UN SPORT SCLÉROSÉ par la tradition

Un aperçu des points sensibles et des défis à relever si nous ne voulons pas que l’annus horribilis 2013 se répète.

Aucune victoire dans les classiques printanières, une absence quasi-totale dans les grands tours et au Championnat du Monde, deux coureurs seulement dans le Top 50 du WorldTour et une sixième place au classement des nations… L’année 2013 ne restera pas dans les annales du cyclisme belge.

On est loin de la haute conjoncture des années 2010 à 2012, lorsque Tom Boonen et Philippe Gilbert imposaient leur loi dans les courses d’un jour tandis que Jürgen Van Den Broeck, Jelle Vanendert et Thomas De Gendt se permettaient de remporter des étapes ou de collectionner les places d’honneur au Tour de France et au Giro.

L’an dernier, les chutes et blessures de Boonen et Van Den Broeck puis la méforme prolongée de Gilbert, De Gendt et Vanendert plongèrent notre cyclisme dans le doute. Seuls Sep Van Marcke (deuxième de Paris-Roubaix), Jan Bakelants (une victoire d’étape au Tour) et Gianni Meersman (victoires d’étapes aux Tours de Catalogne et de Romandie) le sortirent quelque peu de sa torpeur mais ce fut insuffisant pour nous faire rêver.

D’autant que Jürgen Roelandts et Greg Van Avermaet, le plus régulier, manquèrent de tranchant pour nous apporter le grand succès que nous attendions. Aujourd’hui, à l’issue d’un hiver qui n’en était pas un et à quelques jours de l’ouverture de la saison belge, la crise semble un tant soit peu derrière nous.

Tornado Tom (33) a retrouvé son éclat au Qatar, Gilbert (31) s’est débarrassé du syndrome du maillot de Champion du Monde, il a revu son programme à la baisse à la demande ou sur ordre d’Alain Peiper et, surtout, il s’est enfin adjoint les services d’un coach, Bobby Julich.

Quant à Jürgen Van Den Broeck (31), sa longue période de rééducation est terminée et il est bien décidé à retrouver son meilleur niveau, surtout au Tour. De Meersman (28) continue sur sa lancée de l’année dernière et a remporté le Tour de Majorque tandis que Bakelants, Van Avermaet et Roelandts sont déterminés à franchir le pas qui les sépare des meilleurs.

Tout comme Sep Van Marcke (25), les deux derniers seront leaders de leur équipe dans les classiques flamandes.

Si un salaire revu à la baisse et un encadrement professionnel chez Omega Pharma-Quick Step peuvent réveiller Thomas De Gendt, si l’étoile des championnats de Belgique brille encore sur Stijn Devolder (34), si Maxime Monfort (31) prouve au Giro qu’il est davantage que le porteur d’eau des frères Schleck et si le talent des prometteurs Jasper Stuyven (21), Sean De Bie (22), Tim Wellens (22) et Guillaume Van Keirsbulck (23) peut se matérialiser par des résultats, les craintes de devoir affronter de longues années de vaches maigres disparaîtront.

Toujours une nation de cyclisme ?

Toute la question est de savoir si à moyen ou long terme, la Belgique pourra conserver son statut de nation du cyclisme. L’est-elle d’ailleurs toujours ou cette perception est-elle uniquement basée sur la nostalgie des années Merckx et des victoires sur les pavés ? Le classement final de l’UCI ou du WorldTour des vingt dernières années donne une indication : en moyenne, nous ne plaçons que 3,25 coureurs dans le Top 50. Les points noirs se situent en 2005 et 2006 (seul Boonen y figurait) mais aussi en 1997, 2003 et 2013. En 1989, par contre, nous comptions encore 9 représentants dans ce ranking.

Depuis, seule l’année 1999 nous a vus classer plus de deux Belges dans le Top 25 (Frank Vandenbroucke, Peter Van Petegem et Tom Steels). Dans le top 10, nous n’avons plus jamais eu plus d’un seul représentant. De 2000 à 2003, en 2007 et en 2013, nous n’en avions même aucun. Seuls JohanMuseeuw, Vandenbroucke, Boonen, Devolder et Gilbert se sont hissés dans le gratin mondial, Gilbert terminant deuxième et premier en 2010 et 2011 tandis que Boonen se classait deuxième en 2005 et 2012.

C’est à ce duo ainsi qu’à Museeuw, Van Petegem et (durant peu de temps) à Vandenbroucke que les amateurs de cyclisme belge se sont référés au cours des vingt dernières années mais leurs triomphes ont souvent faussé l’image de notre cyclisme au niveau international et camouflé ses lacunes : dans les sprints massifs, depuis la retraite de Tom Steels, nous ne pouvons miser que sur Boonen. Cela fait plus de 30 ans que nous cherchons un vainqueur potentiel dans les contre-la-montre et dans les grands Tours ; et dans les disciplines olympiques comme la piste ou le VTT, nous ne sommes nulle part non plus.

Dans cinq ans, Boonen, Gilbert et Van Den Broeck seront à la retraite. Si Van Avermaet et Cie sont confrontés à leurs limites, on risque de s’enliser alors que le monde du cyclisme est en pleine évolution et que la concurrence ne cesse d’innover ou d’investir. Même la France s’est réveillée et a injecté 68 millions d’euros dans un nouveau centre qui, basé sur ce qu’ont fait les Anglais (Team Sky), doit lui apporter d’ici quelques années un vainqueur du Tour et des candidat(e)s aux médailles olympiques dans toutes les disciplines.

La formation des jeunes régresse

Ici, on ne manque ni d’argent ni d’installations mais la formation des jeunes, sclérosée par les traditions, régresse d’année en année. Si la Belgique a encore produit des champions, elle le doit davantage au hasard qu’à un écolage basé sur les connaissances et sur l’évolution scientifique. Sur des milliers de jeunes coureurs, il y en a toujours bien un qui finit par percer mais combien – notamment parmi ceux qui mettaient plus de temps à évoluer – ont été sacrifiés sur l’autel de la culture darwinienne de la loi du plus fort dès le plus jeune âge ?

De plus, en Belgique, on continue à prôner les courses en circuit, ce qui oblige les coureurs à travailler en intervalles plutôt qu’en endurance. Là non plus, on ne favorise pas le long terme. Enfin, on leur donne souvent pour seuls objectifs les classiques pavées ou le championnat de Belgique de cyclo-cross sans tenir compte de leurs qualités spécifiques. On perd ainsi des candidats-sprinters ou des grimpeurs.

Au cours des dernières années, la fédération belge de cyclisme a certes organisé des stages en altitude mais ce n’est pas en passant deux fois quatre jours par an dans les Vosges ou dans les Alpes qu’on devient grimpeur. Cela s’est vu aux Championnats du Monde à Florence où les meilleurs Belges ont terminé respectivement 35e chez les juniors et 25e en Espoirs.

 » Nous n’avons pas de coureurs pour ce type de circuits « , en a conclu le sélectionneur fédéral, Carlo Bomans, affirmant que c’était génétique. Nous parlerons plutôt de lacunes au niveau de l’encadrement spécifique.

L’intention est certes d’élargir ces stages mais il n’est pas encore question d’envoyer les coureurs en montagne pendant tout le mois de juillet car à ce moment-là, on préfère les voir courir en Belgique. Pas question, non plus, de mettre un terme à la saison sur route fin septembre et de consacrer le mois d’octobre à la piste. Parents, supporters, clubs et, surtout, organisateurs ne seraient pas d’accord.

Le projet « Contre-la-montre » lancé l’an dernier par la fédération belge et son aile flamande démontre pourtant qu’une approche structurée et scientifique porte ses fruits. Sous la houlette de deux scientifiques et du coordinateur au sport de haut niveau Frederik Broché, les meilleurs juniors et espoirs ont été préparés en vue des Championnats du Monde et d’Europe par le biais de stages, des conseils en matière d’alimentation, de tests d’aérodynamisme et de protocoles d’échauffement. Résultat : un titre de Champion d’Europe Espoirs pour Victor Campenaerts et un maillot arc-en-ciel chez les juniors pour Igor Decraene. Le projet doit pourtant encore être perfectionné.

Un manque d’entraîneurs compétents

De belles initiatives ont également été prises au niveau féminin sur piste. Lors des derniers Championnats d’Europe et du Monde, Jolien D’Hoore, Nicky Degrendele, Lotte Kopecky et Kaat Vandermeulen ont accumulé les médailles. Le fait qu’il s’agisse de filles n’est pas dû au hasard : elles sont beaucoup moins liées aux clubs et aux traditions, ce qui les rend plus malléables. Il faut investir sur ce terrain, d’autant que la piste est une discipline très technique. Au cours des derniers mois, par contre, un seul garçon a percé : Jasper De Buyst (20) a remporté la Coupe du Monde d’omnium à l’occasion des Six Jours de Gand. Il attirera peut-être d’autres jeunes sur la piste.

Mais pour bien diriger les coureurs, il faut des entraîneurs compétents. C’est le deuxième gros problème du cyclisme belge : nous manquons de coaches titulaires des diplômes B et, surtout A (ceux qui permettent d’entraîner un athlète olympique) pour la simple raison qu’aucun cours A (120 heures sur 2 ans) n’a jamais été organisé chez nous, alors que le cyclisme est une discipline olympique qui bénéficie de gros subsides. La première formation doit démarrer bientôt…

De nombreuses équipes de jeunes disposent d’accompagnateurs et de directeurs sportifs. Il s’agit souvent d’anciens coureurs pleins de bonne volonté mais qui ne connaissent rien des techniques d’entraînement modernes. De plus, les coureurs sont souvent soumis à l’influence d’un tas de gens : l’oncle, le boucher, le boulanger, le président du club de supporters… Et plutôt que de payer un coach, leurs parents préfèrent acheter du matériel.

Pour remédier à ce problème, il faut rendre les cours obligatoires et créer un fonds permettant de subsidier les clubs qui disposeront d’entraîneurs diplômés A et B. En la matière, le récent engagement par la Ligue flamande d’un directeur de la formation des cadres sportifs constitue un pas dans la bonne direction.

Autre point positif : les équipes professionnelles belges semblent afficher une autre mentalité. Elles ne disposent pas du méga-budget de Team Sky mais sont sur le bon chemin en matière d’encadrement scientifique. Omega Pharma-Quick Step a engagé Rolf Aldag et Brian Holm qui amènent les connaissances emmagasinées chez HTC-HighRoad.

L’équipe fait aussi appel à la toute nouvelle Bakala Academy de la KUL, mise sur pied en partie grâce à l’argent du richissime Zdenek Bakala, propriétaire de l’équipe. Lotto-Belisol et Topsport Vlaanderen-Baloise sont soutenus depuis 2009 par un autre centre d’accompagnement d’athlètes de haut niveau : Energy Lab, dirigé par Paul Van Den Bosch.

La Loterie Nationale et le Lotto Cycling Talent Project

En 2010, avec le soutien de la Loterie Nationale, celui-ci a également lancé le Lotto Cycling Talent Project qui détecte et accompagne une quinzaine de jeunes talents débutants ou juniors jusqu’en espoirs et, éventuellement, chez les professionnels. C’est ainsi que TimWellens et Stig Broeckx ont signé un contrat chez Lotto-Belisol.

Un bon exemple pour les fédérations cyclistes qui, l’an dernier, ont lancé une initiative similaire : le Belgian Cycling Athletic Development Project qui, en collaboration avec la Bakala Academy, met à la disposition des meilleurs juniors et espoirs toute une série de spécialistes. Cela lui permet d’établir un profil de chaque coureur, celui-ci étant tenu de remplir un carnet d’entraînement.

La détection de jeunes talents est également revalorisée. Outre la formation de base obligatoire avant 14 ans, on établira désormais un profil de chaque jeune à partir de 11 ans sur base des résultats de petits tests, de temps sur la piste, de données corporelles concernant le gabarit et l’aspect mental.

Ce profil sera adapté chaque année de façon à ce que les coaches puissent mieux évaluer, à 16 ans, vers quelle discipline le jeune doit s’orienter et évaluer sa marge de progression. Dans une société où les jeunes décrochent de plus en plus vite, une telle évolution était absolument nécessaire.

La conclusion de tout ceci : le cyclisme belge est sclérosé par la tradition, la culture de la course engendre souvent de mauvaises options et nous manquons d’entraîneurs diplômés. Le défi consiste donc à coupler notre passion pour le vélo à une détection et une formation scientifique qui verra l’éclosion de jeunes talents primer sur les résultats.

Toutes les fédérations, les dirigeants, les clubs, les coaches et les accompagnateurs doivent faire preuve de suffisamment de volonté et de courage pour innover. Cela se fait lentement mais nous ne pouvons plus attendre cinq ans car les autres nations ont pris de l’avance en la matière. ?

PAR JONAS CRETEUR – PHOTOS: IMAGEGLOBE

Ce n’est pas en passant deux fois quatre jours dans les Alpes qu’on forme des grimpeurs.

Voilà plus de 30 ans que nous cherchons un vainqueur potentiel dans les grands tours.

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