Un oeuf à peler

Pierre Bilic

L’ancien capitaine des Diables Rouges prend toujours le parti de l’équipe nationale.

L’été tire tout doucement à sa fin alors que le soleil de septembre incite les paysans à terminer leur travail sur les riches terres de Hesbaye. Le maïs n’est encore rentré mais la toilette des champs est presque terminée. Le temps a été splendide durant des mois. Marc Wilmots en a bien profité avec sa femme, Catherine, et leurs deux fils, Reno et Maarten. Que ce soit durant un beau séjour dans le Bordelais ou à Dongelberg, près de Jodoigne. Les gamins s’amusent en jouant au football. De plus, ils ont un nouveau petit copain : Chance. Ce brave griffon un peu bâtard s’est joint aux deux chiens de la maison.

 » Je l’ai trouvé en France « , dit Marc.  » Il était abandonné, malade, affamé car il ne mangeait probablement que des glands depuis des semaines. Nous l’avons ramené en Belgique, soigné, et notre petit SDF français est heureux. Cela se voit. Il sait que nous l’avons sauvé. Il faut donner quelque chose aux animaux et ils le rendent. Je ne comprends pas qu’on puisse les abandonner, les trahir. Je l’ai appelé Chance car il a eu de la veine de nous rencontrer. Chance n’a que quelques mois mais je l’emmène déjà à la chasse avec mes deux autres chiens. Je ne tire pas les perdreaux. Mes chiens les lèvent et recherchent ceux que les chasseurs ont abattu.  »

Chasse, tennis, jogging : Marc Wilmots n’a pris que trois kilos depuis la fin de sa carrière et entretient la forme. A l’horizon, il y a la rentrée politique et ses responsabilités de sénateur mais, un an après son retrait de l’équipe nationale, le football est en tête de liste de l’actualité.

 » Emile est un poison dans les duels  »

Aimé Anthuenis aurait bien voulu convaincre Emile Mpenza de rejoindre le noyau des Diables mais il n’y a pas réussi. Que pensez-vous du retour à Liège de votre ancien équipier et joueur à Schalke 04 ?

Marc Wilmots : Ah, Emile… Je l’aime bien et, sur le terrain, c’est un poison dans les duels d’homme à homme. Sa détente aérienne, sa frappe des deux pieds, sa vitesse, ça fait mal. Emile n’est pas maladroit dans les combinaisons et je retiens ses nombreux assists quand Ebbe Sand cartonnait à Schalke 04. Le Danois exploitait le travail d’Emile. Or, c’est Emile qui doit surtout être à la finition. Il n’est pas là mais ailleurs quand les phases offensives se terminent. Il y a donc un problème qui peut être résolu par le travail : ses déplacements vers le but adverse ne sont pas assez axiaux. Quand Emile plonge, il s’écarte de l’axe vers les ailes. C’est un cadeau pour les arrières qui l’éloignent ainsi de la zone la plus dangereuse.

Thierry Henry fait exactement le contraire avec succès : il part de l’extérieur et termine toujours ses actions à proximité du gardien. Emile doit revenir vers l’axe où sa puissance fera des ravages dans les duels et ne plus appeler sans cesse les balles vers l’extérieur. J’en ai souvent parlé avec lui.

Il doit aussi soigner ses frappes au but, mieux calibrer ses formidables reprises de volée, cadrer tout ce qu’il fait en zone dangereuse. S’il y parvient, Emile sera doublement dangereux. C’est un homme des 16 mètres, pas un extérieur. Sa détente aérienne et son jeu de tête ne peuvent faire mal que devant le gardien de but.

Tout cela se perfectionne mais il faut investir beaucoup de boulot. Il n’a que 24 ans. C’est à lui de jouer car tout ira très vite maintenant. Dans quatre ou cinq ans, il sera trop tard. Il faut travailler son jeu de position et la précision de ses reprises de volée tous les jours. Un pianiste fait ses gammes tous les jours, un buteur aussi. Puis, j’aimerais ben qu’il joue sept ou huit mois sans être blessé…

Est-ce possible ?

Oui. Musculairement, il a toujours été fragile. Beaucoup de médecins se sont occupés de son cas. Chacun a sa méthode et c’est à qui aura l’honneur de guérir Emile pour de bon. Le joueur est pris entre différentes visions. C’est à lui de faire un choix en faveur d’un docteur. A Schalke 04, la faculté avait relevé un déséquilibre musculaire au niveau des quadriceps. Emile avait été opéré par le Docteur Martens et le kiné anversois, Maesschalk, avait géré sa rééducation. C’est à eux qu’il doit faire confiance mais c’est à lui de choisir. Je me souviens que ce duo l’avait totalement relancé. A retenir comme son affaire de contrat car si Emile quitte Schalke, il faut dire la vérité, c’est parce que le joueur ne voulait pas signer un nouvel accord. Il avait encore un an de bon. Schalke voulait le garder via une ajoute de deux ans à son contrat en cours.

Si Emile avait accepté une prolongation, il aurait joué. Devant son refus, la situation s’est corsée. Emile ne voulait plus jouer à Schalke. A sa place, je serais resté, au moins jusqu’en décembre, pour prouver ce que je valais. J’en aurais fait un défi personnel. Schalke a senti qu’il voulait partir tout de suite. Tout s’est envenimé. Emile a commis des erreurs à Schalke. Dommage qu’il quitte ce club par la petite porte. Au début, tout était magnifique et personne ne s’est plaint quand Emile participa à la conquête de deux Coupes d’Allemagne et d’un titre de vice-champion. Il était alors heureux. Emile ne parlait pas bien allemand mais le comprenait et se tira convenablement d’affaire même quand j’étais à Bordeaux. Sven Vermant et Nico Van Kerkchoven étaient là pour l’aider.

Emile ne pouvait pas se permettre de rester huit mois sans jouer avant d’être libre. A son âge, on a besoin de temps de jeu. Son nom a été cité à Monaco, notamment, et 46.000 managers m’ont même téléphoné pour que je les aiguille vers lui. Luciano D’Onofrio l’a aidé au bon moment. Ce retour à Liège, auprès de sa femme, lui fera du bien. Tout le monde peut être gagnant : le joueur, le club, le football. Son avenir ne dépend que de lui. Il est à la croisée des chemins et doit réfléchir, se remettre en question. Emile n’avait pas pris part à la Coupe du Monde en Asie. Si la Belgique ne se qualifie pas pour le Mondial d’Allemagne, en 2006, il n’en disputera peut-être plus. On se souviendra à peine de sa présence en France, en 1998 : ce serait insuffisant comme palmarès. Quand il est en pleine possession de tous ses moyens, c’est l’attaquant belge numéro 1. J’ai noté de l’envie dans ses récents propos, c’est important.

 » Du champagne pour fêter Bruges  »

Un géant de la Bundesliga, Borussia Dortmund, a été sorti par Bruges sur le chemin de la Ligue des Champions, surpris ?

Bruges a été formidable, a bien géré l’erreur de son gardien de but d’entrée de jeu avant d’émerger. Dortmund a enregistré pas mal de départs et d’arrivées. L’équipe déplorait des absences pour blessures et était encore en construction face à un bloc, en place depuis trois ans. Gert Verheyen ne s’est pas contenté de démolir le mur allemand sur le but d’Andrés Mendoza. Il a complètement sorti Dédé du match. C’était vital. Bruges détient une très belle équipe. Avant les tirs au but, j’ai dit à mon père que Bruges se qualifierait. Avec Jens Lehmann, cela aurait pu être différent. Le nouveau gardien de Dortmund était trop inexpérimenté, celui de Bruges pas. Je suis belge et j’ai débouché une bouteille de champagne pour fêter la qualification de Bruges.

Anderlecht et Bruges en Ligue des Champions, c’est formidable pour le football belge. Mais il ne faut pas se contenter de cela. Quand on de l’ambition, il faut aller plus loin. Anderlecht a émergé face à un adversaire moins prestigieux. Les deux clubs belges tireront un gros profit sportif et financier en Ligue des Champions : cela fera du bien à tout le football belge. Mais il faudra redescendre de son nuage, passer d’immenses stades, où on a toujours envie de se dépasser à des assistances plus réduites en Belgique : pas facile.

La plupart des Diables Rouges jouent en Ligue des Champions ou en Coupe de l’UEFA…

Oui, mais on a un problème avec le nombre d’étrangers dans nos clubs. Le problème est le même en Allemagne ou plus de 50 % des joueurs sont étrangers. Je ne suis pas contre eux, j’ai été un joueur étranger en Allemagne. Mais il faudrait limiter leur nombre par club en Belgique (où on peut aligner 11 étrangers !) afin de ne pas tarir les sources des différentes équipes nationales. La formation doit redevenir une priorité. La division offensive d’Anderlecht, par exemple, ne compte pas de Diable Rouge : Aruna Dindane, Nenad Jestrovic, Ivica Mornar, Christian Wilhelmsson, Clayton Zane, etc. On peut dire la même chose à Bruges mais là, les arrières repris parmi les Diables Rouges sont plus nombreux.

Mais nos attaquants jouent dans de grands clubs étrangers : l’équipe nationale n’est pas perdante…

C’est vrai. J’apprécie la fraîcheur de Thomas Buffel. Il ose et s’est imposé à Feyenoord, c’est super. Wesley Sonck a bien fait de quitter Genk. Il y avait fait le tour du problème. Tout y était facile pour lui et il a évité de tomber dans ce piège. A Genk, il marquait mais reculait aussi et, dans le fond, on en arrivait à se dire qu’il jouait toujours bien. Il apportait sa contribution à la finition, à la construction, partout. A l’Ajax, il n’est plus jugé qu’en tant que buteur. Pas question de reculer car il y a déjà assez de monde dans la ligne médiane. Son champ d’action se restreint et la pression est plus forte. La critique est plus sévère.

Que pensez-vous du travail accompli par Aimé Anthuenis ?

La Belgique dispose d’une des plus belles générations de l’histoire de son football. Je ne changerai pas d’avis même si la Belgique ne prenait pas part à l’EURO 2004 au Portugal. Ce serait dommage mais cette campagne constitue aussi une rampe de lancement idéale pour la Coupe du Monde 2006. Là, elle doit y être. Avant cela, il faut y croire face aux Croates. Sans être arrogants, nous devons les secouer. Nous n’y sommes pas parvenus ces dernières années : c’est le moment de le faire, d’y aller, de mourir sur le terrain. La Belgique a un £uf à peler avec les Croates. Ces derniers nous ont posé trop de problèmes cesdernières années.

Les choses se mettent en place. Je me souviens de la deuxième mi-temps en Bulgarie. Au repos, cela aurait pu être 4-0 mais la Belgique a bien réagi après la pause. En plus du potentiel technique, il y a des valeurs mentales.

 » Van Buyten est assis sur une bombe à l’OM  »

Certains sont critiqués : Geert De Vlieger, Daniel Van Buyten…

Doucement. Geert ne m’a jamais déçu en équipe nationale. C’est un garçon intelligent et réfléchi qui approche de la maturité en tant que gardien de but. Il a la malchance de jouer à Willem II, qui ne fait l’actualité qu’après avoir été battu par l’Ajax, Feyenoord ou le PSV. En Bulgarie, il a tenu l’équipe debout. Ce que Daniel Van Buyten fait en France est géant. Il est assis sur une bombe à l’OM et n’y tremble jamais. Cette année, on lui a donné définitivement les clefs de la défense. Il ne doit plus monter sans cesse. En équipe nationale, certains sèment le doute à son propos. Je lui a toujours dit de ne rien écouter, de suivre son chemin. Au Japon, il avait éteint Rivaldo et, plus récemment, Van Nistelrooy contre la Hollande. On devrait aussi lui donner les clefs de la défense des Diables Rouges.

On les a offertes à Timmy Simons…

Je sais, c’est aussi une bonne solution. On ne compte plus ses gros matches. On n’est pas un leader, on le devient. Il me semble cependant que cette génération n’a pas nécessairement besoin d’un leader, elle réagit collectivement. Le groupe prime sur les individualités.

Mbo Mpenza joue en pointe dans son club, sur le flanc droit en équipe nationale : est-ce un problème ?

Non, c’était souvent le cas de Gert Verheyen aussi. Mbo préfère évoluer en tant que deuxième attaquant et, dans le fond, un duo avec Emile, c’est pas mal non plus. Ils se complètent, ne se cherchent jamais, permutent les yeux fermés. J’ai toujours affirmé que Mbo est plus fort qu’Emile. Tactiquement, Mbo est clairvoyant et c’est pour cela qu’il réussit aussi de bons matches sur le flanc droit. Sa culture footballistique est plus complète que celle d’Emile.

Water Baseggio s’impose dans la ligne médiane.

Normal vu son talent. Baseggio n’est pas un vrai meneur de jeu mais bien un 7,5 comme on dit en France. J’aimerais le voir plus près du grand rectangle. Sa frappe et surtout son jeu de tête font mal à l’approche des 16 mètres.

Donc Aimé Anthuenis a bien placé ses pions ?

Indiscutablement. Il me fait penser à Robert Waseige. Anthuenis défend ses joueurs, ne les critique jamais dans la presse. Cela a créé un climat de confiance et quelque chose de beau se précise. Le travail a été fait. Ce groupe a de l’avenir. Mais il faudra aussi ne rien jeter si on ne va pas au Portugal. Tout est en place mais ce sont les joueurs qui font le match et tout peut se jouer sur un détail qui ruine espoirs et mois de travail. C’est le football…

Pierre Bilic

 » J’ai toujours affirmé que Mbo était plus fort qu’Emile « 

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