UN MIGRANT

Demain, à Lviv, Anderlecht affronte le Shakhtar Donetsk. Suite à la guerre civile, la fierté de l’est de l’Ukraine est sans toit mais pas sans argent.

Le 2 mai 2014, en Premier League ukrainienne, le Shakhtar Donetsk reçoit le modeste Illichivets Marioupol, qui évolue maintenant en D2. La superbe Donbass Arena n’accueille que 18.017 spectateurs pour cette joute. Si, en début de saison, le Shakhtar évoluait devant une assistance allant de 36.000 à 52.000 spectateurs, l’insécurité croissante dans l’est du pays a progressivement vidé le stade.

En mars, contre Dniepr, le club attire encore 33.000 personnes puis, dans l’avant-dernier match à domicile contre Tavria Simferopol, un club de Crimée, il en recense 22.000. Parmi les 18.017 personnes qui assistent au match contre Marioupol, nul ne sait qu’il vit là l’ultime match de football de la Donbass Arena.

Une journée plus tard, la fédération de football décide que tous les matches se dérouleront à guichets fermés. Les portes des stades se rouvrent pour le dernier match mais les clubs de l’est doivent jouer dans un stade sûr. Donc, le Shakhtar achève la compétition à Tsherkasy, contre Volyn Loutsk, devant 2.300 personnes.

Depuis le 2 mai 2014, le Shakhtar est un club sans abri, constamment en chemin. Ses déplacements lui coûtent une fortune. Le noyau vit, dort et s’entraîne à Kiev mais joue à Lviv, la septième ville du pays avec 750.000 âmes, un peu plus petite que Donetsk (950.000 habitants), une cité située à 1.200 kilomètres de son port d’attache.

Si le coeur de Donetsk penche plutôt vers la Russie voisine, Lviv, proche de la frontière polonaise, est occidentale et nationaliste. Cette ville ne se réjouit donc pas d’accueillir la fierté footballistique des Ukrainiens de l’Est, russophones.

ASSISTANCES MITIGÉES

En plus, Lviv a déjà un club parmi l’élite, même si Karpaty Lviv est en bas de tableau depuis des années. A cause d’un conflit avec la ville, il ne joue pas dans l’arène de l’EURO mais dans son vieux stade. Sa plus forte assistance de la saison ? 7.300 personnes.

A la fin de ce mois, Karpaty partagera toutefois le stade de l’EURO avec le Shakhtar, qui dispute ses matches de championnat à domicile devant des tribunes désespérément vides. Car comment appeler une assistance-record de 3.011 personnes dans un stade de 28.000 sièges ? La formation orange et noir a joué quatre parties ailleurs : deux à Odessa, une à Zaporizhia et une autre dans le petit stade Bannikov de Kiev, devant 1.358 personnes.

En Coupe d’Europe, la situation est radicalement différente : le Shakhtar n’est alors plus le symbole détesté de l’Ukraine de l’Est mais se mue en une sorte d’équipe nationale, qui attire 30.000 personnes.

Le président et propriétaire du club, Rinat Akhmetov, ne s’intéresse plus qu’à ces joutes. Si, en 2011, il était encore 39e sur la liste des hommes les plus riches du monde, avec un patrimoine de 16 milliards de dollars, selon le magazine Forbes, il avait glissé à la 201e place en 2015, avec une fortune de 6,7 milliards et maintenant, il est 771e avec des biens estimés à 2,3 milliards.

Officiellement, ce fils de 50 ans d’un simple mineur a fait fortune dans l’acier et le charbon, grâce à de bonnes spéculations pendant les temps agités ayant suivi la chute du communisme. Le 11 octobre 1996, un an après l’attentat à la bombe ayant coûté la vie à Akhat Bragin et à six de ses gardes du corps, pendant un match à domicile du Shakhtar, Akhmetov a accédé à la présidence. Il veut faire du Shakhtar un grand club européen. Première étape, le tout premier titre national, en 2002, sous la houlette de l’Italien Nevio Scala, qui avait connu le succès à Parme.

SALAIRES OCCIDENTAUX

Le Shakhtar n’accède toutefois vraiment au succès qu’avec le Roumain Mircea Lucescu, qui arrive en 2004. Il a fait la connaissance d’un homme intéressant dans son club précédent, Galatasaray : Franck Henouda, un agent, collaborateur du Club Med, qui a quitté la France pour le Brésil, dans le cadre de son boulot, et y a tissé un réseau intéressant en football.

Les deux hommes cherchent des talents brésiliens bon marché, âgés de 18 à 20 ans. En 2004, Henouda amène Jadson (21 ans) à Donetsk pour cinq millions d’euros. Il est le premier de quinze Brésiliens. L’argent d’Akhmetov est investi dans un fantastique complexe d’entraînement, dans des salaires riants et un accompagnement en portugais, histoire de remédier au mal du pays.

Le Shakhtar et le Dynamo Kiev continuent à verser des salaires occidentaux. Les meilleurs footballeurs y gagnent entre un et deux millions d’euros par an alors que le salaire d’un joueur ukrainien moyen est de 100.000 euros. C’est encore beaucoup plus que le salaire d’un ouvrier qui doit s’en tirer avec environ 300 euros par mois, malgré une inflation galopante.

Las, la guerre fait fondre le capital du président, dont toutes les activités économiques sont implantées à l’Est. Akhmetov, considéré comme un oligarque pro-russe, a eu peur de prendre parti et s’est prononcé en faveur d’une Ukraine unie, ce qui lui a coûté une bonne partie de son crédit dans sa région natale.

Akhmetov peut s’appuyer sur les rentrées de la Ligue des Champions et de la vente des joueurs. Rien que cette saison, il a perçu 96 millions d’euros en transferts et n’a engagé personne. La semaine dernière encore, Alex Teixeira est parti en Chine pour 50 millions, après qu’Akhmetov eut refusé une offre de 30 millions de Liverpool. L’été passé, il avait déjà perçu 30 millions du Bayern pour Douglas Costa. Depuis 2012, le Shakhtar a gagné 198 millions grâce à la vente de joueurs, tout en n’en dépensant que 103 millions.

LOURDES PERTES

Le Shakhtar conserve une bonne équipe mais elle n’a plus le niveau de l’élite européenne. Il a perdu son meilleur homme, Teixeira. Grâce aux 22 buts inscrits en 15 matches au premier tour, le Brésilien va être sacré meilleur buteur d’Ukraine. Autre perte, celle du moteur de l’entrejeu, Fred, suspendu pour dopage. Leurs remplaçants ? De jeunes talents ukrainiens, Maksym Malishev (23 ans), qui se rongeait les sangs en réserve, et Victor Kovalenko (20 ans), considéré comme le plus grand espoir d’Ukraine.

Jusqu’à l’année dernière, le onze de base du Shakhtar comportait un gardien et deux défenseurs ukrainiens, les autres postes étant occupés par des étrangers. Contre Schalke 04, pour la première fois depuis des lustres, le club a titularisé sept Ukrainiens. Le noyau comporte seize joueurs du cru, huit Brésiliens pure souche et un naturalisé croate. Pour le moment, ce noyau permet au club de jouer un rôle en Europe mais l’époque où les deux grands d’Ukraine pouvaient rivaliser avec des clubs européens de taille moyenne semble définitivement révolue.

PAR GEERT FOUTRÉ – PHOTOS BELGAIMAGE

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