Un secret de Polichinelle

Le meilleur joueur belge de l’ère moderne a clôturé sa brillante carrière. Le point d’orgue fut la demi-finale de Roland Garros en 1997.

« J’ai plusieurs fois pensé arrêter ma carrière au cours des dernières années mais, cette fois, le moment est bel et bien venu ». C’est par ces mots simples que Filip Dewulf a levé le voile sur un secret de Polichinelle. Cela fait quelques mois, voire deux années, que l’on s’attendait à ce que le meilleur joueur belge de l’ère moderne dise stop.

Courant du mois de janvier, nous l’avions longuement rencontré pour se pencher, déjà, sur sa carrière et sur ses motivations. Il ne s’agissait pas -encore- d’un entretien bilan mais on sentait que le Limbourgeois était sur le point d’annoncer sa retraite.

Voici quelques déclarations parues dans ce magazine qui prennent aujourd’hui tout leur sens…

« Si j’en ai l’occasion, j’aimerais mettre un terme à ma carrière comme l’a fait Dominique Monami-Van Roost. Je trouve formidable ce qu’elle a fait. C’est ce que je tente de faire. Réaliser encore un grand coup et puis disparaître dans l’anonymat(…) Quand j’arrêterai, ce sera à la fin d’une saison, pas juste après un exploit(…) Si je n’ai pas mis fin plus tôt à ma carrière pro, c’est parce que j’ai la sensation que je n’ai pas terminé ma carrière. J’ai un goût de trop peu. Il me manque un truc pour clôturer cette vie de joueur pro(…) La vie sur le circuit est inintéressante. 90% des joueurs sont des vrais tennismen qui ne pensent qu’au tennis. Les jeunes voyagent n’importe où pour gagner des points. Il y a plein de joueurs qui ne prennent même plus d’habit civil dans les tournois. Ils sont en training jour et nuit. Ils vont au resto en training, ils voyagent en training. C’est comme si un médecin allait manger en tenue blanche. Cela me sidère. D’autant que, moi, 90% du temps, je ne pense pas au tennis. Il y a toujours des gens intéressants mais il faut les chercher et je ne suis très fort pour ce genre de choses. Moi, je suis très loyal et social avec mes vieux copains mais pour aborder une conversation avec quelqu’un que je ne connais pas, je ne suis pas très fort(…) Les autres joueurs me trouvent un peu bizarre. Ce n’est pas très facile de savoir comment je suis car je ne m’ouvre pas aisément. Mais je m’en moque puisque, dans un an ou deux, je ne verrai plus les joueurs(…) Je me moque à 95% de l’image que j’ai, oui. Ce qui me dérange, c’est que beaucoup de gens pensent que je suis paresseux alors que ce n’est pas vrai. Je sais que ma façon d’être peut donner cette impression(…) Si j’avais gagné Roland Garros en 97, j’aurais été immortel et j’aurais détesté cela. Mais attention, je suis très fier de mon palmarès, de ce que j’ai réussi. J’aurais sûrement pu faire mieux mais avec le risque d’exploser(…) J’aurais pu gagner beaucoup plus d’argent mais bon, je n’ai jamais joué pour l’argent. Cela dit, je ne suis pas inquiet pour le futur(…) J’ai beaucoup joué pour faire plaisir à mes proches. Quand je regarde les vidéos de mes victoires et et que je découvre la joie sur le visage de ma famille, cela m’émeut. C’est pour cela que je l’ai fait. Pour moi aussi, bien sûr, mais surtout pour les autres. J’ai toujours voulu briller dans la vie, malgré moi-même, malgré mon côté introverti. C’est encore une fois paradoxal(…) Je pense que je suis plus un joueur d’équipe qu’un joueur de sport individuel. Je suis différent quand j’évolue au sein d’une formation. J’aurais préféré être un footballeur ».

Retour à samedi dernier, lors d’une rencontre émouvante. Filip : « Tant que je sentais que je pouvais progresser, je continuais, mais, aujourd’hui, je sais que je ne suis plus capable, physiquement et mentalement, de retrouver un niveau suffisant pour obtenir une place intéressante dans le classement mondial. Je savais depuis longtemps que je ne parviendrais pas à récupérer mon meilleur niveau mais j’espérais tout de même remontrer dans le Top 100, voire même plus. Mais maintenant, non, je sais que c’est devenu impossible ».

Ce, pour des raisons diverses : « Physiquement, je suis très loin de mon meilleur niveau, celui que j’ai eu il y a quelques saisons. J’ai réalisé un check up complet il y a peu et la conclusion était qu’il me faudrait encore une petite année pour arriver à 100%. Or, il était impossible que je reste motivé pendant une année entière. Surtout que même dans les petits tournois, si on veut s’imposer, il faut se donner à 100%. 90% n’est pas suffisant, dès lors, comme je sais que je n’y parviendrai pas, je préfère mettre un terme à ma carrière. Je jouerai encore quelques matches d’interclubs et je disputerai quelques tournois dans le Limbourg, pour faire plaisir aux organisateurs ».

Cette décision importante, qui trotte dans la tête du Limbourgeois depuis plusieurs semaines, n’a pas été prise à la légère et a nécessité les conseils des proches de toujours : « Avant de prendre cette décision, j’ai discuté avec des personnes qui ont beaucoup compté dans ma carrière. J’ai parlé avec Gabriel Gonzalez, qui a été mon coach pendant des années, mais aussi avec Jean-Louis Caverenne, mon ostéopathe. J’ai aussi eu un long entretien avec Tom Van Houdt. Mais, in fine, j’ai fait comme j’ai toujours fait sur le terrain : j’ai suivi mon instinct ».

Instinct qui le mènera? « Je prends la vie jour par jour, c’est d’ailleurs ce que j’ai toujours fait. J’attends qu’un poste, un métier, me tombe dessus. Ma passion, ce n’est pas un secret, c’est la musique. Si je peux arriver à faire quelque chose dans le domaine de la musique, je serais très heureux. Je ne dis pas que je veux devenir musicien mais être impliqué dans le milieu m’intéresserait. Je vais aussi voir si je peux devenir journaliste. Mais plutôt en presse écrite car j’écris mieux que je ne parle. J’écrirai peut-être aussi un livre mais bon, j’ai le temps. J’ai la possibilité de voir venir ».

De là à imaginer que Filip Dewulf a déjà des contacts… « Oh, il y a bien un petit quelque chose mais rien de très précis. Je ne sais d’ailleurs pas encore vraiment ce que je désire faire mais comme il s’agit d’un rêve, je vais essayer de le transformer en réalité. Je profite d’ailleurs de cette conférence de presse pour lancer un appel à qui veut m’engager ».

Pas question, dans un premier temps du moins, que le demi-finaliste de Roland Garros s’engage dans une carrière d’entraîneur : « Avec mon expérience, je pourrais sans doute réussir une seconde carrière dans le milieu du tennis mais certainement pas en tant que coach. Je me vois plutôt faire des commentaires à la télévision. Par contre, je ne crois pas que je vais faire comme Sabine Appelmans. Je ne me sens pas prêt à faire des face caméra. Pas encore ».

Quant au capitanat de Coupe Davis : « Ce n’est pas mon truc. Je ne crois avoir le caractère pour être sur le banc ».

En fait, si on lit entre les lignes, on comprend que Dewulf n’a jamais vraiment aimé le monde dans lequel il a évolué si longtemps : « Je n’ai en effet jamais beaucoup apprécié le milieu du tennis. J’ai toujours détesté les côtés négatifs de ce circuit même si, financièrement, c’était vraiment intéressant. Parmi les détails négatifs que je ne supportais pas figurait le fait que l’on ne doit jouer que pour soi, que l’on doit se montrer égoïste. De plus, je n’ai jamais été un véritable compétiteur et je n’ai donc pas réussi à m’acclimater à un monde où l’esprit de compétition prévalait. En fait, je n’ai jamais vraiment eu la passion du tennis. Ma mentalité n’était pas celle d’un joueur professionnel. De ce fait, je suis content de ce que j’ai fait ».

Le Limbourgeois peut en effet être satisfait, lui qui a obtenu les meilleurs résultats belges depuis les années 50.

« J’ai bien entendu regardé ma carrière dans le rétroviseur mais je l’ai fait à ma manière. A savoir que j’ai à la fois analysé mes sommets mais également mes grands trous. Je me suis rappelé que quand j’avais 11 ou 12 ans, je m’étais rendu à Roland Garros et que j’avais été impressionné par la grandeur du Central. Quinze ans plus tard, j’y ai disputé la demi-finale du tournoi. Cela constitue évidemment un souvenir exceptionnel ».

Qui ne constitue pourtant pas son plus bel exploit : « Ma victoire à Vienne en 1995 reste, je pense, le point culminant de ma carrière. Pour la première fois de ma vie, j’ai ressenti que je valais quelque chose sur le circuit. Avant, j’étais un bon joueur mais sans plus puisque je n’étais alors classé que 119e mondial. Là, j’ai battu Muster, troisième joueur mondial, dans son pays natal et devant son public et j’ai remporté un tournoi Grand Prix. Jamais, quand j’étais jeune, je n’aurais imaginé que j’allais gagner un tel tournoi. C’est certainement le moment le plus important car il a servi de déclic. Evidemment, c’est difficile de dire que je mets ce succès viennois devant ma demi-finale à Roland Garros mais, en 97, je n’ai pas vraiment eu la possibilité de savourer l’instant présent. Au moment même, j’étais pris par l’ampleur de ce qui se passait. C’était extraordinaire mais complètement différent de Vienne ».

Par contre, c’est à Paris que Dewulf est entré dans l’histoire sportive belge : « J’ai beaucoup de joie et de fierté d’avoir pu faire vibrer la Belgique. Quand j’ai commencé ma carrière à Diest avec Benny Van Houdt, le père de Tom, je savais taper la balle mais je ne savais pas ou cela allait se terminer et quelques années plus tard, la Belgique entière me suivait à Roland Garros. J’ai aussi joué dix ans en Coupe Davis pour mon pays, ce qui n’est pas mal. Ce sont des choses dont je crois pouvoir être fier ».

Mais que le champion belge ne vas pas regretter. « Je ne vais rien regretter du circuit. Je n’avais vraiment des contacts qu’avec les Belges, pour le reste. En fait, ce qui va beaucoup changer est le fait que je vais avoir beaucoup moins de temps libre. En tant que joueur, j’étais complètement indépendant. J’avais une vie facile car j’organisais mon emploi du temps comme je le voulais ».

Ce qui est désormais de domaine du passé. Filip Dewulf, aujourd’hui, est un retraité du tennis. Un retraité soulagé? « Oui et non. Je n’avais pas vraiment de sentiments bizarres en venant ici. Je savais que je devais tenir cette conférence de presse. C’est un truc normal, pour nous. Mais bon, la vie continue ».

Puisse-t-elle offrir à Dewulf d’aussi bons moments que celui qu’il a fait passer aux amateurs belges pendant une décennie…

Bernard Ashed

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