UNANIMITÉ!

En quelques mois, l’ancien entraîneur du White Star a fait sa place à Charleroi. Analyse de sa méthode.

Six mois après son arrivée à Charleroi, Felice Mazzu a frappé les imaginations en dessinant, avec succès, un nouveau système au Standard (2-2). Face au leader de la compétition, l’entraîneur carolo a sorti un lapin de son chapeau avec une défense à trois (ou à cinq en perte de balle), bloquant complètement les deux attaquants virevoltants du Standard. Ce point pris à Sclessin n’est que l’aboutissement final d’une mise en place de plusieurs mois. Le Carolo, ancien entraîneur du White Star et novice en D1, a conduit son équipe dans les temps de passage espérés par sa direction. Focus sur une méthode qui commence à porter ses fruits.

Jeudi matin, sur le site de Marcinelle. Les joueurs finissent un entraînement conséquent. Ils ont à peine quitté la pelouse que Mazzu allume une cigarette.  » Ça va, ils ne me voient pas « , dit-il pour se disculper. Raté.  » Il croit peut-être l’inverse mais tout le vestiaire sait qu’il fume à la fin de l’entraînement « , rigole Olivier Renard. Il peut paraître calme mais ce geste témoigne d’une nervosité qu’il tente de contrôler.  » Je ne le dirais pas nerveux mais émotionnel « , corrige Guillaume François.  » Quand on marque, ce n’est pas le genre à rester les bras croisés. Il saute dans tous les sens. Il n’hésite vraiment pas à exposer ses émotions.  » Renard appuie :  » Je me souviens du premier but au Cercle ; il est passé au sprint devant moi avant de se tenir l’arrière de la cuisse : il s’était claqué ! Cela prouve que c’est un personnage entier.  »

Très proche de ses joueurs

Lorsqu’on lui demande de dresser un bilan de son coach, Mehdi Bayat rigole.  » Vous savez ce que je vais dire ! Je suis réconforté dans mon choix « , explique l’administrateur délégué du Sporting.  » Je suis convaincu que c’est le meilleur profil pour Charleroi. Grâce à lui, on retrouve sérénité et stabilité.  » Voilà pour le bilan de la direction. Mazzu constituait un risque puisqu’il n’avait aucune expérience de la D1 et qu’il arrivait après une saison réussie. La direction a assumé pleinement ce choix et s’en félicite aujourd’hui. Car, Mazzu fait l’unanimité. Disponible pour les médias, il s’investit complètement dans la vie du club, accompagnant plus souvent qu’à son tour Mehdi Bayat auprès des partenaires.  » Sa femme ne doit pas le voir souvent. Car quand il ne donne pas des interviews, il visionne des matches ou est appelé pour des actions de représentation « , lâche Renard.  » En même temps, cela démontre qu’il est à 200 % dans le projet, qu’il se donne les moyens de réussir.  »

Et sur le terrain, il ne lui a pas fallu longtemps avant de conquérir son vestiaire. Dans un style qui mêle discrétion et proximité. A l’entraînement, dans un premier temps, il observe, laissant l’échauffement au préparateur physique et les premiers exercices à Mario Notaro avant, dans un deuxième temps, de prendre les commandes.  » Ses poumons sont déjà remplis de la poussière du Pays Noir « , dit avec emphase Notaro,  » Et il se fond naturellement dans cette mentalité qu’il connaît. Il est à la fois présent et très ouvert aux idées des autres.  »

Ses joueurs ne disent pas le contraire.  » Il est très proche de nous et c’est le premier coach que je connais qui ne met pas de barrière « , explique Guillaume François.  » Il a amené une ambiance familiale dans le club.  »

Sa recette : proximité à tous niveaux.  » Il utilise des mots proches de ceux que ses joueurs utilisent « , raconte Renard.  » Humainement parlant, il est correct, droit et honnête « , renchérit Danijel Milicevic.  » C’est rare, dans ce milieu d’être aussi droit et ça marche « , corrobore Renard.  » Grâce à cette ligne de conduite, il a construit entre le groupe et lui des liens de sincérité. Les remplaçants savent très bien ce qu’ils doivent faire : se donner à fond à l’entraînement. Car, ils ont compris que s’ils travaillaient bien, ça ne passerait pas inaperçu.  » C’est grâce à leur travail à l’entraînement que des joueurs comme Sébastien Dewaest, Steeven Willems, Kenneth Houdret ou Habib Daf sont rentrés, à un moment donné, dans le onze. Chacun a l’impression qu’il ne tient qu’à lui de recevoir une chance.

Pour beaucoup de ses joueurs, cette proximité est le fruit de ses années dans les divisions inférieures.  » Sa gestion humaine est très pointue « , dit Notaro.  » Il anticipe les problèmes, il sait que certains pourraient se demander pourquoi un tel joue et moi pas, alors il va expliquer aux gens écartés la raison de ses choix.  »

Sa proximité avec son groupe le pousse à valoriser le plus possible ses joueurs. Récemment, suite à la blessure longue durée de Francis Nganga, Mehdi Bayat lui annonce qu’il sonde le marché pour transférer un back gauche libre.  » Pas besoin « , lui répond Mazzu.  » Remplacer aussi vite un joueur blessé ne constitue pas un bon signal à envoyer au groupe, et encore moins au joueur blessé.  » Pas faux.  » Un autre entraîneur aurait sauté tout de suite sur l’occasion « , reconnaît Mehdi Bayat.

A l’écoute de son groupe

Cette capacité d’expliquer, il la couple souvent avec une écoute sincère. Il a besoin de faire confiance à son staff et n’hésite pas à déléguer. Il est également très à l’écoute de son groupe. En début de saison, il n’a pas hésité à demander à chaque joueur s’il préférait la zone ou l’individuelle sur les phases arrêtées. En fonction des réponses, il a choisi la zone. Sur la même feuille, il avait demandé que chaque joueur indique ses trois positions préférées.  » J’ai répondu qu’à terme, je me verrais bien reculer au poste d’arrière droit « , explique François.  » Il a répondu – OK, pourquoi pas essayer en préparation.  » Et c’est comme cela que le Luxembourgeois a été lancé avec succès à ce poste.  » Chaque joueur est différent. Il faut donc agir différemment avec chacun d’eux, s’adapter et pouvoir ressortir le meilleur de chacun « , analyse Mazzu.

S’il prête une oreille attentive aux desiderata de ses joueurs, il sait aussi s’adapter aux qualités de ceux-ci. Il a déjà changé de système trois fois, à chaque fois pour coller un peu plus à la réalité de son groupe. Il a entamé le championnat en 4-4-2 avant de passer en 4-5-1, pour résoudre le problème RossiniPollet mais également pour décharger des tâches défensives certains éléments offensifs de plus en plus émoussés.  » Il est assez intelligent et humble pour changer son fusil d’épaule. Il sait rebondir très vite et ne pas se complaindre ou s’enfoncer dans des préjugés « , dit Notaro.  » J’ai peut-être été trop prétentieux en débarquant à Charleroi « , se défend Mazzu.  » Je pensais pouvoir imposer ma manière de voir les choses et mon esprit conquérant. Au fur et à mesure des semaines, je me suis rendu compte que certains perdaient de la fraîcheur à défendre. C’est pour cela que je suis passé au 4-5-1 de manière à répartir un peu plus les tâches défensives.  »

La défaite à Anderlecht (5-2) a servi de déclic.  » Là, je me suis rendu compte que la recherche du beau jeu, laissait beaucoup trop de portes ouvertes. Cette défaite-là est en partie de ma faute. J’ai finalement sacrifié le beau jeu au pragmatisme de la D1. A ce niveau, il faut d’abord prendre des points et puis penser à être beau. Moi, j’ai commencé par faire l’inverse « , continue Mazzu. De là à dire qu’il est devenu défensif, il y a un pas que personne au club ne veut franchir.  » C’est le premier à regretter quand on recule « , affirme Renard.  » Et au Standard, ne lui dites pas qu’il a mis cinq défenseurs pour défendre car ce n’est pas vrai. Il nous a demandé de jouer pour gagner, ce qu’on a fait en première mi-temps.  » Car son credo demeure le jeu.  » Il insiste beaucoup là-dessus « , explique Milicevic.  » A l’entraînement, il privilégie les petits matches pour nous confronter aux situations qu’on pourrait rencontrer le week-end.  »

En perpétuelle réflexion tactique

Son explication du passage du 4-4-2 au 4-5-1 montre en tout cas qu’il n’est pas fixé sur un système. Mazzu aime réfléchir à son sport. Comme lorsqu’il s’est demandé comment arrêter la marche en avant du Standard. Dix jours avant le match, il a commencé à évoquer son idée de jouer avec 3 défenseurs centraux.  » C’est vrai que j’aime beaucoup le jeu de la Juventus « , reconnaît-il. Les joueurs approuvent. Il teste le système lors d’un match amical au Grand-Duché de Luxembourg.  » Tout le monde était convaincu. Pendant une semaine, on a alors travaillé tous les aspects du système à l’entraînement « , dit François.  » Cela faisait longtemps que j’y pensais mais le 4-5-1 fonctionnait bien. Je n’ai pas voulu tout bouleverser « , explique Mazzu. Il se dit que pour bloquer les deux flèches du Standard, trois centraux ne seraient pas de trop. Pari réussi. Et remarqué.  » Ce genre de risque, pour le même prix, cela peut foirer et tout le monde me tombe dessus le lundi « , lâche-t-il humblement.  » Pour faire ce qu’il a tenté au Standard, il faut avoir du courage car si on passe à travers, il peut se faire flinguer « , ajoute Renard.

Ce 5-4-1 ne deviendra pas le système maison. Il sera utilisé au coup par coup mais il apporte une corde supplémentaire à l’arc de son entraîneur.  » Mon équipe a acquis trois dispositions tactiques différentes, cela peut servir « , conclut-il.

Peu de certitudes défensives

Si l’organisation offensive a peu bougé (sauf en ce qui concerne le deuxième attaquant – Rossini, Jamal Thiaré puis Neeskens Kebano en soutien) et que les hommes qui l’animent sont ceux de la saison dernière (Milicevic, Onur Kaya et Pollet), ce ne fut pas le cas de la ligne arrière. Mazzu a beaucoup modifié le quatre défensif.  » Je suis arrivé au club avec deux certitudes : Javier Martos et Francis Nganga. Pour le reste, j’ai estimé que chacun avait le droit à une chance et j’ai ensuite effectué mes choix qui peuvent varier en fonction des blessures et de la méforme de l’un ou de l’autre. Rien n’est figé.  »

On a ainsi vu Jonathan Vervoort débuter dans l’axe avant de faiblir et de laisser sa place à Dewaest. A droite, il a essayé Mourad Satli avant de lancer François et de laisser patienter Stergos Marinos, pourtant international grec. Celui-ci a été lancé au moment opportun avant de se blesser. Chaque joueur essayé a montré de belles choses.

Même chose pour le poste de médian défensif. L’opulence dans ce secteur (cinq joueurs !) lui laisse l’opportunité de choisir en fonction des progrès constatés à l’entraînement ou de l’adversaire. Mais là aussi, ses choix sont souvent gagnants.

Manque d’expérience : vraiment ?

C’est sans doute les deux mots qui sont revenus le plus souvent lors de sa présentation. Mazzu n’a jamais connu la D1 et manque donc d’expérience du haut niveau. Jusqu’à présent, s’il confesse avoir privilégié le beau jeu en début de championnat, on ne peut pas lui reprocher beaucoup de choses. Il a tâtonné à certaines positions, mais pas plus que tout entraîneur arrivant dans un nouveau club.  » Franchement, on ne saurait pas dire qu’il vit sa première expérience en D1 « , reconnaît Milicevic.

 » On dit souvent que l’expérience n’est que la somme de l’accumulation des erreurs. Avec lui, ce n’est pas le cas car il sent les choses et évite les pièges « , dit Notaro. Il se montre également assez juste dans sa gestion des matches.  » Il sait pousser une gueulante. Il l’a fait à la mi-temps, à Mons, et on a renversé la vapeur « , ajoute Milicevic.

S’il faut vraiment trouver un peu d’inexpérience, ce serait finalement du côté de l’émotif qu’il faudrait chercher.  » Comme il est fort sensible, après la défaite à Ostende, on l’a senti à fleur de peau « , affirme Renard.  » Là, on sent peut-être qu’il a moins d’expérience. Je suis sûr qu’avec le temps, ces événements n’auront plus d’emprise sur lui.  » Il faut voir car finalement, l’émotion, ça ne se contrôle pas toujours. Surtout quand on a du sang italien dans les veines…

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » En D1, il faut d’abord prendre des points avant d’être beau. Moi, j’ai commencé par faire l’inverse.  » Felice Mazzu

 » Pour faire ce qu’il a tenté au Standard, faut avoir du courage car si on passe au travers, il peut se faire flinguer.  » Olivier Renard

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