Une faim de Loup

Héros du huitième de finale en Coupe à Genk, le portier louviérois rêve de disputer l’apothéose au Heysel.

Des considérations extra-sportives, lisez la mise en vitrine de Silvio Proto, seraient-elles donc à l’origine de la non-titularisation de Jan Van Steenberghe entre les perches de la RAAL pour les besoins des deux derniers matches des Vert et Blanc contre La Gantoise et l’Antwerp? Le gardien flandrien du Tivoli ne peut s’empêcher de réfréner un sourire en coin à cette interrogation qui n’en finit pas d’alimenter à la fois les conversations et les chroniques sportives ces derniers temps.

Jan Van Steenberghe: Si j’avais été le seul footballeur louviérois à faire l’objet d’une tournante, comme l’a décrété Ariel Jacobs dans l’optique des échéances à venir et, en particulier, la finale de la Coupe de Belgique, il va de soi qu’il y aurait eu de quoi se poser des questions. Mais puisque cette mesure a également été d’application à une figure aussi emblématique que Thierry Siquet, et que pas moins de 17 éléments du noyau ont été passés en revue à l’occasion du match amical que nous avons livré face à Sedan, mercredi passé, je ne vois pas pourquoi il faudrait crier à l’injustice. Certains rétorqueront sans doute qu’une rotation s’impose davantage dans le chef des joueurs de champ que des gardiens. Mais je ne suis pas tout à fait d’accord à ce propos, tant il est vrai que tout peut aller très vite, dans un sens comme dans l’autre. Je n’en veux pour preuve que le récent Anderlecht-St-Trond à la faveur duquel Dusan Belic, le keeper indéracinable des Canaris, a dû céder sa place, suite à un contact anodin avec Nenad Jestrovic, au jeune Bram Castro, visiblement tout étonné de devoir effectuer ses grands débuts en pareilles circonstances. Ce qui est arrivé à ce garçon peut tout simplement survenir à tout le monde.

Pour vous, il n’en était pas allé autrement puisque c’est au pied levé que vous aviez dû remplacer Silvio Proto lors du huitième de finale de la Coupe de Belgique à Genk?

Auparavant, j’avais déjà eu l’opportunité de me signaler pour mes couleurs contre Malines, en championnat. J’avais toutefois pu me préparer mentalement à cette rentrée, dans la mesure où Silvio Proto avait dû déclarer forfait en raison de problèmes au genou. Au Racing, en revanche, j’avais été appelé à monter au jeu en cours de partie suite à l’exclusion de mon concurrent après un accrochage sur Wesley Sonck dans la surface de réparation. Etre confronté d’emblée à un coup de réparation n’est pas une situation évidente, croyez-moi. D’autant plus qu’il gelait à pierre fendre ce soir-là. En dépit du fait que j’avais les pieds frigorifiés, je n’avais cependant pas peur. Au contraire, j’étais même extrêmement confiant. Avant le match, j’avais dit à Silvio Proto que si d’aventure Wesley Sonck était amené à devoir botter un penalty, il devait absolument essayer de faire en sorte que le Footballeur Pro de l’Année choisisse le coin droit, où il s’était déjà fourvoyé à deux reprises ces derniers mois. En prenant place dans le goal, j’ai veillé à ce que le buteur favorise cette option en ne me plaçant pas tout à fait au milieu du but et, surtout, en prenant soin de feinter à gauche. Visiblement désorienté, le goal-getter du Racing voulut changer d’avis au dernier moment mais loupa complètement sa frappe qui passa royalement au-dessus du but. Par la suite, lors de l’épreuve des tirs au but, j’ai encore eu la chance de mon côté en intervenant avec à propos sur les envois de Josip Skoko et Didier Zokora. « A l’Antwerp, je me suis inspiré des problèmes de Feys »

Ce rôle de héros c’était une revanche sur le sort?

Oui, sans conteste. Car je me suis demandé, à un moment donné, ce que j’avais bien pu faire au bon dieu pour avoir tant de poisse à La Louvière. Jusqu’à mon transfert dans la région du Centre, tout s’était toujours déroulé comme dans un rêve pour moi. Pendant des années, j’avais eu rang d’incontournable à l’Eendracht Alost où je m’étais fait valoir pendant une demi-douzaine d’années sans jamais subir le moindre pépin physique ou contretemps sportif. Et voilà qu’au Tivoli, je devais subitement composer avec ce double aspect. Au départ, tout paraissait pourtant prometteur puisque Marc Grosjean m’avait promu titulaire au moment d’aborder la campagne 2000-01. Après cinq matches, qui s’étaient soldés par quelques couacs de dimension contre Lokeren, le GBA, le Standard, le Club Bruges et Harelbeke, l’entraîneur décida de m’écarter au profit de Didier Xhardez. Celui-ci allait être confirmé dans ses fonctions quand Daniel Leclercq prit la relève. Entre le Français et moi, pour tout dire, ce ne fut jamais le grand amour. Honnêtement, je n’ai jamais eu qu’à me louer de tous les coachs avec lesquels j’ai travaillé pendant ma carrière, de Jan Ceulemans à Ariel Jacobs. Si le meilleur fut, à mes yeux, Barry Hulshoff, le pire, sans conteste, était le prétendu druide français. Pour ce personnage-là, aussi hautain qu’imbuvable, je n’ai eu et je n’aurai jamais que du mépris. C’était un moins que rien, aussi simple que cela. Et je pense que son appréciation envers moi était en tous points semblable. Je ne suis pas près d’oublier qu’il me força un jour à rester sur le terrain, alors que je pressentais une très sérieuse déchirure musculaire. Elle n’était pas encore guérie qu’il m’exhorta à reprendre les entraînements, sous prétexte qu’il ne pouvait se passer de moi. Résultat des courses, ce fut la rechute. Lorsque je revins dans le parcours, des semaines plus tard, c’était pour apprendre que ma place était désormais dans le noyau B. Inutile de dire que je n’ai pas pleuré au moment où il a été congédié.

Pourtant, quand Ariel Jacobs a pris la relève, à l’automne 2001, vous avez préféré privilégier un prêt à l’Antwerp pour une période de six mois.

J’avais besoin de me ressourcer et le club anversois m’en offrait la possibilité. Il n’était pas question d’un départ définitif mais d’une parenthèse d’une demi-année afin que je retrouve mes sensations dans un autre entourage. A cet égard, même si je n’ai pas joué une seule minute en championnat, cette petite éclipse m’aura été très profitable. J’ai beaucoup appris à Deurne. Au contact de l’entraîneur des gardiens, Wim Cooreman d’abord, qui m’enseigna à nouveau les gammes du keeping. Et puis, je dois beaucoup aussi à Yves Feys. Celui-ci se relevait, à l’époque, d’une grave blessure à l’épaule et je me suis inspiré de son formidable exemple pour mettre les bouchées doubles à l’entraînement. L’équité commande de dire aussi que l’ambiance était extraordinaire au Bosuil. Pour quelqu’un, comme moi, qui avait vécu tant d’heures sombres, c’était le bonheur. Aujourd’hui encore, j’ai gardé le contact avec bon nombre de mes anciens partenaires là-bas comme Patrick Goots, Stefan Leleu, Karel D’Haene et Tony Sergeant. On se téléphone régulièrement et il nous arrive même d’aller manger un bout ensemble. Après une demi-saison là-bas, j’étais complètement requinqué. Et c’est avec un moral d’enfer que je suis revenu au Tivoli, où j’étais prêt à vendre chèrement ma peau pour retrouver ma place de titulaire. C’était cependant compter sans la poisse, sous la forme d’une fracture de l’auriculaire au tout début de la campagne de préparation. Du coup, le revenant Silvio Proto eut la préséance. Depuis lors, nous avons joué quelquefois à saute-mouton pour le poste de numéro 1. Pour le moment, il jouit des faveurs de l’entraîneur, pour les motifs que l’on sait. En principe, je devrais le relayer à l’occasion des matches à venir. Sur base de ce que nous aurons montré tous les deux, je présume qu’Ariel Jacobs fera son choix pour la finale de la Coupe de Belgique. Un match que nous ambitionnons de jouer chacun de notre côté, c’est sûr. »La finale? Le point culminant de ma carrière »

Pour vous et pour votre club, que représente cette apothéose au Heysel?

Pour moi, ce serait ni plus ni moins le point culminant de ma carrière, même si j’ai eu le bonheur de livrer quelques matches européens avec l’Eendracht Alost. Ce sommet est d’autant plus important que je suis en fin de contrat et qu’un bon match, de ma part, est susceptible de faire grimper ma cote. Il n’en va pas autrement pour La Louvière, présentée trop souvent comme la petite souris grise du championnat. A mes yeux, c’est profondément injuste car bon nombre d’autres équipes ne peuvent sûrement pas se targuer de proposer un football beaucoup plus chatoyant que le nôtre. Je me demande dans quelle mesure l’équipe n’est pas quelque peu victime du contexte dans lequel elle doit s’exprimer. Ce n’est un secret pour personne que le Tivoli, avec son infrastructure peu à la page et ses vestiaires exigus, ne recueille pas vraiment les faveurs, ni chez l’adversaire ni chez ses supporters. Peut-être y a-t-il tout simplement amalgame, alors que Westerlo, avec sa cuvette pimpante pour un football à l’aune du nôtre, suscite une tout autre considération.

Mons n’a pas des installations exceptionnelles et les accommodations pour les joueurs sont obsolètes. Il n’empêche que les Dragons ont la cote. N’est-ce pas dû à la qualité de leur football?

Mons a eu la chance, cette saison, de pouvoir concilier le bon – à savoir les points – avec le beau – lisez le spectacle. Le malheur, chez nous, c’est que l’équipe n’a jamais été récompensée pour la qualité de son football quand elle l’aurait mérité. Je me souviens d’un match d’anthologie contre St-Trond où nous avons été battus 1-2. Ou encore ce partage 2-2 face à Genk. Et qu’ont donc fait les quotidiens au lieu de mettre en exergue la qualité de notre performance? Ils se sont attardés sur la petite forme des joueurs limbourgeois. Par contre, quand La Louvière fait 1 à 0 contre Lommel après un match minable, les mêmes journaux insistent sur la pauvreté du spectacle de notre côté. C’est triste car, dans l’ensemble, nous méritons davantage de considération. Nous ne dispensons peut-être pas toujours un football enthousiasmant. Mais nous valons bien plus que ce que certains veulent bien faire croire. Et j’ose espérer que nous aurons l’occasion de remettre les pendules à l’heure au Heysel. Ce jour-là, toute la Belgique aura les yeux rivés sur nous. Ce sera l’occasion de montrer que La Louvière ne dispute pas cette finale par hasard. Comment pourrait-il en être autrement, d’ailleurs, pour une équipe qui a éliminé Genk et le Standard?

Avec Jan Van Steenberghe dans ses buts!

Exactement. Et comme le veut le dicton: jamais deux sans trois. St-Trond est prévenu.

Et Silvio Proto aussi?

Oui, car j’ai vraiment une faim de loup (il rit)

Bruno Govers

« Je n’aurai jamais que du mépris pour Leclercq: c’était un moins que rien »

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