UN PITBULL AVEC DU FLAIR

Sous le maillot de Waasland-Beveren, Thibault Moulin est devenu un joueur en vue de la Jupiler Pro League au point de susciter l’intérêt de Bruges et d’Anderlecht. Portrait d’un Normand de 26 ans qui mérite mieux que les play-offs 2.

Dans la phase finale de la Deuxième Guerre mondiale, la petite ville normande de Flers a subi le même sort que beaucoup d’autres localités de la région : lors du débarquement des alliés, elle a été complètement détruite par les bombardements destinés à chasser les Allemands. Plus de 70 ans après la Libération, les fils de cette cité s’illustrent à leur tour. Le cycliste Pierre-Henri Lecuisinier de la FDJ, par exemple, a été champion du monde sur route chez les Juniors en 2011. Ou l’arbitre de football Tony Chapron, qui a fait parler de lui en février pour avoir reçu un  » coup de tête  » de Nabil Dirar. Et aujourd’hui, donc, Thibault Moulin.  » Il n’y a pas grand-chose à voir dans ma ville natale : c’est d’abord une cité agricole. Celui qui veut ‘humer le bon air’ y trouvera en revanche ce qu’il cherche « , précise-t-il.  » Beveren est une commune du même type et c’est pourquoi je m’y suis directement senti à l’aise.  »

Moulin a signé sa première carte d’affiliation à Athis-de-l’Orne. Il a ensuite fait escale au FC Flers, le genre de club qui est pillé chaque année par les grands clubs normands : le Stade Malherbe de Caen et Le Havre. A 14 ans, c’était le tour de Moulin de tenter sa chance dans la grande ville.  » Dans ma région, les jeunes sont surtout attirés par Caen. Lorsqu’on affrontait le Stade Malherbe dans les championnats de jeunes, on savait à l’avance qu’on allait se prendre une raclée. Jouer pour Caen, c’est un rêve de gosse qui s’est réalisé, pour moi et ma famille. En plus de Caen, Le Havre avait aussi manifesté de l’intérêt, tout comme les principaux clubs bretons et Strasbourg. J’ai opté pour Caen pour des raisons pratiques et familiales : ma mère n’avait pas envie que j’émigre à l’autre bout du pays.  »

FINALE DE COUPE

Alors que la plupart des jeunes signent un premier contrat professionnel à 16 ans, Moulin n’a apposé sa signature au bas d’un document que six mois avant ses 20 ans. Rien ne pressait : celui qui a été formé à Caen, un centre de formation réputé, finit toujours par trouver un club en Ligue 1 ou en Ligue 2. M’Baye Niang (Genoa), Lenny Nangis (Lille) et l’international portugais Raphaël Guerreiro (Lorient) ont appris le métier dans la capitale culturelle et intellectuelle de Normandie.  » Le pourcentage de réussite est très élevé à Caen. Chaque saison, une demi-douzaine de joueurs se voient proposer un contrat, et beaucoup d’entre eux atterrissent en fin de compte en D1 ou D2 française. J’ai dû attendre un peu plus longtemps que les autres pour recevoir un contrat. Deux fractures du pied m’ont mis sur la touche pendant six mois. J’ai longtemps joué avec un contrat amateur.  »

La période caennaise de Moulin s’est terminée en mode mineur. C’était durant la saison 2012/13.  » L’entraîneur n’y est pas allé par quatre chemins. Il m’a carrément dit : ‘tu n’as pas le niveau pour jouer à Caen’. Malgré ça, j’ai joué 20 matches cette saison-là. Ensuite, durant deux saisons consécutives, j’ai fait plus de 30 apparitions sous le maillot de Clermont. J’aurais pu jouer la carte de la sécurité en prolongeant mon contrat là-bas : en tant que capitaine, j’étais quasiment sûr de ma place chaque week-end. Mais j’ai préféré prendre un risque en partant à Waasland-Beveren. J’ai demandé conseil à mon coéquipier Baptiste Martin (ancien joueur de Courtrai, ndlr). Il m’a dit : ‘Ecoute, le championnat de Belgique n’est pas aussi facile qu’on le prétend’. Pour m’y préparer, j’ai regardé la finale de la Coupe de Belgique entre Bruges et Anderlecht sur une chaîne française. Ce qui m’a le plus surpris, c’est qu’on courait beaucoup. Mais, si je compare les résultats européens de La Gantoise et d’Anderlecht à ceux de Lyon et de Monaco, il n’y a aucune honte à avoir.  »

PETITE TAILLE

Neuf mois après son arrivée en Belgique, Moulin est un titulaire incontestable dans l’équipe de Stijn Vreven. Le blondinet affiche des statistiques impressionnantes : trois buts et neuf assists. Seuls Onur Kaya et Mathieu Dossevi ont délivré plus de passes décisives.  » Les espaces sont plus grands ici. C’est plus facile de trouver l’ouverture. En France, le jeu est beaucoup plus fermé. Dans mes clubs précédents, je délivrais aussi pas mal de passes dé’, mais je ne marquais pas assez. Je délivrais aussi souvent le pré-assist. Le plus difficile, c’est de rester lucide en toutes circonstances. Si je perds trop de ballons, le rendement de l’équipe s’en ressent.  »

A l’issue de la phase classique, Moulin comptait également… huit cartons jaunes à son actif.  » A la position où je joue, il faut parfois pouvoir se sacrifier, prendre un carton jaune pour l’équipe. Mais cette accumulation est aussi liée à ma petite taille. Je dois me comporter comme un pitbull, si je ne veux pas être mangé par les joueurs de grande taille. Curieusement, pourtant, ce grand nombre d’avertissements ne reflète pas totalement mon style de jeu. Je prends du plaisir à jouer et je m’autorise parfois une petite fantaisie technique. Mais je dois rester efficace. Je ne jouerai jamais pour la galerie. Et, si un coéquipier a tendance à le faire, je lui en ferai la remarque. Il faut toujours respecter l’adversaire, même lorsqu’on mène 5-0.  »

Moulin a aussi trouvé en Belgique le style de football qu’il apprécie. En France, l’accent est souvent mis sur la défense.  » Jouer défensivement n’est jamais considéré comme négatif en France. On a fait une étude à ce sujet en Ligue 2 et on s’est aperçu que l’équipe qui possédait la meilleure défense était toujours promue en Ligue 1. Toujours ! Dans ces conditions, pourquoi un entraîneur perdrait-il son temps à apprendre à son équipe à jouer offensivement ? Il n’est pas nécessaire d’inscrire 50 buts sur la saison. Gagner chaque match par 1-0 suffit amplement. Le revers de la médaille se situe dans les tribunes : le public s’ennuie. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles les stades français se vident. Je constate une autre différence entre la Belgique et la France : dans mon pays, les gens viennent au stade comme spectateurs, en Belgique ils encouragent leur équipe. Il y a beaucoup d’ambiance dans la plupart des stades.  »

À BAS LES PRÉJUGÉS

Moulin a vécu une expérience que peu de footballeurs ont eu l’occasion de vivre : être entraîné par une femme, Corinne Diacre, 120 fois internationale française. Elle est la première femme à avoir entraîné un club masculin.  » Lorsque le président de Clermont, Claude Michy, a révélé le nom du prochain entraîneur, je me suis demandé ce qui lui avait pris. Mais Michy est un homme de défi et il n’avait pas son pareil pour attirer l’attention des médias. Son pari a finalement réussi, mais je dois avouer que j’ai éprouvé quelques difficultés au début. Etre dirigé par une femme à l’entraînement, c’était bizarre. J’ai dû plusieurs fois retenir ma langue… (il rit) C’est une réaction humaine. En soi, cela ne me dérangeait pas d’être entraîné par une femme, mais j’ai dû mettre de côté mes préjugés. Après un moment, nous avons tous oublié que Diacre était une femme. Elle connaît son métier. A l’école des entraîneurs, elle a suivi les même cours que les hommes. Lorsqu’on obtient son diplôme, cela signifie qu’on a les compétences requises et qu’on mérite de recevoir sa chance. Les méthodes de Diacre ont d’ailleurs porté leurs fruits. La saison dernière, les résultats de Clermont étaient relativement bons, et cette saison, l’équipe lutte pour la montée en Ligue 1. Cela démontre que le football est prêt à accueillir un entraîneur féminin dans un vestiaire masculin.  »

PAR ALAIN ELIASY – PHOTO BELGAIMAGE

 » En France, les gens viennent au stade comme spectateurs, en Belgique ils encouragent leur équipe.  » – THIBAULT MOULIN

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