Un vélo pour Emile

L’ancien capitaine des Diables Rouges coachera son club pour la première fois samedi à Nuremberg.

Gelsenkirchen a trois soleils. Il y a celui qui a déjà réveillé la nature, l’Arena qui brille de mille feux après avoir appris qu’elle accueillera la finale de la Ligue des Champions en 2004 et Marc Wilmots, qui a pris la relève de Frank Neubarth en tant qu’entraîneur de Schalke 04.

Les supporters du solide club de la Ruhr éprouvent une confiance sans limite à l’égard de leur gladiateur belge. A l’entraînement, sur la pelouse du vieux Parkstadion, les joueurs travaillent dans la joie retrouvée: exercices de démarquage, mouvements sur les ailes, centres devant le gardiens, tirs au but avec un Sven Vermant particulièrement précis, match sur une moitié de terrain avec Willie (34 ans) qui ne résiste pas au plaisir de taquiner la balle au milieu de ses joueurs. Il parle, explique, dissèque avant de signer des autographes aux admirateurs de Schalke qui attendent leurs dieux.

Schalke, c’était Dallas

Avec quels mots Rudi Assauer, le manager du club, vous a-t-il demandé de prendre la succession de Frank Neubarth?

Marc Wilmots: Il n’a pas tourné autour du pot. Le dimanche après notre nul face à Munich 1860, Rudi Assauer m’a posé la question de confiance. Je lui ai demandé un jour de réflexion et, décidé à aider le club, j’ai expliqué que c’était à lui de choisir: soit je restais sur le terrain ou le grand patron du club me voulait sur le banc. Je me sentais bien en tant que joueur. J’étais revenu dans le coup à Hambourg et contre Munich 1860. Assauer insista pour me confier la direction du groupe. Il a décidé que c’est là que je pouvais aider le plus Schalke. J’ai accepté et résilié mon contrat de joueur avant d’en signer un autre, en tant qu’entraîneur, pour une période de huit matches. Je ne suis plus joueur, c’est fini, terminé pour toujours. Deux mois plus tôt que prévu, c’est pas un problème. J’en ai évidemment parlé à mon épouse, Catherine, car c’est un nouveau changement dans ma vie. Je me suis réinstallé à Jodoigne depuis peu et il n’était pas question de faire revenir le camion de déménagement.

Quand je ne pourrai pas revenir à la maison, je dormirai à l’hôtel. Catherine a réagi avec enthousiasme. Elle sait que c’est un métier que j’aime. Je me suis dit que je devais marier tout de suite une femme comme celle-là: heureusement, c’est fait depuis longtemps. (Il rigole un bon coup) Je n’ai pas le diplôme adéquat pour porter officiellement le titre d’entraîneur de Schalke 04 mais cela ne change rien. En tant que team chef, je prends évidemment toutes les décisions sportives. Le titre de coach, je m’en fous. Il faut gagner, c’est cela qui compte pour Schalke, rien d’autre. Après le scrutin législatif du 18 mai, j’assumerai évidemment les responsabilités que les électeurs me confieront au Sénat et j’aurai le temps de suivre les cours d’entraîneur de l’Union Belge. Ce sera intéressant mais je n’ai pas le temps pour le moment.

Maintenant, il faut sauver la mise pour Schalke en lui permettant de gagner un des deux billets pour la Coupe de l’UEFA. Schalke a signé beaucoup plus de matches nuls que ses concurrents et n’a plus gagné depuis neuf matches. Cette tendance devra être inversée et ne dit-on pas que l’ambiance était devenue difficile dans le groupe?

Ne comptez pas trop sur moi afin de parler du passé. J’ai tourné la page. Il y a eu tellement de problèmes que Schalke, c’était comme Dallas, le feuilleton à la mode dans la presse durant huit mois. Des joueurs se sont fâchés, se sont disputés, il y a eu l’affaire Rost, le problème Böhme, etc. J’aimerais que cela soit à nouveau un best seller. Schalke doit retrouver le calme et redevenir ce qu’il a toujours été: un club à l’ambiance familiale. L’ambition de mon club en début de saison était de terminer parmi les places européennes. On peut en gagner cinq en Allemagne via le championnat: trois pour la Ligue des Champions et deux pour la Coupe de l’UEFA. Avec 39 points pour 26 matches, Schalke est sixième et à une unité seulement de Hambourg, donc de la dernière place européenne. Si on termine cinquième, ce sera parfait. Je veux rassembler les gens et retrouver la joie de jouer et d’être ensemble. Le football est simple: quand on donne le respect, on reçoit le respect.

Entre vous et Neubarth, le courant ne passait pas…

Non, en effet. Mais chaque entraîneur a le droit d’avoir ses idées. Il avait les siennes et ne misait visiblement pas sur moi. Quand je suis revenu du Japon, je savais que j’allais être opéré au genou. J’ai fait partie du conseil des joueurs mais je ne voulais pas être capitaine. Neubarth en a peut-être conclu qu’il ne devait plus compter sur moi. C’était une erreur. Enfin, c’était son problème, pas le mien. J’ai vite été opéré du ménisque et j’ai perdu deux mois avant un autre pépin. Pour Neubarth, je n’étais plus une solution. Nous nous parlions très peu. Cela ne m’intéresse pas car je veux me consacrer totalement à ma mission. Je dois trouver le ton et le style de jeu qui conviennent à ce groupe. C’est ce qui est important: j’aurais accepté ce défi même si ce club luttait pour sa survie en Bundesliga.

Je dois beaucoup à Schalke et cela ne s’oublie pas. C’est un grand club. Schalke est hyper pro, a deux managers, un staff technique de qualité et un préparateur physique de top niveau qui oeuvre chez nous depuis quatre ans. Les joueurs subissent une batterie de tests tous les trois mois. Je ne dois pas requinquer le groupe sur le plan physique. Si c’était le cas, j’aurais un grave problème à cette époque du championnat. Les joueurs sont tous aptes à subir le rythme de la Bundesliga. J’ai supprimé un match amical vendredi passé, j’en ai prévu un quatre jours plus tard. Je dois avant tout beaucoup parler aux joueurs. Il s’agit de leur donner confiance. Ici, on travaille. C’est propre à la région. Quand j’ai signé à Schalke, c’était dans un petit bureau de rien du tout. Maintenant, c’est tout un domaine avec des terrains d’entraînement magnifiques et un nouveau stade, l’Arena, qui est un bijou. Ce club a sué pour arriver là et rien n’aurait été possible sans amitié. Pour progresser sur le terrain, il faudra que l’envie soit au rendez-vous. C’est psychologique. Du talent, il y en a mais les têtes doivent suivre. Et c’est plus facile quand on prend son pied à l’entraînement. Je varie beaucoup, le plus souvent avec ballon, car les joueurs n’aiment pas faire tout le temps la même chose.Diversifier le jeu

Allez-vous revoir le système tactique?

Je dois tenir compte des potentialités. Neubarth a prôné un 4-4-2 mais je préfère en revenir, en gros, au 3-5-2 sans que ce soit un choix rigide mais en sachant que Schalke a décroché ses plus grands succès avec ce système. Il s’agit un peu d’une marque de fabrique. Je veux une plus grande richesse dans le jeu offensif. Cela passe par plus de variété. Ainsi, Asamoah restait toujours à droite. C’était facile de jouer contre Schalke qui ne diversifiait pas son jeu afin de surprendre l’adversaire. Cela va changer sans oublier pour chacun l’obligation de prendre une zone quand on n’est plus en possession de la balle.

Je n’ai pas beaucoup de temps pour faire des expériences mais le 3-5-2 nous aidera. Le football, c’est pas seulement les pieds, il faut jouer avec la tête. Quand on n’utilise pas son cerveau, c’est plus facile pour l’adversaire. Je ne me casse pas la tête, je prends tout avec sérénité. Même si c’est dur. Quand j’étais joueur, tout était prêt et après la douche, c’était terminé. Ici, cela commence quand les joueurs ont fini. Je dois préparer les entraînements, tout calculer, m’entretenir avec ceux qui ne prendront pas part au prochain match, écouter les gars qui ont des problèmes familiaux, gérer les huit blessés et les cartes rouges. Je possède les clefs du stade. J’ai envoyé des fax aux joueurs retenus par leurs équipes nationales afin de leur montrer que nous nous intéressons à eux.

Comment doit-on vous appeler?

Marc. On ne va commencer avec chef ou machin, c’est Marc, je n’ai pas changé de nom. Willie dans le vestiaire, Marc pour tout le monde. Ils savent que je suis l’entraîneur, pas besoin de leur dire. Ils n’ignorent pas que celui qui ne fera pas ce que j’attends de lui ramassera mon pied au cul. Je donnerai des responsabilités mais cela va voler s’ils ne justifient pas ma confiance. Il n’y a que Schalke qui compte.

C’est ce que Assauer se dit et il espère que Louis Michel vous libèrera si cette expérience de coach est un succès…

Non, c’est huit matches, rien que huit matches. Après on me lâche, j’ai une famille. Je ne sais pas faire mille choses à la fois. Louis Michel et Rudi Assauer se sont rencontrés durant la cérémonie de remise du Trophée National du Mérite Sportif. Je me suis engagé pour quatre ans au MR afin de me consacrer au sport. C’est aussi un défi et je veux que les décideurs s’intéressent plus au sport. Louis Michel n’a pas mis la pression pour que j’accepte ou pas l’offre de Schalke. C’est mon trip. Je n’ai pas le temps de préparer les élections. Les gens connaissent mes idées, mon combat pour plus de sport, surtout à l’école. Quand jele peux, je me rends à mes meetings du MR, j’ai été à Ciney et à Louvain-la-Neuve mais je ne peux pas me couper en quatre.

Mais ce qui arrive à Schalke prouve aussi que vous avez toujours voulu être entraîneur?

Non, ce sont les circonstances qui ont précipité la situation actuelle. Je voulais m’inscrire aux cours de l’Union Belge pour l’avenir. En ne sachant pas quand, comment et pourquoi cela commencerait un jour. Schalke, c’est un dépannage. J’espère que ce sera une réussite et une source de joies pour tous et pour moi. Après, j’aurai besoin de souffler.

Mais la politique, c’est dur aussi …

On verra. Je me suis engagé, je ne renoncerai pas. Fier de Gerets

Est-ce que la réussite d’Eric Gerets à Kaiserslautern vous inspire?

Magnifique, non? Il y a trois ans, je l’avais renseigné à Schalke. Il construit, c’est ce qu’il y a de plus difficile à faire. Son envie d’avancer est énorme. J’ai suivi son match de demi-finale de Coupe d’Allemagne à la télé. Emile et moi, nous étions fous de joie quand Kaiserslautern s’est qualifié pour la finale contre le Bayern. Eric sauve son club et lui a offert un billet européen avant que la finale n’ait lieu: formidable. Un Belge casse la baraque. J’en suis fier. Il a repris un club dansle 36ème dessous: je m’excuse pour l’expression mais j’appelle cela « avoir des couilles ». Moi, j’aurais pu avoir une vie pépère mais j’ai accepté un nouveau défi à Schalke…

Vous vous ressemblez même s’il a l’air un peu plus méchant que vous parfois…

Il a une barbe. Je vais laisser pousser la mienne. Je peux être méchant aussi. Il ne faut pas me chier dessus. On dressera le bilan le 24 mai. Dans huit matches. Si Schalke n’est pas européen, ce sera pour ma pomme mais pour la leur aussi car un an sans Europe, c’est une saison sans sel. Nous sommes morts si chacun pense à sa petite personne. Nous y arriverons ensemble. C’est passionnant à crever et je veux être à la hauteur du choix d’Assauer. Il ne m’a pas lancé un défi, il m’a accordésa confiance et tout son respect, c’est autre chose.

Il faudra jouer à du 202 km/h pour avoir un billet européen…

Comme Emile, c’est ça?

Ouais.

Comme il habite à 500 mètres du club, je vais offrir un vélo à Emile. En Allemagne, la vitesse est illimitée sur certains secteurs d’autoroutes. J’en parlerai avec lui, c’est évident… Sa femme fera parfois la route entre la Belgique et Schalke, c’est une bonne leçon. Sportivement, il est au top, c’est important mais je ne mets personne sur un piédestal. Si cela ne va pas, j’ai aussi du potentiel offensif avec Sand, Agali, etc. Je peux varier et les meilleurs joueront.

Quels sont vos anciens entraîneurs qui vous inspirent le plus?

Je ne peux pas tous les citer. J’en ai eu 17, je crois. Il y a eu Aad de Mos et Arie Haan qui travaillaient beaucoup le jeu de position, les mouvements et automatismes sur petits espaces. Robert Waseige sentait le groupe comme personne. Huub Stevens aussi. Quand mon fils a eu des problèmes de santé, Stevens m’a autorisé de rester à la maison autant de temps qu’il le fallait. Je n’ai jamais entraîné mais je ne crains rien. Mes séances de travail sont courtes et intensives. Jamais plus d’une heure et demi. Pas par hasard, c’est la durée d’un match. Les théories sont courtes. Le blabla au tableau, cela endort les joueurs. Il faut être bref et tout mettre au plus vite en pratique sur le terrain. Je m’inspire de tous mais je serai moi-même avec un vestiaire et un GSM ouverts 24 heures sur 24. C’est beaucoup de travail mais cela ne me dérange pas. Mon père bosse encore plus. Le jeudi, il part à trois heures du matin au marché aux bestiaux de St-Trond. Le lendemain, il s’en va à quatre heures au marché de Ciney. Et cela dure depuis 30 ans. Le travail et l’honnêteté sont les deux secrets de Léon Wilmots, j’ai de qui tenir.

Pierre Bilic

« On doit jouer avec la tête »

« Je peux être méchant aussi: il ne faut pas me chier dessus »

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