La Pologne n’a plus participé à un Mondial depuis 16 ans. Wlodlek Lubanksi (ex-Lokeren), la légende du football polonais, compare les deux époques.

Wlodlek Lubanski a fait partie de cette génération à succès. Il joua à 80 reprises pour l’équipe nationale (de 1963 à 1980) et inscrivit 50 buts. Une blessure au genou lors du dernier match de qualification contre l’Angleterre, l’a privé du Mondial 1974. En 1975, il a obtenu la permission de quitter la Pologne et a été enrôlé par Lokeren. Il a été resélectionné pour le Mondial 1978, en Argentine. Puis, il a entraîné en France et en Belgique avant de préférer une carrière de manager: « Je souffrais trop du stress. Un entraîneur ne peut tout déterminer lui-même. Il dépend trop de ses joueurs. C’est difficile à vivre pour quelqu’un qui a lui-même connu l’élite ».

Lubanski effectue régulièrement la navette entre son pays natal et son pays d’adoption. Il fait également partie du conseil des sages chargé de suivre et de conseiller le football polonais: 14 internationaux qui comptent tous plus de 65 sélections.

Quelle est la recette du succès polonais actuel?

Wlodlek Lubanski: L’engagement de Jerzy Engel comme sélectionneur a été décisif. Une modeste carrière de défenseur en D1 et champion avec Polonia Varsovie. Pas un nom, mais un grand entraîneur. Je le comparerais à Robert Waseige. Sa psychologie est son atout majeur. Il sait lire un match et ses interventions sont souvent judicieuses. Il a bâti une équipe efficace avec des joueurs qui évoluent à l’étranger et sur le Nigérian Olisadebe, naturalisé juste avant le début des qualifications. Il est le meilleur attaquant de l’équipe avec neuf buts.

La Pologne a placé beaucoup d’espoirs dans cette génération. Pourquoi a-t-elle dû patienter si longtemps?

La génération des JO de Barcelone 92 n’a pas répondu aux attentes. Les joueurs ont été transférés à l’étranger mais il n’y avait pas de vrais grands talents. Comme maintenant, ils s’appuyaient sur l’équipe et l’engagement. Beaucoup de joueurs ont d’ailleurs dû revenir en Pologne. Oui, les années qui ont suivi le Mondial mexicain ont été mornes. Nous ne méritions pas de qualification. L’absence de talents a pesé plus lourd que les changements économiques et politiques.

Ont-ils eu une influence sur le football?

Sur sa structure. Le bouleversmeent politique a engendré une certaine incertitude. Nous avons perdu le soutien de l’état. Les clubs ont dû improviser et se sont fixés sur leur seul intérêt personnel. Du coup, ce fut le chaos. Les clubs sont obligés de travailler comme des entreprises et de trouver des fonds privés, ce qui est difficile. Mon ancien club, Gornik Zabrze, qui était un grand club, est en proie à des difficultés financières.

Passer le cap du foot pro

La Pologne a-t-elle des jeunes talents?

Les moins de 18 ans sont champions d’Europe. D’ici quatre ans, ils doivent entrer en considération pour l’équipe nationale A. Huit jeunes issus de la D1 polonaise seront sélectionnés pour le Mondial. Mais qu’est-ce que c’est, le talent? Pour atteindre le top, il faut du talent mais aussi la volonté de travailler dur. Certains ne parviennent pas à franchir le cap du football professionnel. Un des plus grands talents de sa génération s’est retrouvé à Anderlecht il y a dix ans: Terlecki. Il a échoué. Anderlecht avait aussi un certain Karwan. Celui-ci est maintenant titulaire en équipe nationale, au milieu droit. Il va bientôt quitter le Legia Varsovie pour Hertha BSC. Il est prêt.

Le dépistage des jeunes talents est-il structuré ou relève-t-il du hasard?

Savez-vous ce qui est bien pour notre football? Depuis que Zbigniew Boniek, le stratège de la grande Juventus du début des années 1980 avec Platini et footballeur polonais le plus célèbre de tous les temps, est vice-président de la fédération, il a enrôlé d’autres anciens grands joueurs pour diriger les jeunes. Comme Anton Szymanowski (qui a renforcé la défense brugeoise quelques années à partir de 1981). Zmuda est entraîneur-adjoint de l’équipe nationale, Mlynarczyk s’occupe des gardiens. Mieux encadrés, les jeunes obtiennent de meilleurs résultats. Si nous avons des problèmes, nous pouvons nous adresser à Gregorz Lato, mon ancien coéquipier à Lokeren et plus de 100 sélections. Il est sénateur. En costume. Nous en rigolons. Il nous soutient sur le plan politique.

Pourriez-vous comparer le championnat polonais au belge?

La Belgique a plus de rythme, d’agressivité et de spectacle mais la Pologne fait davantage appel à la technique et à l’improvisation. Le football est le sport le plus populaire. Les affiches attirent de 10 à 20.000 supporters, contre 5.000 pour les autres rencontres. Avant, nous avions une meilleure assistance mais le football était alors la seule forme de détente. Quatre équipes émergent: Legia Varsovie, Wiszla Cracovie et Pogon Szczecin et Polonia Varsovie. C’est de là que viennent Olisadebe et le sélectionneur. Legia, l’équipe de l’armée, a toujours été le grand club. Comme il profite du rayonnement de la capitale, il continue à trouver de l’argent assez facilement. Cracovie est un des clubs les plus anciens et Telefonica Pologne y injecte beaucoup d’argent. Il vient d’engager Henri Kasprzak, qui a permis au Mali de terminer troisième de la Coupe d’Afrique.

Contre la corruption

Le foot pro est-il viable en Pologne?

Tous les clubs de D1 sont pros. Reste à savoir s’ils resteront sains. La fédération a une nouvelle génération de dirigeants. Ils veulent introduire un système de licence dans les plus brefs délais. Tout le monde a deux ans pour se mettre en ordre. Cette année, le championnat a changé de formule, pour limiter la corruption. A la mi-championnat, les 16 clubs sont divisés en deux groupes: la poule qui lutte pour le titre et celle qui doit éviter la relégation. La plupart des matches sont passionnants.

Votre star est un Nigérian naturalisé. Les étrangers relèvent-ils le niveau du foot polonais comme c’est le cas dans les grandes nations?

Olisadebe est arrivé en Pologne à 16 ans, il a été placé dans une famille de Varsovie. Il a effectué ses classes au Polonia, jusqu’en équipe fanion. Au bout de cinq ans, on lui a demandé s’il souhaitait obtenir la naturalisation. Il avait épousé une Polonaise. Il est très populaire. Son sens du but et sa vitesse sont ses principaux atouts. Il combine moins bien, en revanche. D’autres étrangers sont généralement des joueurs de second rang qui espèrent obtenir un transfert à l’Ouest via la Pologne mais beaucoup d’entre eux retournent dans leur pays au bout de quelques années, faute d’avoir obtenu un nouveau contrat.

Vous aviez dû attendre que votre genou soit fichu et qu’on vous pense invalide pour rejoindre la Belgique.

C’était comme ça, malheureusement. Mais j’ai eu de la chance, en 1975. Après ma blessure, tout le monde m’a ménagé. Les défenseurs n’osaient plus me tackler, j’étais fleuri avant chaque rencontre. A Lokeren, j’ai dû prouver que je pouvais revenir au top. Je considère cet épisode comme une grande victoire sur moi-même.

Nous avions besoin de l’accord de dix instances différentes pour quitter la Pologne. Les joueurs actuels disposent de la même liberté que les autres Européens. En 1970, le Real Madrid était prêt à débourser un million de dollars pour mes services. J’avais 23 ans et je devais jouer un match de gala au profit de l’Unicef, avec une équipe européenne. Sur le terrain, je me suis bien entendu avec Amancho, très influent au Real. Il m’a demandé si j’avais envie d’y être transféré. Evidemment! Mais la fédération polonaise a repoussé l’offre. Je ne l’ai appris que bien plus tard.

Le départ rapide des joueurs, comme les Zewlakow, est-il bon pour le football polonais?

Je trouve qu’ils étaient prêts à 21 ans. Je ne savais pas comment ils s’adapteraient au football professionnel et à la vie occidentale mais je connaissais leur intelligence. Ils parlaient anglais. Moi, je ne parlais que le polonais et le russe et personne ne me comprenait à Lokeren. Il m’a fallu six mois pour comprendre le néerlandais. C’est une question de volonté. Je les ai remarqués au Polonia Varsovie. Ils étaient internationaux olympiques. Ils ont constitué un renfort pour Beveren, ce qui leur a permis de percer rapidement. La présence d’un entraîneur polonais, Gzil, les a aidés.

Equipe de contres

Quel football pratique la Pologne?

C’est une équipe de contres qui a besoin d’espaces. La défense et le gardien sont solides. La Pologne mise sur des attaquants rapides. On l’a vu pendant les qualifications: en déplacement, elle a été brillante, gagnant tout. Pourtant, au début de la campagne, nous n’étions pas favoris. Ça a changé grâce à notre victoire en Ukraine. Mais quand la Pologne doit faire le jeu, c’est pénible. Le rôle de favoris ne nous convient pas. Pas plus qu’à la Belgique. Nous avons besoin d’être un underdog. La Pologne est expérimentée, surtout derrière. L’âge moyen est de 30 ans. Les joueurs n’ont pas besoin du Mondial pour monnayer leur talent: ils sont déjà à l’étranger. Mais aucun n’a atteint quelque chose sur le plan international. L’équipe nationale a soif de victoires.

Nous venons d’être battus 0-2 par le Japon. C’est un accident de parcours. La déception était telle à l’issue du match que je suis sûr que ça ne se reproduira pas pendant le Mondial. A condition que tous les joueurs soient en forme au bon moment. Si elle est à 80%, elle ne battra pas la Corée du Sud, les Etats-Unis ni le Portugal.

Geert Foutré,

« La rage de vaincre est énorme »

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