Une belle philosophie

Après un bon Mondial 2006 devant son public, la Mannschaft mise sur une place en finale.

Le siège de la fédération allemande de football, à Francfort, est entouré de verdure. Le Waldstadion de l’Eintracht Francfort se trouve juste en face du bâtiment abritant la Deutscher Fussball-Bund. Joachim Löw, le coach fédéral, n’est qu’à un quart d’heure de l’aéroport ou de la gare internationale. Sans parler du réseau d’autoroutes qui relient Francfort au reste de l’Europe.

En août 2006, lorsque Jurgen Klinsmann annonça qu’il se retirait de l’équipe nationale après l’avoir amenée à la troisième place du Mondial, il allait de soi que son adjoint, Joachim Löw, lui succède. Löw est l’un des trois sélectionneurs de l’histoire de l’Allemange à n’avoir jamais été sélectionné en équipe A mais en octobre, la Mannschaft fut la première équipe à se qualifier sur le terrain pour l’Euro, une compétition qu’elle a déjà remportée en 1972, 1980 et 1996.

A quel type de football vous attendez-vous lors du prochain Euro ?

Joachim Löw : Ce sera le championnat d’Europe le plus difficile de tous les temps. Onze des seize pays qualifiés pour les huitièmes de finale du Mondial étaient européens. En quarts de finale, nous étions encore six et en demi-finales, nous étions quatre. Au cours des deux dernières années, tous les grands pays d’Europe ont progressé. D’un point de vue tactique, de nombreuses équipes évolueront en 4-5-1, avec un attaquant de pointe et un entrejeu compact, ce qui permet de repartir très rapidement de l’avant. En deux ans, le rythme a beaucoup augmenté. Les huit équipes qualifiées pour les quarts de finale de la Ligue des Champions étaient toutes capables de jouer 90 minutes à fond. Techniquement, c’était de très haut niveau et tactiquement, j’ai vu peu d’erreurs. Je m’attends à la même chose à l’Euro.

Selon les statistiques, les joueurs courent de plus en plus…

Ce qui compte, c’est le nombre de mètres parcouru à vitesse élevée, même sans ballon. Il y a encore des progrès à faire dans ce domaine. Notamment sur les actions courtes, où l’explosivité joue un grand rôle. Pour cela, il faut être au top sur le plan physique. Pour être meilleur, il faut être prêt physiquement et mentalement mais aussi connaître son rôle sur le terrain. Il y a plusieurs façons de gagner mais il faut surtout être prêt à donner le meilleur de soi-même, repousser les frontières de la douleur. Lors du Mondial, face à l’Argentine, Torsten Frings s’est donné à fond. Nous avons besoin de joueurs comme lui dans un grand tournoi.

Il y a quatre ans, la Grèce avait surpris tout le monde. Pensez-vous qu’un outsider puisse encore s’imposer ?

Je ne vois pas de grand favori. L’Italie, la France, l’Allemagne, le Portugal et peut-être l’Espagne peuvent se considérer comme tel mais tout le monde peut battre tout le monde. La Grèce peut vaincre l’Espagne, la Russie aussi. J’ai vu les matches du Zenit Saint-Petersbourg qui aligne sept internationaux russes. C’était du très haut niveau. Pourquoi la Turquie ne battrait-elle pas la République tchèque ? Pourquoi la Suisse ne pourrait-elle pas venir à bout du Portugal ? Seule l’équipe qui sera capable de disputer six matches de haut niveau pourra prétendre au titre de championne d’Europe. Aucun pays ne peut se permettre la moindre baisse de régime, même pas au cours du premier tour.

Vous n’avez pas hésité à mettre la pression en déclarant que vous visiez la finale. Votre équipe est-elle prête à cela ?

Je n’ai pas peur de mettre un peu de pression. Avant le Mondial, il y en avait aussi car nous devions réaliser une bonne prestation devant notre public. Mais nous avions et nous avons toujours des joueurs capables de résister à cette pression. Chaque équipe a besoin d’un minimum de pression pour arriver à un résultat. Cela peut avoir un effet positif. L’Allemagne n’a plus gagné un seul match de phase finale d’EURO depuis la finale 1996. Essayons de franchir le premier tour en gagnant chaque match et en offrant aux supporters ce qu’ils attendent de nous. En 2006, lorsque nous avons été battus par l’Italie, les fans étaient déçus du résultat mais ils ne nous en voulaient pas car ils savaient que l’Allemagne avait tout donné.

Comment gérez-vous le cas des internationaux qui ne jouent pas dans leur club, comme Lehmann à Arsenal ?

Il y a des joueurs dont je sais qu’ils sont capables de livrer un bon match et d’apporter ce que j’attends en misant sur leur expérience, même s’ils ne jouent pas chaque semaine. Jens Lehmann en fait partie. Il a de l’expérience et de la classe et parvient à se concentrer car il est très fort mentalement. Avant le Mondial, la présence dans le noyau d’Oliver Kahn le soumettait à une pression énorme. Pour beaucoup, Kahn était le numéro un mais Lehmann a disputé un très grand tournoi. Même s’il n’a pas beaucoup joué cette saison, il pourra remplir son rôle. C’est plus difficile pour certains joueurs, plus jeunes, qui ne sont pas titulaires dans leur club.

Vous n’avez pourtant jamais retiré Podolski, qui a peu joué avec le Bayern.

Lukas Podolski a toujours bien joué en équipe nationale, il a beaucoup marqué et il compte déjà près de 50 matches. Ceux qui l’ont enterré risquent d’être surpris car il a des tas de qualités : il est rapide et marque facilement. S’il parvient à mettre ces atouts en évidence, il jouera.

Pourquoi le beau football paye

Qu’est-ce qui est le plus important pour vous : le résultat ou la manière ?

Le résultat, bien sûr. Mais je veux que mon équipe fasse bonne impression. Gagner par chance après un mauvais match ne me satisfait pas. Je suis content si nous jouons bien, si nous prenons l’initiative. Je suis moins heureux si nous ne faisons que réagir. Je n’aime pas le foot qui consiste à calquer son jeu sur l’adversaire et à ne rien entreprendre.

Arrigo Sacchi a dit un jour qu’à long terme, les spectateurs ne se souvenaient plus du résultat mais bien de la manière. Avait-il raison ?

Je ne sais plus très bien ce que Sacchi a gagné avec Milan mais je me souviens comment son équipe jouait. Chaque mouvement, chaque combinaison étaient étudiés. La façon dont Sacchi marquait de son empreinte le football de Milan puis celui de l’équipe nationale m’impressionnait. En 1996, l’Allemagne avait battu l’Italie après un 0-0 parce qu’Andy Köpke avait arrêté un penalty mais l’Italie avait si forte impression en première période que l’Allemagne avait à peine passé la moitié du terrain.

Le football de l’Allemagne sera-t-il aussi marqué de votre sceau ou compterez-vous surtout sur la créativité de vos meilleurs joueurs ?

Je ne crois pas que je pourrais gagner quelque chose en me contentant d’appeler mes joueurs, de leur dire qu’ils sont les meilleurs du pays et qu’ils doivent montrer quelque chose. Les musiciens les plus talentueux ne peuvent former un bon orchestre qu’avec un bon chef à la baguette. Si chacun fait ce qu’il a envie, on n’y arrivera jamais.

Klinsmann a lancé une nouvelle approche au niveau de l’encadrement et un système de jeu qui vous conviennent. Plusieurs équipes de Bundesliga commencent-elles à jouer comme l’équipe nationale ?

Nous nous sommes dit que des choses pouvaient évoluer dans le football allemand et avons analysé un certain nombre de matches disputés par l’équipe nationale entre 2002 et 2004. Lors de l’Euro 2004, l’Allemagne a trop souvent subi le jeu et avons conclu qu’il était préférable de faire le jeu, de se positionner plus haut. Nous étions d’avis qu’une équipe plus offensive ferait mieux, qu’elle ne se contenterait pas de jouer le contre. Les entraîneurs de clubs de Bundesliga ont le droit d’avoir un autre avis car le football de contre apporte aussi des résultats. Mais nous n’en voulons pas. Klinsmann était un attaquant, j’étais également un joueur offensif. Nous aimions jouer l’attaque. Lorsque j’avais affaire à un entraîneur plus défensif, je ne me sentais pas bien. A ce moment-là, je me suis juré que, si un jour je devenais entraîneur, je prônerais toujours un football offensif. Je préfère gagner 4-3 que 1-0.

Comment vous y prenez-vous avec les joueurs qui, dans leur club, sont habitués à un autre football ?

Nous expliquons dès le premier entraînement aux nouveaux comment nous jouons et ce que nous attendons d’eux. Ensuite, nous regardons s’ils comprennent. Ceux qui ne comprennent pas risquent de ne plus être rappelés.

Ne serait-il pas plus facile que les clubs se mettent à jouer comme l’équipe nationale ?

Bien sûr. Cela se passe dans certains pays. En Hollande, par exemple. Ou en Suisse. Nous tentons de transmettre notre modèle aux équipes nationales de jeunes. Mais avec les clubs, c’est plus difficile. Je peux comprendre qu’un entraîneur étranger de Bundesliga voit les choses d’une autre façon que le sélectionneur allemand.  »

En Allemagne, un investisseur étranger ne peut pas détenir plus de 49 % des actions d’un club. N’est-ce pas un handicap par rapport à la Premier League devenue financièrement et sportivement plus forte depuis que des hommes d’affaires étrangers ont repris des clubs ?

Arsène Wenger m’a dit un jour qu’Arsenal valait 100 millions de dollars lorsqu’il en était devenu l’entraîneur et qu’aujourd’hui, sa valeur avait été multipliée par dix. Pas parce que le club avait été racheté par un riche homme d’affaires mais grâce à un concept, une philosophie qui consistait à miser sur des joueurs jeunes et talentueux. Le succès n’est pas seulement une affaire d’argent. Il faut un concept, comme il en existe un à Manchester United ou à Arsenal. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui disent que l’Angleterre et la Russie sont meilleures uniquement parce qu’elles ont de l’argent. La Hollande n’est pas un pays riche mais cela fait trente ans qu’elle révèle chaque année cinq à dix grands joueurs. Les clubs doivent d’abord travailler. C’est ça, la base du succès.

Qu’est-ce que Klinsmann vous a appris ?

Jürgen est un passionné. Son dynamisme contamine ceux qui travaillent avec lui. Pendant deux ans, il a mis toute son énergie dans un projet, sans jamais faiblir ni déroger à ses principes. Il fera la même chose au Bayern. Tant qu’il sera en place, il mettra tout en £uvre pour que les choses se passent comme il le souhaite. Nous formions une équipe au sein de laquelle chacun avait ses responsabilités. Sa force, c’est de pouvoir déléguer.

Quel souvenir voulez-vous qu’on garde de vous en tant que sélectionneur fédéral ?

Hormis les résultats, je trouve que les changements apportés au cours des dernières années ont eu leur importance. Ce qui compte, pour moi, c’est que les supporters puissent s’identifier à notre jeu et que celui-ci leur procure de la joie.

Par Geert Foutré

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