UN POUR TOUS, UN CONTRE UN

Ses pieds n’arrivent pas à reconstruire l’édifice minutieux que son nom a effrité. Mbark Boussoufa est là pour soigner Gand, mais ses dribbles ne se délivrent plus sans ordonnance. Visite médicale.

Nous sommes le 3 février. Au Jan Breydel Stadion, déjà. Avant ce match, seuls Courtrai et Malines sont parvenus à empêcher les hommes d’Hein Vanhaezebrouck d’alimenter le marquoir sur les pelouses nationales cette saison. Pourtant, ce soir-là, les Buffalos semblent impuissants. Le plan de Michel Preud’homme est en béton. Bâti entre l’idée de Felice Mazzù de presser la relance gantoise et celle, passée inaperçue en début de saison, d’Harm Van Veldhoven qui avait imposé un marquage individuel strict sur les équipiers de Sven Kums. Le champion de Belgique sort d’un mois de janvier stratosphérique, mais le retour sur Terre ressemble à un crash dans lequel les automatismes gantois n’auraient pas survécu.

Dans les tribunes, Mbark Boussoufa assiste à la première fausse note du chef-d’oeuvre gantois. Et crée le débat. Arme tactique pour les uns, suicide idéologique pour les autres. Bouss’ aurait rompu l’harmonie. Un grain de sable d’un mètre 67 dans l’engrenage footballistique merveilleusement automatisé de Vanhaezebrouck.

DÉSÉQUILIBRE DANS LA FORCE

 » La Force, c’est une sorte de fluide créé par tout être vivant. Une énergie qui nous entoure et nous pénètre, et qui maintient la galaxie en un tout unique.  » En pleine Guerre des Étoiles, Obi-Wan Kenobi donne la leçon. Dans Star Wars, c’est la puissance génétique d’Anakin Skywalker qui vient malmener l’équilibre dans la Force. À la Ghelamco Arena, Mbark bouleverse l’unité de la galaxie gantoise. Pas par son comportement ou par son football. Seulement parce qu’il est Boussoufa. Trop puissant pour que l’énergie fluidifiée du football buffalo ne ressente pas le séisme.

Les jours passent et sur le terrain, Gand ne se trouve plus. Et paradoxalement, Bouss’ devient un vaccin à la maladie que son arrivée semble avoir déclenchée. Monté au jeu contre Mouscron, il dégivre le marquoir et enflamme la Ghelamco d’une sublime volée hors du rectangle. Un exploit individuel pour soigner une migraine collective. Les idées dans la tête semblent moins indispensables quand on a du génie dans les pieds.  » Nous n’avons pas beaucoup de joueurs qui peuvent marquer hors du rectangle « , souligne un Vanhaezebrouck apaisé par l’impact immédiat de son joueur sur le tableau d’affichage.

L’ARME INDIVIDUELLE

 » Il n’y aura pas d’effet de surprise, parce que nous nous sommes trop souvent rencontrés ces derniers temps « , déclare Michel Preud’homme en fin de semaine dernière. Quand il regarde dans le rétroviseur, le coach des Blauw en Zwart voit deux duels gagnés sans le moindre but concédé. Mais aussi sans Boussoufa dans le camp d’en face.  » Il y a toujours des schémas tactiques que les joueurs doivent respecter, mais les qualités individuelles ne se prédisent pas.  »

Le Marocain aux deux Souliers d’or semble être la seule inconnue dans l’équation anti-gantoise de Preud’homme. Parce que son plan face aux Buffalos repose notamment sur une formule simple : individuellement, ses joueurs sont plus forts que ceux de Gand. Il  » suffit  » donc d’empêcher la création du jeu gantois, et d’installer des un contre un sur l’ensemble du terrain pour faire parler cette supériorité individuelle. Mais la probabilité de voir le nom de Boussoufa couché sur la feuille de match remet tout en question. Le problème est identique à celui posé par un Moses Simon intenable au printemps dernier : comment faire si un joueur de Vanhaezebrouck se met à gagner tous ses duels avec son vis-à-vis ? Voici un an, les dribbles au lance-flammes du Nigérian obligeaient les adversaires à envoyer plusieurs pompiers éteindre l’incendie, et cette double couverture créait de l’espace pour le football combiné des Buffalos. Voilà comment Boussinho et ses dribbles semblent être devenus une arme dans la lutte pour le titre. Même avec moins de soixante kilos, on peut peser très lourd dans la balance.

Deux mois après avoir testé le confort des sièges du Jan Breydel, Boussoufa est de retour. Sur la pelouse, cette fois. Accueilli par les sifflets stridents du public et le pressing appliqué de Laurens De Bock. Contrairement au match d’ouverture des play-offs, il s’installe à droite, à la place d’un Danijel Milicevic pas assez bon dribbleur pour créer des brèches dans l’organisation brugeoise. L’architecte Vanhaezebrouck a déchiré les plans de la construction gantoise, pour les redessiner à l’envers. D’habitude, Gand combine à gauche et court à droite. Cette fois, Mbark et Thomas Foket doivent dessiner les offensives à coups de passes avec Sven Kums pendant que Simon et Kenny Saïef sprintent entre Thomas Meunier et Lior Refaelov.

L’arrivée de Boussoufa dans la maison du champion a contraint Hein à en repenser l’occupation. Même quand il s’installe à gauche, il joue à l’intérieur alors que Simon a l’habitude de coller la ligne pour laisser l’intervalle au coeur du jeu à Brecht Dejaegere. Par son style, le Marocaina  » imposé  » la présence d’un Saïef qui semble toujours se perdre dès qu’il s’aventure à plus de cinq mètres de la ligne de touche. Les déplacements de Gand sont plus prévisibles. C’est donc des pieds dorés de Mbark que doit venir la surprise.

 » J’ai commencé à droite, mais ce n’est pas ma meilleure position. Je n’ai jamais été dans le match « , concède le Marocain après nonante nouvelles minutes gantoises sans but face à Bruges. Boussoufa n’a pas réussi le moindre dribble, et la pression de De Bock l’a continuellement empêché de regarder le but adverse dans les yeux. Sa première mi-temps s’est résumée à des remises en un temps vers l’arrière et à des décrochages trop profonds pour servir Foket dans la profondeur. La deuxième était à peine meilleure, puisque même les jambes fatiguées de Timmy Simons n’ont pas été prises en défaut par un dribble de l’ancienne caution joga bonito du Parc Astrid. Systématiquement placés dans une configuration  » homme contre homme « , les Brugeois n’ont dû commettre que trois fautes sur Bouss’. Entraver les règles n’était même pas nécessaire.

 » Offensivement, nous avons à nouveau été surclassés par l’adversaire « , admet Hein Vanhaezebrouck, non sans une pointe de dépit dans la voix.  » La plupart étaient pourtant en un contre un. Beaucoup de joueurs rêvent de se retrouver dans ce genre de situation.  » Pep Guardiola impose des possessions infinies, des fausses pistes et des changements d’aile pour que ses dribbleurs puissent se retrouver seuls balle au pied face à leur adversaire direct. Le schéma est offert sur un plateau aux pyromanes gantois, mais ni Simon ni Boussoufa ne parviennent à mettre le feu à la défense brugeoise. Le collectif buffalo n’y arrivait pas, ses individualités ne font pas mieux. Gand semble avoir oublié qu’Anakin Skywalker meurt à la fin.

PRISONNIER DU SYSTÈME ?

Mbark Boussoufa ne ménage pas ses efforts pour devenir une pièce du puzzle gantois. En perte de balle, son travail est consciencieux et il se replace efficacement aux côtés de Kums quand Renato Neto doit s’excentrer le temps d’un duel aérien avec Hans Vanaken. Le problème surgit avec le ballon. Boussoufa l’attire, comme un aimant qui désoriente la précision de la boussole de Vanhaezebrouck, mais ne parvient pas à le rendre meilleur. Surtout à droite, là où son mouvement de pivot naturel sur son premier contact avec le ballon l’emmène systématiquement vers l’extérieur du jeu – et donc vers le bon pied du latéral gauche adverse qui peut aisément l’emprisonner, avec ses jambes et la ligne de touche en guise de barreaux.

À gauche, Bouss’ plonge plus naturellement vers l’intérieur du jeu. Mais le problème de la construction posée des Gantois reste le même : le Marocain reçoit souvent le ballon dos au but, là où le football d’Anderlecht lui avait donné l’habitude de recevoir  » de côté.  » Dans le style moins cérébral du Sporting de Jacobs, Mbark pouvait courir où bon lui semblait, et recevoir le ballon dans ses postures favorites : toujours orienté vers l’intérieur et vers le but. Il ne restait plus qu’à activer le dribble, et faire parler le coup de reins ou le coup de génie dans la foulée.

Que reste-t-il de Boussoufa dans ce joueur qu’on a vu incapable de réussir un dribble sur la pelouse du Jan Breydel ? L’accélération semble avoir disparu avec les années russes – et le manque de rythme dû à un début de saison sans jouer – et le détonateur d’autrefois a joué comme un meneur de jeu de salon, alternant passes appuyées entre les lignes et ballons (souvent imprécis) dans le dos de la défense. Sa prestation ressemblait à une imitation ratée du football de Milicevic. Comme si les rôles trop précis du film de Vanhaezebrouck étouffaient sa créativité. En tentant de faire rentrer coûte que coûte Anakin Skywalker dans le moule de la formation des jeunes Jedi, le Haut Conseil n’a-t-il pas accéléré la naissance de Dark Vador ? La prochaine fois qu’il offrira un Boussoufa à son entraîneur, Ivan De Witte ajoutera peut-être un coffret avec l’intégrale de la saga Star Wars dans l’emballage cadeau. C’était le dernier jour des soldes, il aurait pu avoir un bon prix.

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS BELGAIMAGE

À la Ghelamco Arena, Mbark bouleverse l’unité de la galaxie gantoise.

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