, à partir du moment où il s’agit d’organiser et de structurer, je ne vois pas où se situe le problème. Les exigences sont les mêmes lorsqu’on organise le tournoi de Wimbledon ou de Roland-Garros, que lorsqu’on organise une Coupe du Monde ou un Championnat d’Europe. Et les exigences des footballeurs professionnels sont, dans les grandes lignes, les mêmes que celles des tennismen professionnels. Lorsqu’on dirige une fédération, il y a cinq grands axes : gagner, gérer, organiser, développer et mener « .

Vendredi dernier, Thans a pris possession de son bureau au centre national de Tubize : son nouveau cadre de travail. Du premier étage, sur le coin, il a vue sur tous les terrains. Un peu comme Herman Van Holsbeeck au centre de formation et d’entraînement de Neerpede. D’emblée, il a une réunion avec Martens. Histoire de définir les priorités, d’établir les stratégies.

Thans :  » Je compte superviser le travail des entraîneurs, visionner beaucoup de matches, me rendre dans les provinces. Je veux diffuser mes idées sur tous les terrains du pays, rencontrer les coordinateurs, aller vers les clubs. Me poser certaines questions, aussi. Du style : quel est le nombre de joueurs idéal pour une équipe d’U12 ? Pourquoi les équipes Espoirs ne disputent-elles toujours pas le championnat de D3 ? »

Sur son ordinateur, les messages se sont accumulés en son absence pour cause de consultance télé à Barcelone… Certains exigent des réponses plus urgentes que d’autres. Thans est-il l’homme de la situation ? Il véhicule, par exemple, une image d’arriviste et de gentil qui caresse toujours dans le sens du poil.  » Je ne me fâche pas facilement « , reconnaît-il.  » Mais j’ai toujours su prendre des décisions et je continuerai à le faire.  » Et ses compétences ?  » Je pense avoir fait mes preuves dans l’événementiel et l’organisationnel. Le tournoi EdhemSljivo est une réussite depuis 20 ans. J’ai créé une école de foot qui fonctionne bien depuis 15 ans dans la région liégeoise. J’ai un vécu dans le monde du football : j’ai joué 23 ans dans différents pays.  »

N’est-il pas – aussi – l’homme d’ André Antoine ?  » Le ministre des Sports de la fédération Wallonie-Bruxelles m’a, effectivement, chargé – avec d’autres – d’une mission consistant à dresser un état des lieux du football en Wallonie, afin d’établir les critères pour la distribution des subsides. Cette notion de critères est très importante : s’il y a de l’argent disponible, il faut qu’il aille à ceux qui le méritent et qui en ont besoin. Mais ce n’est pas Antoine qui m’a placé à l’Union belge. J’ai eu trois discussions positives avec Collin, deux avec De Keersmaecker. Leekens a plaidé ma cause alors que je n’étais pas demandeur. J’ai accepté avec enthousiasme.  »

Au nord du pays, ne risque-t-il pas de porter le poids d’une étiquette trop wallonne ? Il fait souvent référence à l’ACFF, l’aile francophone de la fédération en voie de reconnaissance.  » Oui, parce que je souhaite avoir une uniformité. Il y a cinq écoles top-sport en Flandre et seulement trois foot-élites en Wallonie : à Liège, à Mouscron et à Tubize. Il en faudrait plus. Dans le Namurois ou le Luxembourg, par exemple. Il y a du talent là-bas, mais les jeunes joueurs doivent parcourir trop de kilomètres pour accomplir leur formation. Mais j’irai voir en Flandre aussi, rassurez-vous. J’ai été joueur à Westerlo, ne l’oubliez pas. Et je suis bien accueilli au nord du pays. « 

La formation, selon Thans, n’est pas aussi mauvaise qu’on veut bien le dire en Belgique.  » Les clubs de D1 commencent à se mettre à niveau. C’est surtout dans les divisions inférieures que le bât blesse : les infrastructures posent problème. « 

Thans est séduit par son nouveau cadre de travail.  » Comme joueur, j’ai réussi mes meilleures saisons dans des clubs à l’ambiance familiale, où régnait un véritable esprit d’équipe : Liège, Westerlo, Lens… Je ressens cet esprit d’équipe à l’Union belge également. De Keersmaecker a été critiqué. Dans son domaine, je l’estime compétent. Et c’est lui qui, avec l’approbation du Comité exécutif, a accepté cette restructuration, avec l’engagement de nouveaux directeurs. Je considère cela comme une preuve d’intelligence. « 

Urgence : trouver un coach des Espoirs

Outre la nomination de son successeur à la tête de l’ACFF, l’une des priorités de Thans sera l’engagement d’un nouveau sélectionneur pour les Espoirs. Cela se fera donc en concertation avec Leekens. L’Union belge veut prendre son temps pour ne pas se tromper. Les candidatures, semble-t-il, ont afflué. Enzo Scifo pourrait-il convenir ?

 » Il est, à mes yeux, l’un des quatre ambassadeurs du football belge, avec MichelPreud’homme, Eric Gerets et Jan Ceulemans. C’est complètement anormal qu’il se retrouve sans rien actuellement. Je ne sais pas s’il accepterait le poste chez les Espoirs, je n’ai pas eu de contacts avec lui. Gert Verheyen aussi pourrait convenir. D’accord, il est consultant, mais si tant d’anciens footballeurs se lancent dans la consultance, c’est parce qu’on rechigne à faire appel à eux dans le monde du football.  »

Le job est-il suffisamment attractif ? On met rarement les équipes de jeunes en lumière et, financièrement, ce sont souvent des cacahuètes qui sont proposées.  » C’est à nous de rendre le job attractif « , rétorque Thans.  » Et cela doit commencer à tous les niveaux. A part les scouts, qui voit-on dans les tribunes lors des matches de jeunes ? « 

PAR PIERRE BILIC ET DANIEL DEVOS – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Leekens n’a pas d’ordre à recevoir de Thans, mais les deux hommes vont collaborer.  » (Steven Martens)  » Lorsqu’on dirige une fédération, il y a cinq grands axes : gagner, gérer, organiser, développer et mener.  » (Steven Martens)  » J’ai un vécu dans le monde du football : j’ai joué 23 ans dans différents pays.  » (Benoît Thans)

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