UNE ARDEUR D’AVANCE

Plongée au coeur du seul club luxembourgeois de D2 qui, grâce à une gestion saine, grandit gentiment.

A Virton, il y a un côté village d’Astérix. De par sa situation géographique d’abord. Pas d’autoroute à moins de 20 kilomètres. A l’est et au sud, c’est la France à moins de cinq kilomètres. C’est un euphémisme de parler d’isolement. Dans le monde du football aussi, l’Excelsior local détonne. Ici, pas d’investisseurs étrangers. On met un point d’honneur à porter l’étendard de la Gaume et de la province du Luxembourg. Pas d’argent noir (une exception !), un pourvoyeur efficace pour la D1 dont les fleurons se nomment Thomas Meunier, Guillaume François et Renaud Emond et, depuis quatre ans, des résultats qui décollent, tout cela avec l’un des plus petits budgets de D2 (1,180 million).

Pour comprendre le phénomène gaumais, notre première halte nous conduit à Libramont. Chez un concessionnaire BMW. C’est là que nous rencontrons Philippe Emond, président de Virton depuis quatre ans et qui, en 21 ans, a créé un réseau de garages de la marque allemande. Deux en Belgique (Arlon et Libramont) et cinq en France (Reims, Soissons, Châlons-en-Champagne, Charleville et Saint-Quentin). L’homme est accueillant, chaleureux et aime parler de son club (mais également de son fils, l’attaquant de Waasland-Beveren).

 » Pour une fois qu’on vient me voir, je ne vais pas mal vous recevoir « , lâche-t-il lorsque nous le remercions de son accueil. Derrière cette phrase ne se cache qu’une boutade car il est le premier à souligner la bonne couverture médiatique de son club par les médias locaux dans une province, fan de foot mais bien pauvre en clubs de bon niveau. Par contre, au niveau national, Virton n’a jamais déplacé les foules. Du fait de son éloignement, on le regarde parfois avec sympathie, souvent avec lassitude.  » Je trouve toujours dommage que les clubs qui ne font qu’une fois le déplacement par an soient dégoûtés par le trajet. D’autant plus qu’on essaie de compenser ce désagrément par un accueil convivial « , se désole le président.

Virton doit, lui, se taper de longs déplacements tous les quinze jours ! Ce qui génère des coûts (100.000 euros de frais d’autocar pour les équipes de jeunes). Pourtant, cet éloignement ne sert pas d’excuse pour se plaindre. Au contraire.  » Tous les garçons issus de la province bouffent les kilomètres sans râler « , explique l’entraîneur Frank Defays.  » Quant aux joueurs français, ils connaissent bien pire dans leur pays.  » Et puis, cet isolement, cela forge également un caractère. Le Gaumais est ouvert, besogneux et ne se plaint pas.  » Ce n’est pas un hasard si on loue la mentalité de tous les gamins passés par Virton « , pavoise le président.

Quant à Defays, il ajoute :  » Ce sont des vrais bosseurs. Ils se mettent dans le dur. Ils aiment cela. Ici, il n’y a pas de place pour l’oisiveté « , reconnaît l’ancien capitaine des Zèbres, qui réussit des miracles à la tête de cette équipe. Lui se farcit la route tous les jours sans s’en fatiguer.  » C’est parfois même un avantage. J’ai deux à trois heures de route par jour. Cela me permet de réfléchir et de me focaliser sur mon métier, au calme.  »

L’agriculteur, le plafonneur, l’éducateur et le kiné

Le périple se poursuit. Sortie Etalle. Et là, on s’enfonce dans la Gaume. Les maisons de pierre jaune calcaire, typiques de la région, se mélangent aux nouveaux lotissements modernes habités par les travailleurs du Grand-Duché tout proche.  » C’est le monde rural. Ici, les gens sont attachés à leur terre. Les jeunes ne veulent plus à tout prix quitter leur région. On s’y sent bien et l’Eldorado grand-ducal permet de trouver du boulot pas loin « , narre Philippe Emond.

Le stade de Virton se situe à la sortie du centre, à mi-chemin entre Virton et Saint-Mard, tout proche. Bienvenue au Faubourg d’Arival, nom bien plus chantant que le stade Yvan Georges, appellation officielle. On est en fin d’après-midi. L’entraînement ne commence que vers 18 h 30. Seuls 12 professionnels composent le noyau. Les autres joueurs ont un travail à côté.

Romain Grévisse est fermier, Simon Dupuis kiné, Guy Blaise éducateur, Mathieu Cornet plafonneur et Grégory Molnar travaille pour les Communautés Européennes au Grand-Duché. Ces gens-là posent donc leur sac dans le vestiaire avec déjà une journée de travail dans les pattes. Defays leur concocte quatre entraînements hebdomadaires, en en rajoutant deux pour les pros.  » Mais durant ces deux entraînements supplémentaires, je ne peux pas travailler la tactique puisque la moitié du groupe n’est pas là.  »

Quand on regarde le classement de la D2, la présence de Virton dans le peloton de tête a donc un côté anachronique, l’Excelsior étant le seul club semi-pro parmi le quintette de tête. La défaite contre Saint-Trond (0-1) a à peine entamé le moral des troupes.  » On vivait un rêve éveillé « , dit le président Emond.  » On a reçu les deux premiers (Eupen et Saint-Trond) en étant encore au contact. On a vécu ces deux matches pleinement. On a battu Eupen mais pas Saint-Trond. Et on a suscité un élan local puisqu’il y avait 2.500 personnes contre les germanophones et 3.000 contre les Limbourgeois. L’objectif en début de saison, après avoir assuré notre maintien pour nos retrouvailles avec la D2, consistait à changer de colonne. On ne pensait pas regarder aussi haut, aussi longtemps.  »

Et voilà comment après avoir assuré son maintien facilement, Virton se mêle aujourd’hui à la lutte pour le tour final, aux côtés de Saint-Trond, Eupen, Seraing, OHL et Lommel.  » Je ne peux décemment pas dire que l’on vise la D1. Ce serait vendre du rêve aux gens. On gère le club en bon père de famille et on veut grandir gentiment « , continue le président Emond.  » Pas de dettes, pas d’emprunt. On oscille entre -10.000 et + 20.000 euros à chaque bilan comptable.  »

L’Excelsior aurait pu couler face à l’émergence de Bleid

Pourtant, sans réelle concurrence (les clubs les plus proches sont Metz à une heure de route, et le Standard), il y a de la place pour Virton. Encore faut-il que la région fasse bloc derrière son club. Or, elle se remet à peine de la guerre fratricide qui a opposé Virton au petit village voisin de Bleid, dont le président s’était mis dans l’idée de devenir le fleuron régional malgré ses 500 maigres habitants. Comme toute querelle de clocher, cette rivalité a désuni la région.

 » En termes d’image, cette opposition nous a amochés « , reconnaît Emond.  » Bleid était l’antithèse de nous et clamait vouloir rallier la D1 dans les cinq ans. Beaucoup de gens extérieurs regardaient notre querelle en disant – Ces Gaumais, qu’ils se débrouillent entre eux ! Je crois que l’idée de Bleid consistait un jour à nous absorber. A un moment, même les hommes politiques étaient convaincus que l’avenir se situait à Bleid et plus à Virton. Mais on est resté accroché à nos fondamentaux ; on a refusé la surenchère et aujourd’hui, il ne reste plus rien de Bleid, si ce n’est un petit club de P3.  » La matricule est parti du côté de Bruxelles et tout le monde sait dans la région que c’est la famille Kompany qui a payé toutes les dettes des fournisseurs (brasseur, etc).

La Gaume, déchirée dans cette histoire, s’est alors ressoudée autour de l’Excelsior et Virton est redevenu le porte-drapeau de toute la province du Luxembourg.  » Les deux derniers matches, à la fin de notre très bon premier tour, ont permis de dégager un élan populaire « , explique Emond,  » Si celui-ci persiste, je peux déjà aller trouver les politiques pour améliorer les infrastructures. 1.000 spectateurs en plus, ça fait 225.000 euros en plus de budget, soit une augmentation de 25 %.  »

Pour attirer les familles, Virton dispute ses matches le samedi à 18 h et a négocié avec les autorités l’autorisation d’utiliser des fumigènes lors des grandes occasions. Autre défi : celui de s’ouvrir aux pays voisins. Pour le moment, Virton n’écume pas encore les terres françaises et grand-ducales pour trouver des jeunes, des sponsors et du public.  » Au contraire de la plupart des autres clubs, on ne fonctionne pas avec un compas autour de notre centre névralgique. Dans le centre de formation, il n’y a que des Luxembourgeois issus de la province ; pas de Français, ni de Grands-Ducaux. Comme on grandit gentiment, on n’a pas encore suscité l’attention de nos voisins. Mais c’est aussi un peu de notre faute : on n’a pas encore travaillé dans ce sens. Cela fait quelque temps que je voudrais attirer un joueur grand-ducal en équipe première pour que Virton soit un peu plus connu de l’autre côté de la frontière mais cela n’a pas encore réussi car on n’arrive pas encore à s’aligner sur les salaires luxembourgeois.  »

L’exigence de Defays

Virton ne rêve donc pas tout haut. A l’image de cette Gaume besogneuse. Le club se structure d’abord. Quand on découvre la façon de travailler de l’Excelsior, on est frappé par l’organisation et le souci du détail. On n’est clairement plus dans le football amateur. Le club n’a que deux terrains d’entraînement mais l’un des deux est un synthétique. Et le club a dévoilé récemment un partenariat avec Saint-Etienne qui prêtera un ou deux joueurs à partir de la saison prochaine. En contrepartie, Virton sert d’oeil de Moscou sur le marché belge pour les Stéphanois.

Derrière cette professionnalisation, il y a le travail du binôme Emond-Defays.  » Quand j’ai rencontré Frank et qu’il m’a parlé de son père ardoisier avec lequel il était monté sur les toits, j’ai vite vu qu’il possédait toutes mes valeurs. Là, je me suis dit que c’était le bon ! »

Capi comme on le surnommait du temps de sa carrière de joueur au Sporting de Charleroi, a décidé de se lancer dans sa nouvelle fonction d’entraîneur, il y a maintenant trois ans, après avoir tâtonné comme agent de joueurs ou comme dirigeant à l’UR Namur.  » En arrivant à Virton, j’ai redécouvert un environnement où on parlait foot. Ça m’a redonné goût au milieu. A aucun moment, dans les discussions avec le président, il n’a été question d’argent ou de gros transferts. J’ai compris qu’un projet, ça se construisait et que ça ne s’achetait pas. Je me suis demandé si j’étais fait pour devenir entraîneur, d’autant plus qu’à la fin de ma carrière, j’avais de plus en plus de mal à lutter face à l’indiscipline des jeunes. Mais tous mes doutes se sont estompés lors de mon premier entraînement. Je me suis senti revivre et je me suis dit que j’étais à l’endroit où je devais être.  »

Les supporters se posaient pourtant des questions à l’arrivée de ce Namurois.  » Il a fallu les convaincre. Ici, ils sont très exigeants. Je n’étais pas spécialement le bienvenu.  » Et ce d’autant plus qu’il succédait à une icône luxembourgeoise, Michel Renquin. Mais les résultats ont suivi et la méthode Defays fonctionne. Tour final de D3 la première année, champion la deuxième, maintien en D2 la troisième.  » Il ne lâche rien « , explique son adjoint, Michel Lollier,  » Il a communiqué à son groupe cette rage de vaincre qui l’animait comme joueur. Il trouve un bon équilibre entre méthode douce et dure.  »

 » Lors de notre premier entretien, je lui ai dit de mettre sur une feuille blanche le nom des personnes qui l’ont aidé dans la vie et j’ai ajouté – Tu verras, tu y retrouveras les personnes qui se sont montrées les plus dures avec toi. Il m’a répondu: – Alors, je serai sur la feuille de mes joueurs ! « , ajoute Philippe Emond. Il est en tout cas bien parti pour marquer une page de l’histoire de l’Excelsior…

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS: BELGAIMAGE/ DEHEZ

 » Dire qu’on vise la D1, c’est vendre du rêve aux gens.  » Philippe Emond, le président

 » Les Gaumais sont de vrais bosseurs, ils se mettent dans le dur.  » Frank Defays, l’entraîneur

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