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Un nain au pays des géants

L’Ajax paye bien et songe logiquement à un super-championnat européen, ce qui ne fait pas plaisir aux Hollandais. Comment continuer à grandir en restant confiné à l’Eredivisie ?

Il y a un an à peine, Marc Overmars annonçait que l’Ajax voulait devenir le Bayern Munich des Pays-Bas. Et, de fait, on n’est pas loin d’une dictature amstellodamoise. Le club a remporté son premier titre en cinq ans tandis que la vente de joueurs et les primes de l’UEFA lui ont permis de creuser un fossé quasi-infranchissable avec ses rivaux. L’an dernier, les recettes de l’Ajax étaient déjà pratiquement deux fois égales à celles du PSV. Exactement comme en Bundesliga, où le Bayern (600 millions) génère deux fois autant de revenus que le Borussia Dortmund (300 millions).

Cette année, ça risque d’être la même chose. Rien qu’en accédant à la Ligue des Champions, l’Ajax va empocher au moins 40 millions. Et comme le PSV n’y est pas, le fossé va encore se creuser. Si l’Ajax avait participé à l’Europa League, son budget aurait été de 110 millions d’euros. Maintenant, il est de 150 millions. Celui du PSV arrive à peine à un peu plus de la moitié. L’Ajax paye désormais ses meilleurs joueurs deux fois mieux que les stars du PSV. Cela lui suffira-t-il à prendre définitivement ses distances ?

Tout indique que oui, même s’il ne faut pas tirer de conclusion hâtive. Car il y a une grande différence entre l’Ajax et le Bayern : la croissance économique du champion d’Allemagne est structurelle, elle ne dépend pas des primes de l’UEFA. Le Bayern est mondialement connu et il a creusé un fossé tellement grand que, même quand il a connu des années difficiles, il a réussi à maintenir le Borussia Dortmund à distance. Sur le marché hollandais, prendre une telle avance est impossible, même pour un club aussi populaire que l’Ajax qui, sur le plan mondial, reste le plus petit des grands clubs.

Un bureau à New York

Avec une finale d’Europa League et une résurrection en Ligue des Champions, les jeunes de l’Ajax ont frappé un grand coup et ont bousculé la hiérarchie du football international, touchant les amateurs du jeu en plein coeur. Il n’en fallait pas plus pour que l’Ajax redevienne une marque au niveau mondial. Mais dans les faits, qu’en est-il réellement ?

L’Ajax a ouvert en grande pompe un bureau à New York. Des images de Frenkie de Jong et Hakim Ziyech ont été diffusées sur des écrans géants à Times Square tandis que le club a conclu des accords de collaboration en Chine, au Japon et en Australie. Comme il est déjà établi en Afrique du Sud depuis les années ’90, l’Ajax a désormais des centres de formation dirigés par des gens du club sur quatre continents.

L’hiver dernier, des Amstellodamois se sont rendus à Miami à l’occasion de la Florida Cup et cet été, un Frenkiebus a fait le tour de Barcelone. Sur les réseaux sociaux, l’Ajax communique surtout en anglais. Et lorsqu’il a annoncé l’arrivée de Budweiser comme sponsor, le mois dernier, on en a conclu que, comme les clubs anglais ou espagnols, il profitait de la mondialisation.

C’est un peu exagéré. Budweiser est propriété de la firme belgo-américaine AB Inbev, comme Jupiler, qui était déjà sponsor à l’ArenA. Simplement, la stratégie de la firme établie à Louvain a changé : elle a décidé de promouvoir la Bud en Europe. C’est pourquoi à la Johan Cruijff Arena, où les supporters buvaient de la Heineken depuis la nuit des temps, le logo de Jupiler a été remplacé par celui de Budweiser dans les loges et dans les espaces réservés aux sponsors. Le contrat a simplement été revu à la hausse mais le sponsor est resté le même. On ne peut donc pas dire que les Américains sont arrivés après les victoires sensationnelles à Madrid et à Turin.

Si le club fondé il y a 119 ans à la Kalverstraat est devenu célèbre mondialement, il le doit à son histoire et à sa tradition. Mais au point de vue commercial, il reste très modeste. Son rayonnement mondial ne se traduit pas en contrats faramineux. Ce n’est pas vraiment sa faute, c’est le marché sur lequel il opère qui veut cela. Alors qu’une vingtaine de clubs sont devenus des marques connues réclamées pour des matches amicaux d’Alaska en Australie et gagnent des centaines de millions d’euros en sponsoring et en droits de télévision, l’Ajax dépend toujours avant tout du marché hollandais.

De 2018 à 2018, ses revenus de sponsoring et de merchandising sont passés de 35 à 45 millions d’euros. C’est bien, surtout comparé au PSV (22 millions), mais sur le plan international, ça reste trop peu pour concurrencer des clubs qui gagnent 20 millions rien qu’en participant à un tournoi d’été.

Le plus petit des grands

Au niveau hollandais, le trésor de guerre de l’Ajax est solide puisque il peut compter sur Ziggo (jusqu’en 2022) et Adidas (jusqu’en 2025). Pourtant, la seule participation à la Ligue des Champions lui rapporte davantage que tous ses sponsors réunis. Selon les résultats semestriels présentés fin février, au cours de la première moitié de la saison dernière, les revenus de sponsoring ont augmenté de 2,5 millions d’euros, notamment grâce à des primes obtenues pour avoir atteint la phase de poules de la Ligue des Champions ainsi qu’à des opérations à Guangzhou, Sagan Tosu et Sydney.

L’Ajax commence à peine à déployer sa stratégie à l’échelon mondial et ça prend du temps. De plus, ses activités en Asie et en Australie lui rapportent encore relativement peu. Ce n’est pas vraiment étonnant quand on sait que l’Ajax doit se vendre lui-même et qu’il ne peut pas s’appuyer sur une ligue puissante, comme Manchester United ou le FC Barcelone.

C’est pareil en ce qui concerne la vente des maillots. Les recettes du merchandising grimpent régulièrement et, au point de vue national, l’Ajax est loin devant tout le monde : il a plusieurs millions d’avance sur Feyenoord et vend même trois fois plus que le PSV. Mais au niveau international, ça ne représente pas grand-chose. Un club anglais moyen comme Everton -qui n’a jamais disputé la Ligue des Champions- vend pour environ 8 millions de plus que l’Ajax.

Sur les réseaux sociaux, le club hollandais compte huit millions de suiveurs, ce qui est beaucoup mieux que n’importe quel club hollandais mais ne le place pas dans le top 50 au niveau mondial.

L’Ajax est trop grand pour les Pays-Bas mais trop petit pour l’Europe. Par rapport aux clubs avec qui il veut rivaliser, sa structure budgétaire est atypique et trop dépendante des recettes de la Ligue des Champions. Dans les trois plus grands clubs du monde – Real Madrid, Barcelone et Manchester United -, les revenus commerciaux, de sponsoring et de merchandising représentent 47 % du chiffre d’affaires. Au Bayern Munich, c’est même 55 %. Et pour la moyenne du top européen, c’est 40 %.

Le deuxième pilier sur lesquels ces clubs s’appuient, ce sont les droits de télévision. Ceux-ci représentent en moyenne 43 % des revenus. Pour les tout grands, le ticketing et les primes de l’UEFA comptent à peine. Pour être précis : 17 % des revenus seulement proviennent directement des matches : ticketing, location de loges, recettes horeca et primes de la Ligue des Champions. Cela permet de relativiser les résultats sportifs à court terme. Le meilleur exemple, c’est Manchester United qui, au cours des dernières années, ne s’est pas toujours qualifié pour la Ligue des Champions mais reste le troisième club du monde. Loin devant Liverpool, champion d’Europe en titre.

Une participation à la Ligue des Champions rapporte davantage à l’Ajax que tous ses sponsors réunis.

Une saison qui vaut de l’or

A l’Ajax, c’est l’inverse : la saison dernière, 70 % des recettes dépendaient des résultats obtenus sur le terrain et seuls 30 % provenaient du sponsoring, de partenariats, du merchandising et des droits de retransmission. Aux Pays-Bas, la distance entre les clubs est donc beaucoup plus variable et soumise aux résultats. En 2017-18, par exemple, Feyenoord a participé à la Ligue des Champions. Du coup, il a établi un chiffre d’affaires-record, dépassant même l’Ajax et le PSV. On ne peut dès lors pas dire que l’Ajax est une marque mondiale et qu’il continuerait à devancer le PSV sur le plan financier s’il venait à connaître quelques mauvaises saisons, comme le Bayern l’a fait avec Dortmund en Allemagne.

Erik ten Hag
Erik ten Hag© BELGAIMAGE

Plusieurs enquêtes indépendantes confirment l’image selon laquelle l’Ajax éprouve des difficultés à convertir son aura en euros. La revue financière américaine Forbes publie chaque année le classement des 20 plus grandes marques au monde. La dernière fois que l’Ajax y figurait, c’était en 2007. Depuis quatre ans, l’agence de consultance KPMG publie des rapports sur les 32 clubs de football les mieux valorisés. Lors de la première publication, l’Ajax occupait la 20e place. La dernière fois (en mai 2019), il était moins bien classé : 27e, entre Benfica et la Lazio. Sa valeur est estimée à 315 millions d’euros, soit dix fois moins que celle du leader du classement, le Real Madrid.

Quincy Promes
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Au niveau hollandais, les chiffres commerciaux de l’Ajax sont bons et, vu l’évolution depuis 2010 (environ 10 millions de plus), les revenus de sponsoring devraient encore augmenter au cours des prochaines années mais pas suffisamment pour creuser avec le PSV un fossé aussi large que celui qui sépare le Bayern de Dortmund. Le Bayern dépense parfois trente à quarante millions pour aller chercher un joueur chez ses rivaux. L’Ajax n’en est pas encore là, comme on a pu le voir lorsqu’il s’est intéressé à Steven Bergwijn, du PSV. Le champion des Pays-Bas aurait facilement pu se l’offrir mais il n’a pas voulu perdre son avance sur le plan financier.  » Nous ne voulons pas renforcer le PSV en lui donnant de l’argent « , dit le directeur technique, Marc Overmars.

Nicolas Tagliafico a inscrit le troisième but de l'Ajax contre Lille.
Nicolas Tagliafico a inscrit le troisième but de l’Ajax contre Lille.© BELGAIMAGE

Sur le plan économique, le marché du football hollandais est petit et fortement influencé par l’injection financière de l’UEFA. Il est, dès lors, difficile d’éliminer un rival. Si on ne tient pas compte des recettes de l’UEFA, l’Ajax pèse actuellement environ 30 millions de plus que le PSV. C’est insuffisant pour dicter sa loi. Ou alors, il faudrait que l’Ajax dispute la Ligue des Champions chaque année. C’est pourquoi, au cours des dernières années, il a revu sa stratégie et cherche avant tout à maximiser ses chances de qualification. Le club a donc décidé de copier ce que le PSV fait depuis des décennies : investir du capital dans des joueurs et tenter de les conserver au moins un an de plus. C’est le bon moment car l’équipe qui sera championne cette saison devrait se qualifier directement pour la Ligue des Champions (sauf si le vainqueur final ne devait pas se qualifier par le biais de son championnat mais il y a peu de chances que cela se produise). Pour le deuxième, rien ne change : il faudra entrer en lice dès le deuxième tour préliminaire, avec de fortes chances d’être éliminé (et donc de perdre beaucoup de terrain sur la concurrence au niveau financier). Le championnat 2019-2020 vaut donc de l’or.

Un nain au pays des géants

Un Boeing au milieu d’avions à hélices

De plus, l’Ajax regarde en dehors de ses frontières et cherche à disputer davantage de matches internationaux. Il discute notamment de BeNeLeague avec les autres clubs belges et hollandais mais il s’intéresse surtout à une Ligue des champions semi-fermée avec 14 matches de poule et un système de montée/descente avec l’Europa League.  » Il est important de disputer plus de matches internationaux intéressants « , dit Edwin van der Sar. Le point de vue de l’Ajax n’amuse pas les dix-sept autres clubs hollandais, qui estiment qu’une telle compétition dévaloriserait le championnat national. Mais on peut comprendre le point de vue de l’Ajax, qui fait figure de Boeing 777 au milieu d’avions à hélices sur un aérodrome de province : il a suffisamment de potentiel mais se heurte aux limites de son terrain de jeu. Il reste ainsi un club de tradition, au riche passé, à la vitrine bien remplie, dont la formation des jeunes est réputée et qui est capable de causer la surprise de temps en temps mais qui, au niveau structurel, ne peut pas jouer dans la cour des grands.

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