UN OPÉRA ITALIEN

Six connaisseurs expliquent pourquoi la classique italienne est la plus facile à rouler mais la plus difficile à gagner.

Le Pro Tour entame samedi sa deuxième saison à Milan- Sanremo. La plupart des protagonistes sont présents à ce premier grand rendez-vous où monter sur le podium n’est pas donné à tout le monde. Quelques spécialistes passent l’épreuve de près de 300 kilomètres à la loupe.

Wilfried Peeters (directeur Quick-Step) :  » Un monument  »

 » Si on n’a encore rien gagné, on est sous pression à Milan. Le cyclisme compte des monuments et Milan- Sanremo émarge à cette catégorie. Tous les coureurs sont motivés à 110 %. C’est la classique la plus facile à rouler. Le parcours n’est pas dur jusqu’à 30 kilomè- tres de l’arrivée. A l’abri du peloton, on arrive aisément jusque-là. La course se décide ensuite car elle comporte alors deux côtes : la Cipressa puis le Poggio. On parcourt cette tranche à un rythme effréné et on ne peut y rectifier une erreur. C’est pour ça qu’il est si difficile de gagner Milan- Sanremo. On est aspiré par le peloton puis on passe la ligne d’arrivée sans même être fatigué.

Au Tour des Flandres, si on a un problème technique au Quaremont, on a encore quelques ascensions pour revenir. Si cela arrive à la Cipressa, vous pouvez faire une croix sur vos ambitions. Le peloton s’étire sur un kilomètre. Le moindre contretemps permet aux premiers de creuser l’écart. Nous avons deux candidats à la victoire, TomBoonen et PaoloBettini. Si Bettini attaque, AlessandroPetacchi doit réagir et nous conservons Tom pour le sprint à la via Roma. Il est difficile d’émettre un pronostic mais plaçons Boonen en premier, suivi de Petacchi. Si Boonen est battu, sur sa forme, cela ne me pose pas de problème. Par contre, je ne voudrais pas que ce soit suite aux circonstances ou à une erreur comme l’an passé. Tom lui-même vise les courses qu’il n’a pas gagnées en 2005 « .

Eric Vanderaerden (ex-coureur) :  » Econo- miser ses forces  »

 » Je n’ai jamais gagné Milan- Sanremo. Je le regrette car c’est une course qui me convenait. Chaque année, au moment de ce rendez-vous, mon regret émergeait, chaque fois plus fort. Le plus beau tronçon de la course se situe dans les cent derniers kilomètres, le long de la côte. Le peloton y roule très vite. Une fois lancés, les cyclistes atteignent une moyenne de 55 à 60 km/h. Le peloton est très nerveux.

D’ailleurs, la finale concerne presque tout le peloton. C’est très différent du Tour des Flandres ou de Paris- Roubaix, où la finale est l’affaire de quelques hommes. Sur les pavés de Paris- Roubaix, rouler en tête ou assis dans sa selle ne change rien. A Milan- Sanremo, il faut bien se placer pour économiser ses forces.

Les grandes formations essaient de bien placer leur homme en prévision de la finale. Si, après le Poggio, on a encore un ou deux coéquipiers, on a des pers- pectives. Le leader doit simplement veiller à ne pas se laisser enfoncer dans le peloton car à la via Roma, tout le monde accélère. S’il faut rattraper dix places, on gaspille ses forces, même avec l’aide d’un équipier.

La moindre erreur est fatale entre le pied du Poggio et la ligne d’arrivée. Une faute de conduite dans la descente et c’est fichu : on a perdu des places précieuses. Le peloton roule trop vite pour qu’on puisse espérer redresser la situation. C’est toujours le meilleur et le plus fort qui s’adjuge Milan- Sanremo.

Cette année, Petacchi et Boonen se disputeront la victoire. L’année dernière, si Tom avait affiché son assurance actuelle, il aurait pu gagner. Depuis, il a encore progressé, il porte le maillot arc-en-ciel, dont il est fou « .

Tom Steels (coureur de Davitamon-Lotto) :  » Tout ou rien  »

 » J’ai déjà participé deux fois à cette course et regrette de n’avoir pu le faire plus souvent. Je ne sais pas si j’aurais pu gagner. Un gars comme moi doit être à 110 % pour briguer la victoire après ces ascensions. Il est arrivé que je sois prêt mais pas repris dans l’équipe. D’autres fois, j’étais au départ mais je sentais que je ne réussirais pas.

J’ai reconnu le parcours deux fois avant ma première participation. C’était important. Le risque de chute est élevé quand on ne connaît pas bien la course, surtout dans la dernière descente. Une bonne reconnaissance vous apprend aussi quand vous devez vous pointer en tête. Le tout est de s’infiltrer à bon escient, une ou deux fois, et de rester dans le premier peloton.

La première fois, j’étais encore dans le groupe de tête au Poggio mais je n’ai pas réussi à gagner des places. Les premiers roulent à 55 km/h. les derniers doivent mouliner à 65 km/h pour ne pas être lâchés. La deuxième fois, j’ai échoué sur la Cipressa. Il ne faut pas sous-estimer ces ascensions. Le Poggio est aisé, il y a peu de monde, ce qui permet quand même de se placer. La Cipressa est bien plus ardue. On sent les 260 kilomètres qu’on a déjà dans les jambes. Votre place dans la côte est capitale. Si vous n’êtes pas un grimpeur, vous devez veiller à être dans les vingt premiers. Si vous êtes un peu doué en côte, figurer parmi les 50 premiers suffit. Avant ces côtes, on freine le plus tard possible, pour éviter de perdre d’un coup 20 à 30 places.

Milan- Sanremo, c’est tout ou rien. Il faut être bien en jambes, dans un jour formidable. Les vainqueurs potentiels sont rapides, capables de digérer une ascension et de conserver leur sang-froid. Le calme est un atout important « .

Roger De Vlaeminck (ex-vainqueur) :  » Avant, tous voulaient gagner  »

 » Avec le Tour de Lombardie, mes trois victoires à Milan- Sanremo sont les plus belles lignes de mon palmarès. C’est une plus belle course à gagner que Paris- Roubaix.

Il faut éviter de rouler en tête ou dans le vent avant la finale. C’est au milieu qu’on est le mieux mais il est alors difficile de s’extirper de la masse si d’au- tres démarrent. Ceci dit, faut-il en tenir compte ? Il n’y a plus d’échappées, de nos jours. Les sprinters règlent tout. Boonen et Petacchi envoient quelques coéquipiers dès que quelqu’un se détache. Ceux-ci roulent bien au début mais ensuite, il leur est interdit de poursui- vre sur leur lancée. C’est le scénario des dernières années. Cela nuit à la beauté des courses.

Actuellement dans les courses plates, on assiste toujours au même scénario. Quelques coureurs s’échappent et sont rattrapés dans les 15 derniers kilomè- tres. C’est affreusement monotone. Je regarde le début à la télévision puis je m’en vais et ne reviens que pour le dernier quart d’heure.

Il y a trop peu de candidats à la victoire. A Sanremo, il y a Petacchi et Boonen. Je parie 500 euros que, sauf coup dur ou contretemps, Boonen va gagner le Tour des Flandres et Paris -Roubaix. Vous pouvez me présenter dix candidats, je coche un seul nom. Les 30 meilleurs mondiaux ne jouent pas dans la même cour. Cela ne les intéresse pas car les budgets sont trop élevés. Avant, tout le monde luttait pour la victoire. Désormais, Boonen est le seul cham- pion, les autres sont des coureurs de seconde division.

Il y a aussi Bettini, le plus polyvalent selon moi, mais il fait partie de l’équipe de Boonen. FilippoPozzato ne roule pas pour lui-même. Je ne comprends pas. C’est un jeune coureur doué. Avec ses qualités, il devrait rejoindre une équipe où il ne souffre pas de la concurrence.

Boonen n’est pas un grimpeur dans les tours mais les ascensions de Milan- Sanremo ne posent pas de problème. Grimper une fois le Poggio : ce n’est pas une côte mais un faux plat. Une portion de cent mètres est un peu plus raide. C’est surtout la fatigue qui joue des tours. Si on parvient à économiser ses forces jusque-là, on ne se ressent pas de la montée « .

Robbie McEwen (coureur de Davitamon-Lotto) :  » Quel dénouement !  »

 » C’est une classique bien italienne. Milan- Sanremo est un peu comme un opéra. On commence tranquillement, on prépare la finale, tout s’accélère et il y a un dénouement magnifique. Pour les spectateurs, ce sont surtout les 40 derniers kilomètres qui sont intéressants : il y a quelque chose à voir. De belles ascensions, des descentes passionnantes. C’est une finale à s’en lécher les babines.

Il faut être en tête en fin de course. Idéalement, on roule les 80 derniers kilomètres parmi les 50 premiers. Il faut se glisser à travers le peloton sans per- dre d’énergie, afin de garder ses forces pour les moments cruciaux. Se faufiler et améliorer sa position, voilà la clef de la course. Les sprinters y sont habitués. Leur tâche est sans doute plus facile.

Etre aux premiers rangs ne constitue aucune garantie. En 2002, j’étais au troisième rang, environ à la 25e place, et il y a eu une chute massive. J’ai été freiné, comme ErikDekker et ErikZabel. La course était terminée après 270 kilomètres.

J’aime cette épreuve mais je n’y ai jamais été vraiment performant. Généralement, ce fut à cause de problèmes de santé. Il m’est difficile d’avoir une bonne condition au printemps : en mars, je souffre souvent de refroidissements, d’une bronchite ou même d’une grippe. Si je suis épargné, j’ai mes chances au sprint. Mais avant, il faut survivre aux côtes, qui sont très dures pour moi. Le Poggio est encore facile mais la Cipressa est très dure. Elle est plus longue et il faut sprinter en côte.

Les quelques kilomètres supplémentaires de cette course pèsent lourd. En prenant le départ, mieux vaut déconnecter son cerveau car on passe une journée entière en selle, à pédaler. C’est très long. Suite à ces 300 kilomètres, le sprint de la via Roma est différent de celui d’une étape du Tour, par exemple. C’est une question de force et de fraîcheur « .

Hans De Clercq (ex-coureur et commentateur) :  » Un décor superbe  »

 » Milan- Sanremo doit son charme à la beauté des sites d’arrivée et de départ, deux villes magnifiques. On traverse des paysages à couper le souffle. On a le temps de les savourer pendant la course. On peut jeter un coup d’£il sur la Méditerranée, qui est à votre gauche à partir de Gênes.

La course reste fermée longtemps. Les coureurs sentent l’adrénaline monter à quelque 50 ou 60 kilomètres de la Cipressa. D’un coup, on quitte les beaux boulevards de la côte pour pénétrer dans un petit village aux rues étroites, bordées d’autos des deux côtés. Il est important d’anticiper cette espèce d’entonnoir. Evidement, chacun a la même idée. Seuls les coureurs les plus forts et les plus audacieux ne se font pas larguer à cet endroit.

La météo joue un rôle essentiel, à cause de la longueur de la course. S’il fait mauvais, les coureurs sont collés à leur vélo avant même la finale. Idéalement, il faut 20 degrés et un soleil printanier.

Si je dois citer des outsiders, je penserai à Bettini. Il n’est pas dénué de chances. Mais même quand on s’appelle Bettini, il n’est pas évident de gagner quand on est dans l’équipe de Boonen. L’Italien devra rouler en solo ou avec quelques coureurs. Un McEwen dans un bon jour a aussi ses chances. Pareil pour Oscar Freire. AlejandroValverde est capable de digérer la Cipressa et le Poggio et il n’est pas lent dans les derniers mètres. Et pourquoi pas une dernière victoire de Zabel, même si Petacchi affirme que l’Allemand va rouler à 100 % pour lui sur la via Roma ? On ne peut gagner Milan- Sanremo si on n’est pas le meilleur. MarioCippolini l’a prouvé en 2002. Il faut être un sprinter pur sang.

Boonen semble invincible mais il ne faut pas vendre la peau de l’ours… Nul ne peut prendre le départ en pensant qu’il va s’imposer. Dans ce cas, mieux vaut rester à la maison « .

KRISTOF DE RYCK

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