© EMILIEN HOFMAN

Un village français

Cerné par la France, Villers-devant-Orval, actif en P3 luxembourgeoise, conduit sa barque en choyant ses gars à la bière locale, loin de l’épisode pornographique d’il y a deux ans.

Entre les deux panneaux de bienvenue, le vide. Sur cette parcelle longue de trois cents mètres, impossible de déterminer dans quel pays on se trouve. Un véritable no man’s land. Seule indication visible, une affiche « Douane française » sur la devanture de l’unique maison bordant la route. En contrebas de celle-ci, un autre bâtiment joue avec les limites géographiques de la frontière franco-belge.

Implantée sur une parcelle belge, la buvette du SC Villers-Devant-Orval prend le soleil.  » Le club a déménagé ici en 1986, soit sept ans avant l’entrée en vigueur du traité de Maastricht. Du coup, on a dû respecter une distance de quelques mètres entre la buvette belge et la douane française.  »

Cette ordonnance est pourtant loin d’avoir choqué Richard Henry. La septantaine entamée, ce comitard a toujours eu de bons contacts avec ses voisins hexagonaux. Ces derniers ont d’ailleurs contribué à la naissance du club en 1962 en organisant des matchs amicaux avec les Villersois.

 » À l’époque, il y avait un cinéma à Villers-devant-Orval où les Français se rendaient régulièrement. À force de s’y côtoyer, beaucoup d’amitiés se sont créées…  » La présence des uns aux fêtes de village des autres a fini par matérialiser cette amicale internationale sur les prés.

L’URBSFA plutôt que la FFF

Villers-devant-Orval est un véritable appendice belge en France. Plusieurs ressortissants d’outre-Quiévrain sont d’ailleurs plus proches du centre du village que certains Villersois. Bloqué en Belgique, ouvert à l’Hexagone, le SC n’a pourtant jamais envisagé d’intégrer la Fédération Française de Football.

 » C’est hors de question « , lance Fabien Lecler, président (français) du club depuis 2010.  » La mentalité française est trop différente. Ici, il n’y a jamais de soucis alors qu’à côté, c’est beaucoup moins convivial. Les clubs français ne connaissent pas la troisième mi-temps, par exemple : à 17h05, la plupart des joueurs sont de retour à la maison. C’est tout simplement un autre sport.  »

Ce trentenaire originaire de Margny, premier village après la frontière, a débuté le foot à Villers dans les années 90 pour une question de proximité. L’expérience qu’il a engrangée depuis lors l’a convaincu que la structure du foot belge amateur est plus professionnelle que celle de son voisin.

 » Ici, on respecte les horaires des entraînements « , illustre-t-il. Ces 50 dernières années, ils sont donc des dizaines à avoir traversé la frontière pour taper le cuir au Jas.  » Malheureusement, les Français n’ont pas tous eu une bonne influence sur le club « , nuance Lecler.  » Il y a quelques années, certains ont vraiment dégradé la mentalité du club. Ils se prenaient pour des vedettes, avaient des comportements inappropriés et ont du même coup compliqué nos relations avec nos adversaires.  »

Gengoulf et Orval

En 2015, la Première de Villers-devant-Orval met la clé sous la porte. Pour prendre du recul. Il faut attendre le printemps 2017 pour qu’à l’initiative de quelques jeunes du village, un nouveau projet d’équipe-fanion soit mis en place.  » Ils sont six-sept joueurs du cru et sont accompagnés de quatre Français « , précise Henry.  » On se veut complètement opposé à ce qu’on a vécu il y a quelques années. On était dans l’exagération totale : le président et l’entraîneur avaient un téléphone payé par le club. Alors qu’on est en P3 !  »

Situé à trois petits kilomètres de la fameuse abbaye d’Orval, le village de Villers a toujours vécu dans l’ombre du monastère. Les touristes ne sont en effet pas nombreux à pousser leur char jusqu’à la bourgade voisine.  » Pourtant, ils pourraient y déguster la propre bière de Villers : la Gengoulf « , salue Henry.

 » Le maître brasseur qui la produit est un ancien chimiste d’Orval. Avec les habitants, on fait en sorte d’étendre petit à petit sa popularité.  » Cela n’empêche guère les Villersois de célébrer l’incontournable trappiste.  » Et contrairement au reste du pays, on ne connaît pas de pénurie « , se rengorge Lecler.  » Il y a toujours de la réserve à la buvette pour le week-end. Mais ici, il ne s’agit pas de servir un Orval de trois semaines : il faut impérativement le laisser vieillir.  »

Les connaisseurs viennent des deux côtés de la frontière pour déguster ces Orvaux – l’appellation en patois local – et encourager les différentes équipes du club.  » Étonnamment, on est fort suivi « , glisse Henry.  » Beaucoup de clubs adverses sont surpris de retrouver jusqu’à une centaine de fans le long du terrain. En déplacement, on est parfois plus nombreux que les locaux.  »

Un titre attendu depuis 20 ans

Avec 130 affiliés, le SC Villers-devant-Orval fait figure d’exception du foot amateur pour un petit village qui ne compte pas beaucoup plus d’âmes.  » Cet engouement s’explique notamment par l’absence d’autres possibilités sportives « , estime son chairman.

 » À Villers, c’est la gym ou le foot. C’est un peu comme dans le temps : les alternatives existent surtout en ville. Je pense ainsi à la Jeunesse Arlonaise qui « subit » depuis peu l’implantation du hockey. Pas nous.  »

Un nombre d’équipes de jeunes qui évolue constamment, une formation féminine outsider en P2 et deux formations seniors… Au contraire de bon nombre de petits clubs de patelins, les Villersois ne doivent pas s’associer à d’autres écuries pour survivre.

 » Meix-devant-Virton et Florenville sont les ogres de la région, mais on parvient à entretenir une grosse rivalité sportive avec eux « , place Richard le comitard.  » Parfois, ça va malheureusement plus loin : pour les Florenvillois, on est tout simplement des bouseux.  »

Quoi qu’il en soit, la politique du comité du SC repose en très grande partie sur la jeunesse du club.  » On n’a pas encore d’ambition concrète pour les A « , assume Fabien.  » On veut surtout créer un groupe. Maintenant, on attend un titre depuis 20 ans donc on ne cracherait pas sur une montée en P2.  »

L’épisode  » Jacquie  »

Ce serait l’occasion de retrouver la Une des quotidiens régionaux… que les Luxembourgeois connaissent bien pour avoir créé le buzz il y a exactement deux ans. À l’époque, l’équipe réserve avait arboré un maillot floqué « Jacquie et Michel« , le célèbre site pornographique français.

 » Cet épisode a fait parler de nous, mais l’histoire n’est pas si belle que ça : Jacquie et Michel n’ont pas tout financé « , regrette néanmoins Richard.  » L’équipe réserve joue encore avec les maillots, mais ça ne nous fait ni chaud ni froid.  »

PAR ÉMILIEN HOFMAN – PHOTO EMILIEN HOFMAN

 » Contrairement au reste du pays, on ne connaît jamais de pénurie d’Orval.  » – Fabien Lecler, président du club

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