Un vrai DÉPART

A seulement 24 ans, cet attaquant franco-togolais a déjà connu les paillettes monégasques, l’anonymat de la Ligue 2, une grave blessure et une fusillade lors de la CAN !

Il y a pire comme débuts. Deux assists en deux matches. Il l’avoue d’ailleurs lui-même :  » Je suis plus un passeur qu’un buteur. J’ai un jeu altruiste.  » Ses qualités : une vitesse et une puissance qui font déjà de lui un chouchou des tribunes.  » J’ai été formé sur les côtés mais j’ai évolué tantôt sur les flancs, tantôt comme deuxième attaquant. « 

Serge Gakpé, 24 ans, a réussi ses débuts pour le Standard. Et son apport est tombé à point nommé pour une équipe fatiguée par l’accumulation des rencontres et décimée par les blessures.  » On m’avait dit de me tenir prêt mais je ne pensais pas être lancé dans le bain si vite. En venant au Standard, j’ai découvert un autre monde. Tous les détails sont soignés ici.  »

Qui est ce Franco-Togolais dont les suiveurs les plus avertis de la Ligue 1 avaient déjà pu goûter au talent lorsqu’il perça à Monaco mais qui, depuis trois ans, avait quelque peu disparu de la circulation ? Qui est celui que ses coéquipiers monégasques surnommaient Selom (son prénom africain) et qui, en 2007, faisait tourner la tête des Valence, Juventus, Arsenal et Chelsea ?

Tombé très tôt dans la marmite du football alors qu’il arpentait encore les rues de Bondy, petite ville de la banlieue parisienne, et qu’il rêvait de porter un jour le maillot du PSG, c’est tout naturellement qu’il se tourna vers le centre de formation national, l’INF de Clairefontaine. Recalé, son rêve n’était que reporté. Ce ne sera simplement pas Paris. La fortune, il alla la chercher, bien plus au sud, sur les rivages de la Méditerranée, à Monaco, où il intégra le centre de formation en 2001. Il n’avait que 14 ans.

 » Monaco, c’était un autre monde. Je regardais cela les yeux grands ouverts. Cela n’est pas facile de rester concentré et de ne penser qu’au foot. Mais j’avais quitté Paris et ma famille pour devenir pro. Il ne fallait donc pas me disperser de l’objectif initial. J’ai intégré le groupe sous Didier Deschamps. C’était quelqu’un de très rigoureux, qui ne laissait rien au hasard mais c’est son successeur, l’Italien Francesco Guidolin, qui m’a lancé dans le bain lors d’un match de Coupe de France.  »

Avec déjà cette habitude de soigner ses débuts, avec un doublé :  » OK, mais c’était contre une CFA. Guidolin était un entraîneur typiquement italien, très tactique. On travaillait beaucoup les phases arrêtées et ce que j’appréciais chez lui, c’est qu’il ne faisait pas de différences. Il faisait jouer ceux qui lui semblaient bons, peu importe l’âge. « 

A l’époque, l’effectif restait très proche de celui qui avait atteint la finale de Ligue des Champions en 2004, avec les Maicon, Patrice Evra, Ernesto Chevanton ou Emmanuel Adebayor. S’y faire une place relevait de la gageure. Mais la vitesse, le culot et la puissance de Gakpé séduisirent l’ allenatore italien, aujourd’hui à la tête de l’Udinese.  » Il me faisait jouer soit attaquant, soit milieu excentré.  »

Continuant sur sa lancée, Gakpé devient vite le roi des assists. En 2006-2007, changement d’entraîneur. C’est une vieille connaissance du Standard, Laszlo Bölöni, qui débarque.  » Il a marqué une différence avec Guidolin. Il était très dur et son passage ne s’est pas bien déroulé. Son message ne passait pas. La plupart des joueurs avaient connu l’ère Deschamps et disputé la Coupe d’Europe. Ils ont mal pris sa dureté. Peut-être aurait-il dû se comporter différemment avec les joueurs d’expérience ? »

Voilà pourquoi Monaco, habitué aux sommets, se traîne en queue de classement. Le club dérive et les joueurs perdent leur football. Ce qui n’est pas le cas du Franco-Togolais qui affine ses statistiques avec 6 assists et autant de buts.

Le tournant de sa carrière : une déchirure des ligaments

Les entraîneurs passent : Laurent Banide succède à Bölöni et Gakpé, même pas 20 ans, accumule les matches. Jusqu’en mai 2008.  » Depuis ma formation, tout s’était très bien déroulé. A chaque saison, je franchissais un palier.  »

Mais une déchirure des ligaments du genou gauche allait tout freiner :  » Je n’avais jamais connu de grosse blessure. Au bout du compte, je suis resté éloigné des terrains neuf mois. Je me suis fait opérer en mai et je n’ai repris l’entraînement qu’en janvier. J’ai mis du temps à retrouver toutes mes aptitudes physiques et j’ai commencé à gamberger. Je me suis demandé si j’allais retrouver mon meilleur niveau. Ça n’a pas été facile. « 

Pour quelqu’un qui n’avait connu que les paillettes monégasques commence alors une lente descente aux enfers. Le nouvel entraîneur, Guy Lacombe, ne compte pas sur lui, le jugeant hors forme.  » Trois ans et demi plus tard, je commence seulement à me rapprocher de ma forme d’avant-blessure. J’ai réussi à atteindre mon niveau à quelques reprises mais il m’a toujours manqué la régularité.  »

En 2009-2010, comme Lacombe ne lui fait toujours pas confiance, Gakpé demande à être prêté. Ce sera Tours, en Ligue 2, en janvier 2010.  » J’avais besoin d’enchaîner des matches et de retrouver le rythme car quand on revient de blessure, la CFA n’aide pas du tout. J’ai choisi Tours car je me rapprochais de Paris. A ce moment-là, j’avais besoin de voir ma famille. « 

Entre-temps, la CAN 2010 était passée par là. Bien qu’ayant évolué avec les équipes de jeunes françaises, Gakpé avait choisi la nationalité togolaise de ses parents et l’équipe nationale des Eperviers qui était déjà venue aux nouvelles avant la Coupe du Monde 2006. A l’époque, Gakpé avait poliment refusé, préférant se concentrer sur sa carrière monégasque. Mais après sa blessure, plus rien ne l’empêchait de choisir le Togo :  » Il faut penser à sa carrière et comme de nombreux Français étaient repris en sélection et que je connaissais bien le pays puisque j’y retournais souvent en vacances avec mes parents, je n’ai pas hésité. « 

Mal lui en a pris puisque cette CAN 2010 allait rester à jamais gravée parmi les pires souvenirs de sa vie. Lors d’un transfert, le bus du Togo se fait canarder par la milice révolutionnaire du Cabinda (FLEC), petite enclave angolaise en terre congolaise. Bilan de la fusillade : deux blessés et trois morts. Ce souvenir douloureux pèse encore dans sa mémoire et parfois le simple fait de l’évoquer lui paraît insurmontable comme lors de sa conférence de presse de présentation au Standard :  » C’est un événement qui ne s’oublie pas et que je n’oublierai jamais. Ça a soudé notre groupe. Mais il y a des drames dans chaque vie et il faut avancer avec. Je me suis dit qu’on se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment. J’étais parti à cette compétition gonflé à bloc. Tout joueur africain a envie de disputer la CAN. Mais on ne savait pas où on mettait les pieds. Personne n’était au courant de l’existence d’une rébellion armée et si on nous avait dit d’éviter ce chemin-là, on l’aurait fait. On a ressenti un sentiment d’injustice car on ne nous a pas trop aidés après la fusillade. La Fédération africaine n’a rien fait. Au contraire, elle nous a sanctionnés. C’était du n’importe quoi. Finalement, sous la pression, elle nous a réintégrés dans les groupes éliminatoires pour la CAN 2012. Heureusement, quand on est rentré au pays, on a reçu des messages de soutien. Depuis lors, l’équipe du Togo n’a toujours ni digéré sa participation à la Coupe du Monde 2006, ni ce drame. Il a fallu le temps que tout le monde cicatrise ses blessures. Moi-même, j’ai pensé à arrêter. Mais mettre fin à ma carrière internationale à 23 ans, c’était un peu embêtant. Pendant un certain temps, je n’ai pas répondu à toutes les convocations. Je n’étais présent qu’aux rencontres à domicile car au Togo, je savais qu’il ne se passerait rien. Deux ans après, tout le monde est revenu en sélection. Normalement, pour la campagne éliminatoire pour le prochain Mondial, on peut enfin repartir sur de bonnes bases. « 

 » A Monaco, il fallait réussir à rentrer dans son match malgré le peu d’ambiance « 

C’est donc meurtri qu’il rentre en France. Dans son nouvel environnement tourangeau.  » Tours m’a permis de me considérer à nouveau comme un joueur pro, de me redonner confiance et rythme. Là, j’ai évolué aux côtés de Gaëtan Englebert notamment, notre capitaine, très juste dans son jeu et qui donnait beaucoup de conseils aux jeunes. L’entraîneur s’appelait Daniel Sanchez ( NDLR : aujourd’hui à Valenciennes), un coach très offensif, qui me convenait parfaitement. Il m’a mis sur le côté gauche. Ces quatre mois à Tours m’ont vraiment permis de repartir vers l’avant. D’autant plus que contrairement à ce que les gens pensent, c’est une ville qui bouge.  »

Revigoré, Gakpé reprend alors en juin 2010 le chemin de Monaco :  » Mais c’était toujours Lacombe. Alors qu’il ne m’alignait pas, il ne voulait pas non plus me laisser partir bien que d’autres formations de L1 désiraient me louer. Comme je n’étais pas satisfait de mon temps de jeu, j’ai décidé de partir à Nantes, six mois plus tard. A l’époque, les Canaris étaient quatrièmes et restaient en bonne position pour monter en L1. « 

Un transfert à Nantes qui met fin à dix ans d’aventure monégasque.  » Le stade Louis II n’était pas toujours rempli. Surtout que j’ai connu l’après Ligue des Champions. Il fallait réussir à rentrer dans le match malgré le peu d’ambiance. Mais c’était un petit cocon, idéal pour débuter. D’autant que l’ASM faisait confiance aux jeunes. « 

A Nantes, Gakpé retrouve un rang de titulaire mais pas de place au sein de l’élite française puisque le club échoue au pied du podium.  » La L2, c’est un championnat différent : physique et fermé. Il me correspond beaucoup moins que la L1 où il y a beaucoup plus d’espaces. « 

Un an (et cinq buts) après son arrivée en Bretagne, la proposition du Standard tombait à point nommé.  » Il s’agit d’un pas en avant. Quand on voit les joueurs passés par ici et les clubs dans lesquels ils évoluent aujourd’hui, on se rend compte que c’est un bon tremplin. Du Standard, je connaissais Dieumerci Mbokani que j’avais côtoyé à Monaco et cet été, j’avais suivi les transferts de Steven Defour et Axel Witsel. Puis, William Vainqueur a commencé à me parler du club quand le Standard s’est intéressé à moi.  » Une nouvelle page peut s’ouvrir pour cet ancien grand espoir, prêt à enfin décoller.

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Trois ans et demi plus tard, je commence seulement à me rapprocher de ma forme d’avant-blessure.  »  » La fusillade lors de la CAN 2010 est un événement que je n’oublierai jamais. « 

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