Un titre POUR LA VIE

Le sélectionneur belge évoque ses jeunes loups, la distribution des primes et les difficultés de son boulot.

Dans la sélection de José De Cauwer pour le Mondial, on cherche en vain des noms comme Leif Hoste, Rik Verbrugghe, Frank Vandenbroucke, Nico Mattan, Axel Merckx et Mario Aerts. A leur place, des néo-professionnels : Johan Vansummeren, Maxime Monfort et Wim Vanhuffel, des talents qui émergent, comme Philippe Gilbert, Tom Boonen et Nick Nuyens, et deux valeurs sûres seulement, Peter Van Petegem et Marc Wauters.

De Cauwer estime que la vieille garde manque de rage de vaincre. Ses premières flèches sont pour Verbrugghe, qui a refusé sa sélection parce que sa femme doit accoucher cinq jours avant le Mondial :  » Qu’il joue les baby-sitters « .

Jamais entendu parler des hommes modernes ?

José De Cauwer : Je comprends Rik mais s’il était vraiment motivé, pourquoi ne pas provoquer l’accouchement un peu plus tôt ? Le sport passe avant tout. On y gagne beaucoup. Si on n’est pas d’accord, il faut faire un boulot huit -cinq. Pour gagner 500.000 euros, il faut faire des efforts. La femme d’un sportif doit parfois aspirer à une autre vie mais alors, elle doit épouser quelqu’un d’autre. Le sportif doit être soutenu par toute sa famille… Je ne dis pas que l’accouchement est une excuse mais il aurait dû s’exprimer autrement alors : -Le parcours est dur, je ne pense pas être assez bien pour y briller, surtout avec cet événement familial.

Vous avez été plus compréhensif à l’égard d’Axel Merckx.

Il preste depuis le Tour, a été fantastique aux Jeux et sa médaille de bronze le met sous pression.

Courir pour son pays ne fait manifestement plus recette.

Beaucoup se demandent si une sélection est vraiment un cadeau. Sur route, on peut encore se cacher, fonctionner au sein du groupe, mais en contre-la-montre pas. Je n’ai rien contre un refus, à condition qu’on ne se plaigne pas ensuite de ne pas recevoir sa chance. La presse me reproche de ne pas assez communiquer mais si je téléphone à un coureur, il croit qu’il est sélectionné. Je n’appelle pas les cas limites.

La génération de Vandenbroucke n’est donc pas assez motivée ?

La jeune garde doit prouver qu’elle est digne du sommet. Nous avons bon espoir. Quand Marc Sergeant a commencé ici en Espoirs, nous n’avions plus rien gagné au Mondial. A Plouay, trois Belges étaient parmi le top 15. Les jeunes courent plus à l’étranger, grâce à quelques équipes semi pros. La Fédération a aussi amélioré la formation et engagé Carlo Bomans. Juniors et Espoirs s’expatrient, sont mieux sélectionnés. Nous sommes plus attentifs aux qualités d’un coureur sur tel type de parcours. Les sélections de jeunes actuelles n’ont gagné que le cinquième des courses remportées par leurs aînés. Certains deviennent pros avec 15 victoires mais se distinguent ensuite.

 » Souffrir ne veut pas dire être mauvais  »

Pourquoi ce contact avec l’étranger est-il si important ?

Pour la diversité. Si je suis frêle et vous solide, vous me battrez toujours au sprint et je penserai n’être pas bon. Si nous sommes nés en Espagne et que nous grimpons des côtes, c’est moi qui serai en tête. En courant à l’étranger, les jeunes ont donc l’occasion de se développer et de faire leurs preuves. Ils y sont aussi confrontés à leurs limites. Pourquoi se bonifier si on gagne toutes les kermesses ? Un jeune qui n’est pas élevé assez durement associe trop vite douleur à  » être mauvais « . Plus tard, il est impossible de rectifier le tir. Je ne demande pas la perfection. Prenez Nick Nuyens. Il a achevé ses études tout en roulant. Il a une mentalité de battant.

Retour au Mondial. Vous partez avec 12 coureurs de huit équipes. Comment en faire un groupe soudé ?

J’effectuerai le voyage en avion avec eux. Plusieurs jeunes ont été ensemble dans les équipes d’âge, les anciens se connaissent évidemment. Ils seront motivés, d’autant que j’ai une réserve de poids, Bert de Waele.

Pourquoi avoir pris Wim Vanhuffel, qui n’a pas été convaincant comme néo pro chez Vlaanderen-T-Interim ?

Il a suivi Armstrong au Tour de la Méditerranée. Je le connais. Il ne lâchera pas sur le parcours de Vérone.

Vous aimez une bonne ambiance, non ?

Oui. Au Canada, Van Petegem demande s’ils peuvent avoir un peu de vin. Pas de problèmes : deux bouteilles, un verre par personne. Le vin de la maison n’est pas génial et Van Petegem commande deux bouteilles de Mouton Cadet. Il me demande si j’en veux. J’ai dit qu’on en apporte quelques autres et que le personnel en boive aussi. A mon compte… Mais j’insiste sur la discipline. Une fois, à Vérone, il y avait une conférence de presse à 8 h 30. L’ancien soigneur de Vandenbroucke m’a dit : – Ce sera difficile pour Frank. Il partageait sa chambre avec Mattan. Tôt, j’ai allumé et je les ai mis en garde. Ils étaient là, aveuglés par la lumière. Ils étaient pile à l’heure. Je ne vois pas pourquoi je ne m’occuperais pas de ce genre de choses. Et je n’ai eu aucun problème avec VDB.

 » Parlons d’argent  »

Quelle est l’importance de Peter Van Petegem pour l’esprit d’équipe ?

Dans ce genre d’équipe, on a besoin d’un homme qui prenne les choses en mains. Van Petegem assume cette responsabilité, peut-être inconsciemment. Un exemple : les coureurs conviennent de se retrouver à neuf heures pour l’entraînement. Van Petegem n’est pas du genre à arriver à neuf heures et quart ni, à l’inverse, une demi-heure à l’avance. Il descend pile à l’heure convenue. Les autres lui confèrent quelque peu ce statut de leader, même si je m’attends à ce que Wauters et Boonen reprennent un peu ce rôle aussi. En général, lors de la réunion, le dernier soir, les leaders se manifestent : – Je veux ceci et ceci.

Que voulez-vous dire ?

La Fédération met une certaine somme dans le pot – 50.000 euros. La question, c’est : que met éventuellement le vainqueur en plus. Certains leaders disent : – Si je gagne, je donne autant aux onze autres. Cela a toujours fonctionné comme ça. L’argent est partagé de commun accord avec le coach et quelques personnes désignées. Tous ne reçoivent pas systématiquement quelque chose après. Il arrive qu’un coureur ne veuille pas sa part du gâteau parce qu’il n’était vraiment pas bon. Pourtant, il reçoit parfois quand même quelque chose, en marque de respect. C’est partout pareil, vous savez, y compris en cyclocross.

Le leader reçoit-il cet argent de son équipe ?

Généralement mais certains y vont de leur poche. Pourquoi pas ? Il s’agit d’une équipe nationale, composée de coureurs issus de formations différentes. Le vainqueur va bénéficier, sur le plan personnel, d’une énorme plus-value. Ce titre, c’est pour la vie. Evidemment, vous ne pouvez pas dire : – Mon beau-père est riche, je mets un million d’euros et je serai champion du monde. Certaines années, nous n’avons pas discuté argent avant, convenant simplement qu’on mettrait une grosse somme si on en arrivait là. Tout dépend de la situation. Si vous partez avec un seul leader, comme André Tchmil à Plouay, il faut veiller à ce que toute l’équipe se mette à son service : foncer sans se poser de questions et voir où on arrive. Cette équipe-ci est plus calme. Le fait que tout soit retransmis en direct à la TV est d’ailleurs précieux : si un coureur perd les pédales, il se cause du tort.

Pourtant, le championnat du monde reste influencé par l’intérêt des équipes. Accepteriez-vous, disons, que Nick Nuyens refuse de se lancer à la poursuite de Bettini ?

J’attends avant tout de Nuyens qu’il participe aux échappées. Si ce n’est pas le cas, Gilbert prendra immédiatement la relève. Je signale aussi à Nuyens que Bettini ne restera pas éternellement son coéquipier et qu’il ne récupérera pas ce qu’il perdrait éventuellement. Tout est affaire de confiance. Et puis, parfois, l’influence des équipes n’est pas si mauvaise que ça. Imaginez que Boonen se retrouve dans le peloton de tête avec sept coureurs de QuickStep… Nous saisirons l’occasion si elle se présente.

Loes Geuens

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