Un musée à ciel ouvert

Le 1er novembre 1923, les équipes nationales de Belgique et d’Angleterre inauguraient le stade du Bosuil. Visite guidée du foyer du Royal Antwerp Football Club.

L’Enfer de Deurne… Ce n’est qu’un souvenir. Le stade et le club, qui en est à sa dixième saison en D2, plient sous le poids des ans. Pourtant, le Bosuil, un musée à ciel ouvert, respire le football ou, comme Jan Mulder l’a écrit :  » L’Enfer de Deurne est mort mais ses restes coupent le souffle. Le Bosuil ressemble à l’oeuvre surréaliste d’un artiste des ruines. Les étroits couloirs sont sur le point de s’effondrer, les marches en béton sont usées mais le gazon offre une surface parfaite, en contradiction avec le reste.  »

Au coin du stade, Jos Reygaerts, un Limbourgeois, qui a travaillé neuf ans dans les mines de Waterschei, occupe le poste de concierge, avec sa femme Josée, depuis 1993. En février 1997, Georg Kessler le bombarde également responsable du matériel.  » Le titulaire n’avait pu accompagner l’équipe à Anderlecht et je l’ai remplacé. Nous avons gagné 2-3. Pareil la semaine suivante. Kessler m’a dit que je leur portais chance et m’a confié la tâche.  »

 » Moi, j’ai vécu pendant 21 ans dans l’autre coin du stade « , raconte Frans Van Hove, au service de l’Antwerp de 1955 à 2012.  » L’administration est devenue complexe. À l’époque, les joueurs n’obtenaient qu’une prime, déterminée par le conseil d’administration mais notre entraîneur anglais, Harry Game (coach au début des années 50), a professionnalisé le club : soigneurs, délégués, et surtout plus d’entraînements, plus durs…  »

Cela se remarque pendant ces sept saisons, de 1953 à 1960 : le Great Old est deux fois vice-champion, il enlève la Coupe en 1955 et est champion deux ans plus tard.  » Plus de spectateurs, plus de rentrées, plus de contrôleurs : il fallait un comptable « , précise Van Hove, âgé de 79 ans, devenu directeur du stade en 1967.

Nous longeons le bâtiment principal, peint en blanc et érigé en 1923. La peinture s’écaille, à certains endroits, on a remplacé les vitres brisées par des cartons. Van Hove :  » Le stade est construit comme une arène romaine. À l’extérieur du bâtiment principal, il y avait initialement des colonnes de quatre mètres, qu’on a ôtées au fil des années, quand elles se brisaient. Mais ne vous y trompez pas : le stade ne va pas s’effondrer.  »

Frank Verhulst, le responsable de la sécurité, intervient :  » Le stade a été construit avec du béton datant de l’entre-deux guerres. Le mélange était meilleur, on utilisait plus de fer. Les enquêtes de stabilité restent très satisfaisantes.  »

Un mastodonte

 » Attention aux têtes « , prévient Van Hove. Les couloirs situés sous la tribune principale sont bas.  » Pal Csernai, notre entraîneur hongrois au début des années 70, a oublié d’allumer, une fois. Il s’est assommé contre le plafond et n’a pu dispenser d’entraînement ce soir-là.  » Csernai, un phénomène sur la touche, a ensuite entraîné le Bayern, Benfica, le Borussia Dortmund et l’équipe nationale de… Corée du Nord. Les Anversois redoutaient son tempérament explosif.

Trois tunnels mènent au terrain.  » Les deux équipes et l’arbitre avaient chacun le leur. Comme les vestiaires étaient petits, au début, les entraîneurs se rendaient dans celui des arbitres « , rigole Van Hove avant de montrer la tribune :  » 6.500 places, c’était du jamais-vu en 1923. Un mastodonte !  »

Le toit en feuilles d’amiante et de tôle fuit. Les conduites d’eau trouées sont rafistolées avec du ruban autocollant. Les sièges en bois de la tribune principale sont réservés aux administrateurs, aux entraîneurs et aux VIP. En bas, les petites loges en bois, business-seats avant la lettre, sont intactes. Van Hove :  » Les mécènes y prenaient place.  » A droite, on a remplacé les sièges en bois par des baquets en plastique. Verhulst :  » Si les pompiers rendent un avis positif, nous pourrons bientôt faire passer notre capacité de 13.373 à 15.000 places.  »

En 1987, Georg Kessler avait dévoilé ses projets d’aménagement du stade. Il voulait muer Deurne en arène multifonctionnelle avec toit coulissant. La Deutsche Bank était prête à financer le coût – 30 millions d’euros – à un taux de 5 % mais le club n’a pas voulu céder de bail emphytéotique.

Dix ans plus tard, peu après l’attribution de l’EURO 2000 à la Belgique et aux Pays-Bas, la maquette est ressortie des armoires. On a trouvé un mode de financement mais la Ville a calé sur le toit coulissant : cela risquait de faire de l’ombre au Sportpaleis, dans lequel Ville et Province ont des intérêts. Anvers, la ville qui relie les deux pays, a donc raté l’EURO et n’a pas obtenu de nouveau stade.

L’Enfer de Deurne

 » La première fois que je me suis posté dans le rond central, j’ai été épaté par la taille du stade. En plus, il est lové entre les maisons, ce qui est typiquement anglais. Ça confère du charme à un club « , a déclaré Jimmy Floyd Hasselbaink, l’actuel T1 de l’Antwerp, à Voetbal International. L’ancien joueur de Leeds United, de l’Atlético et de Chelsea sait de quoi il parle.

Pourtant, on a du mal à imaginer que dans les années 50, après un deuxième agrandissement, 60.000 spectateurs s’installaient dans le stade. Van Hove :  » Il était fermé. Les fameuses tribunes debout, derrière les buts, accueillaient chacune 16.000 personnes. Parfois, on tendait une corde autour du terrain avant de disposer des chaises en plus. Le stade a été agrandi pour accueillir les matches amicaux entre les Pays-Bas et la Belgique.  » Les deux pays ont croisé le fer à 38 reprises. L’Enfer de Deurne était né : les Belges s’y sont imposés 20 fois, les Néerlandais seulement 12 fois.

Le derby des Plats Pays a rejoint Bruxelles en mars 1977. Les Diables Rouges ont pris définitivement congé du Bosuil en octobre 1988, lors d’un match amical contre le Brésil. Van Hove précise :  » Ce stade immense explique l’attraction exercée par le club. Ceux qui avaient envie d’assister à un match le week-end savaient qu’ils trouveraient toujours une place. Or, la population de Deurne a connu une forte augmentation après la Deuxième Guerre. Ces nouveaux habitants sont devenus des supporters.  » Verhulst :  » Ici, on ne fait pas de chichis car c’est un quartier populaire. Nous comptons beaucoup de supporters dormants mais au moindre succès, ils retrouvent le chemin du stade. Nous sommes en D2 depuis dix ans mais nous jouons devant 10.000 personnes en moyenne.  »

Le miracle sportif

Le poteau lumineux situé entre l’Atrium et la tribune 2, où se trouve le kop, est plus petit que les trois autres mâts depuis septembre 2000. Verhulst :  » Une tente géante a été balayée contre ce poteau par une tempête et il a cédé. J’ignore pourquoi mais on l’a remplacé par un modèle plus petit.  »

Les authentiques bancs en bois blanc sont toujours là. Van Hove :  » Ils ont l’air vieux et peu confortables mais si ça ne dépendait que des supporters, la tribune 2 resterait en l’état pendant 300 ans encore.  » Le mardi 26 septembre 1989, les larmes ont coulé : l’Antwerp a battu le Vitosha Sofia 4-3, un miracle. Auteur d’un nul blanc à l’aller, l’Antwerp est acculé, à la 87′ : c’est 1-3. Nico Claesen sévit à deux reprises, à la 90′ et à la 92′, puis Raphaël Quaranta inscrit le but de la victoire à la 94′. L’Antwerp est qualifié…

Nous nous dirigeons vers le côté Merksem. Verhulst reconnaît que la vie n’est pas toujours facile.  » D’autres régions soutiennent mieux leurs clubs. Peu importe, nous travaillons. Nous rafraîchissons aussi les alentours. Ainsi, les jeunes vont bénéficier de nouveaux terrains. Ils jouent à Brasschaat mais nous voulons les ramener au Bosuil comme avant pour que tout le monde partage à nouveau le même toit et forme une grande famille.  »

Di Stefano, Kopa et Gento en visite

Les photos des neufs plus grands joueurs de l’histoire ornent l’entrée de la tribune principale. Au milieu, le président Eddy Wauters, entouré de Laszlo Fazekas, Karl Kodat, Frans van Rooij, Hans-Peter Lehnhof, Rudi Smidts, Alex Czerniatynski, Francis Severyns et Vic Mees, qui a joué le premier match de Coupe d’Europe contre le Real Madrid. C’était le 31 octobre 1957 et les sociétés ont accordé un demi-jour de congé à leur personnel, pour qu’il puisse assister au match.

Les Madrilènes, qui alignaient notamment Alfredo Di Stefano, Raymond Kopa et Francisco Gento, avaient gagné les deux premières éditions de la Coupe d’Europe des Clubs champions mais les 55.000 spectateurs ont vu Vic Mees et Jef Van Gool partit à l’assaut du but. Di Stefano a toutefois ouvert la marque mais Stan De Backer a égalisé d’un tir des 25 mètres. Mees a fouetté la latte et Di Stefano a remis de la tête le but de la victoire. Score final 1-2 mais l’Antwerp a été le vainqueur moral de la rencontre.

Il disputera encore une trentaine de matches européens et vaincra notamment le Hertha BSC, le Spartak Moscou, Aston Villa, l’Ajax, le VfB Stuttgart et…. le FC Barcelone. 2-1, sur des buts de Willy Van Der Wee et Urbain Segers. Vanhove :  » Nous avons assisté à des matches fantastiques. Plus tard, il y a encore eu cette campagne, sous les ordres de Walter Meeuws, qui a conduit l’Antwerp à Wembley.  »

 » Le football vit, ici  »

Nous visitons l’ancien appartement de Frans Van Hove, qui y a vécu de 1967 à 1988. À la porte, un numéro, le 54, l’adresse officielle du Royal Antwerp Football Club. À côté du petit living, qui sert parfois de bureau, une cuisine, qui accueille la photocopieuse. Au mur, la photo de l’équipe championne en 1944.  » Je ne l’ai jamais vue à l’oeuvre mais je connais tous les joueurs.  » Charles Willems, Bob Paverick, Jos Weyns, René Geuns

Au milieu du couloir, un escalier très raide mène à une chambre.  » Avec trois enfants, c’était parfois fort petit mais cela avait son charme. Parfois, les enfants se douchaient dans les vestiaires.  » Il y a deux autres chambres. Partout, des papiers et des dossiers.  » Mon bureau est toujours comme je l’ai quitté en juin 2012.  » Il vérifie que tout est en ordre avant de refermer la porte.

Le chalet, autrefois destiné aux sections de tennis et de hockey, a été rénové. Au rez-de-chaussée, il accueille le fan shop et au-dessus, on a aménagé des bureaux.  » Les autres sections, tennis, hockey et athlétisme, sont parties.  »

Frans Van Hove marche depuis deux heures mais il ne se départ pas de sa verve. Il évoque les pavés de l’entrée principale, placés dans les années 70.  » Quand il pleuvait, le chemin était très glissant. Je revois les ouvriers qui ont placé ces pavés. Le matin, ils étaient bien droits mais le soir, après avoir passé huit heures courbés sur leurs pavés, ils savaient à peine marcher. Pourtant, le lendemain, ils revenaient, droits et pleins d’ardeur.  »

Le moment des adieux est venu. Les canards nagent dans l’étang situé à côté de l’entrée principale. Le Bosuil est très paisible. Frans Van Hove :  » Ce serait quand même triste de quitter ce lieu, non ? Il est empreint de tant de souvenirs, d’une telle nostalgie.  » Frank Verhulst :  » Sa situation est idéale. Il y a un parking, une zone verte, une autoroute qui rallie tous les coins du pays. En plus, le football vit, ici.  »

PAR CHRIS TETAERT – PHOTOS : JURGEN VANTOMME

 » Le Bosuil ressemble à l’oeuvre surréaliste d’un artiste des ruines  » Jan Mulder

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