Un monstre de volonté

Si Jean-Michel Saive est toujours un battant, ce n’est pas par hasard. Tout jeune, il a, comme on dit, bouffé de la vache enragée : « A 13 ans, je quitte la compétition belge car je me rends compte qu’elle est déjà trop courte pour moi. Je signe à Julich, en Allemagne à 90 km de la maison natale. Ce transfert, le président de mon club initial et également président de la fédération, le prend très mal. Ma mère, qui était secrétaire de ce club, est remerciée et je me vois interdire la salle d’entraînement, laquelle se trouve à 200 m de la maison! Mais je voulais devenir champion d’Europe Cadets. En restant en Belgique, ce n’était pas possible. Il fallait donc s’organiser. Mon père, qui travaillait à Bruxelles, revenait plus tôt, deux fois par semaine le mardi et le vendredi, pour me conduire en minibus avec toute la famille à Julich.

Le vendredi soir, précédent la compétition du samedi, on logeait tous dans l’appartement d’un équipier. Mes parents dans une chambre, Phil et moi dans le salon. On a fait ça pendant trois ans. Phil jouait le championnat allemand des jeunes, tandis que j’évoluais en 2e Bundesliga. Là-bas, je suis passé de 90% de victoires en Belgique à 50% de matches gagnés en D2 allemande! Ce qui situe bien la différence de niveau existant alors entre les deux compétitions.

Lors de ma seconde saison, j’ai remporté le titre européen chez les Cadets, en battant le champion en titre 21-19 lors de la belle. Je reconnais que mes parents menaient une vie de fous à l’époque. En plus, je jouais en division ouest dans la Ruhr et il y avait quand même pas mal de déplacements. Le samedi, nous revenions dans la nuit et, le dimanche, on se tapait encore un tournoi belge de Série A, à Namur ou à Malines. Un exemple d’un week-end complètement dingue? En voici un : un samedi soir, j’ai joué Luxembourg-Belgique gagné 5-2 en D3 de ligue européenne; j’ai ensuite dormi quelques heures sur place et, à 5 heures du matin, mon père me réveillait pour me conduire au match d’interclubs près de Cologne, gagné lui aussi. L’après-midi, je remettais ça au tournoi d’Eupen que je perdais en finale. De la folie pure et simple, pour la famille comme pour moi. A l’époque, on avait un minibus dans lequel j’apprenais aussi mes leçons pour l’école. Les devoirs, je les faisais à la maison, à mon retour, vers 22 heures. En semaine, c’était après l’entraînement. Ne pouvant plus m’entraîner à 200 m de chez moi, je devais me taper le bus pour aller à la salle à Herstal.

En 84, j’ai cessé de m’entraîner en Allemagne, pour suivre, trois fois par semaine, à Jambes, les regroupements nationaux obligatoires, sous la houlette d’un entraîneur extraordinaire, Milan Stencel, un Croate, qui m’a tout appris en matière de discipline et de rigueur à l’entraînement. Quand on a 14 ans et qu’on débute dans le sport, c’est le genre de type idéal. Il n’empêche que ces entraînements me compliquaient drôlement la vie : après l’école, bus jusqu’à la maison, puis 3 trains de Ans à Liège, Liège-Namur, Namur-Jambes et retour. En outre, en rentrant de l’école pour prendre mon sac de sport (et mes cours à étudier durant les trajets), je m’enfilais un repas chaud qui me restait sur l’estomac pendant l’entraînement. Et lorsque je débarquais à 18h15 à la salle, je me faisais réprimander par Stencel parce que j’étais en retard. Le soir, il y avait les trajets dans l’autre sens, les devoirs faits avant d’aller se coucher et le sommeil parfois difficile à trouver parce qu’on est speedé. Malgré cela, j’ai décroché mon diplôme d’Humanités sans jamais doubler. Je suis assez fier de cela ».

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