» Un monstre « 

De 1992 à 1994, les Zèbres ont été intenables : finale de Coupe de Belgique et quatrième place synonyme d’UEFA. Avec l’Entraîneur du Siècle.

D ante Brogno :  » Robert Waseige a été élu Entraîneur du Siècle du Sporting. 100 % logique. Sur les 26 saisons en D1, j’ai tout connu, j’y ai passé près de 24 ans, comme joueur, adjoint, T1 et entraîneur des Espoirs. Et s’il y a bien un coach qui m’a marqué plus que tous les autres, c’est Waseige. Il a fait trois séjours à Charleroi et c’est évidemment le premier qui a frappé les esprits, au début des années 90. C’était un monstre. Tu l’écoutais et tu savais où tu allais. Il imposait un terrible respect naturel. Il pouvait être sévère, très direct et ça faisait parfois très mal. Certains joueurs détestaient son approche, ne comprenaient pas pourquoi il était aussi dur avec eux. Il y en a qui s’enfonçaient, qui sombraient complètement. Ils n’étaient pas armés psychologiquement pour supporter des attaques verbales pareilles. Mais sur le long terme, son approche rendait tout le monde plus fort. Je me souviens de quelques lundis pénibles, quand nous avions été mauvais le week-end. Nous arrivions à l’entraînement avec la peur au ventre, nous étions dans nos petits souliers, nous savions que nous allions en prendre pour notre grade.

Waseige n’épargnait personne, il nous mettait devant nos responsabilités. Je ne suis pas sûr que les footballeurs d’aujourd’hui accepteraient encore d’être engueulés comme ça, parce que les mentalités ont fort changé. Moi, je préférais en tout cas un coach très dur qu’un entraîneur mou. Et si Waseige était impitoyable avec un joueur, c’est parce qu’il lui trouvait des qualités et estimait qu’il pouvait aller plus haut. Une fois, il m’a dit un truc qui m’a frappé : -Le jour où je n’adresserai plus la parole à un joueur, ça voudra dire qu’il est mort. Il y avait en fait deux Robert Waseige : celui qui ne nous épargnait pas dans le vestiaire après un mauvais résultat et celui qui nous protégeait à fond à la conférence de presse quelques minutes plus tard. C’était un malin. Très, très malin.

Pendant deux ans, de 1992 à 1994, nous avons vécu sur un nuage. La première saison, sixième place au classement et finale de Coupe de Belgique. Cet été-là, nous perdons Pär Zetterberg, qui est élu Footballeur Pro et rentre à Anderlecht. Tout le monde dit que nous ne pourrons pas confirmer sans le cerveau de notre équipe. Mais l’année suivante, nous finissons à la quatrième place et nous nous qualifions pour l’UEFA. Zetterberg était extraordinaire, le meilleur joueur que j’ai côtoyé dans ma carrière. Il démêlait tous les n£uds. On était dans la merde ? On ne savait pas quoi faire du ballon ? On le passait à Zetterberg, il trouvait une solution technique ou tactique. Il évitait un adversaire et servait un caviar à 30 ou 40 mètres pour l’attaquant bien placé. Quand il est parti, nous avons trouvé une solution collective et l’équipe a continué à grandir. Il y avait un très bon mix : plusieurs gars de la région, l’un ou l’autre joueur néerlandophone et quelques étrangers de haut niveau comme Cedomir Janevski ou Nebojsa Malbasa. Le courant passait entre tout le monde : entre les joueurs et l’entraîneur, entre le public et l’équipe. Chaque fois que le Sporting jouait à domicile, nous montions sur le terrain avec une boule à l’estomac, tellement c’était chaud. Personne ne pouvait nous passer dessus. Quand nous recevions le Standard, Anderlecht ou Bruges, la semaine commençait toujours avec le même discours : -On les tape, on les fracasse, on se les paie. On avait des couilles, on n’avait peur de rien. Les jours qui précédaient les gros matches, les sprints se faisaient à 120 % et au-delà de la limite : tout le monde allait deux ou trois mètres plus loin que les cônes.

Tout s’est effondré dès le départ de Waseige. Georges Leekens est arrivé, il a amené quelques joueurs, des piliers étaient partis. Nous avons directement été éliminés par le Rapid Bucarest en Coupe de l’UEFA, ça commençait mal et ça ne s’est pas arrangé. Le groupe avait été trop chamboulé. La rapide élimination européenne, c’est un des deux mauvais souvenirs que je conserve de cette époque. L’autre, c’est l’arbitrage d’ AlphonseCostantin en finale de la Coupe contre le Standard : Charleroi s’est bien fait entuber. Avec un arbitre honnête, on gagne ce match. Sûr et certain.

Waseige est revenu pour les saisons 1997-1998 et 1998-1999 mais ce n’était plus du tout la même chose. Le Sporting était en pleine tourmente extra-sportive, il y avait notamment de gros problèmes relationnels entre la direction et la Ville. Cela se sentait à tous les étages du club, il n’y avait plus de sérénité nulle part. Le vestiaire sentait ces tensions. Et dès que ça foire dans les bureaux, le sportif trinque, c’est inévitable. « 

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTO: REPORTERS/ GYS

 » Waseige m’a dit : -Le jour où je n’adresserai plus la parole à un joueur, ça voudra dire qu’il est mort. « 

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