« Un match comme les autres »

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Manu retrouve Enzo ce week-end: ambiance!

Le dépanneur a repris du service. Il y a un an, Manu Ferrera assurait le maintien de Charleroi. Aujourd’hui, il doit en faire de même à Alost, qui est en position de descendant depuis sa défaite à Beveren, samedi dernier. Deux expériences assez différentes.

« Contrairement à ce qui s’était passé au Sporting, je n’ai plus le temps d’imposer ma griffe sur mon équipe », explique-t-il. « A Charleroi, j’avais sacrifié trois matches à la mise en place de mes méthodes de travail et de mes idées tactiques. Nous n’avions pris qu’un point dans ces trois rencontres, puis nous avions terminé la saison en jouant cinq fois sans perdre. Cette fois, c’est différent: le temps me manque. Je vais donc continuer l’oeuvre de Wim De Coninck. Il n’y a de toute façon pas de raison de tout chambouler. Les joueurs sont en bonne forme physique et les conceptions tactiques de Wim étaient intéressantes. Les résultats qu’a signés Alost durant le premier tour veulent quand même dire qu’il y a du talent dans le noyau. S’il n’y avait pas eu une cassure très nette entre l’entraîneur et ses joueurs, ce club ne serait pas menacé actuellement. Je compare l’aventure de Wim à celle d’un pilote de F1 qui aurait mené tout un GP et aurait commis une grosse faute dans le dernier tour ».

De Coninck a insinué que certains de ses joueurs avaient laissé filer un match. Cela lui a valu son limogeage dans un monde où il vaut souvent mieux la boucler. Manu Ferrera en sait quelque chose…

« Ces insinuations, ce n’était que la partie visible de l’iceberg. Le malaise était beaucoup plus profond. L’état d’esprit du noyau n’était plus positif depuis pas mal de temps. Ce n’était pas un problème insurmontable quand Alost prenait des points, mais le clash est devenu inévitable après cinq matches sans victoire. Je ne veux pas trop m’attarder sur les raisons qui ont conduit au licenciement de Wim. Je m’en fous! Je peux seulement dire que le changement d’entraîneur n’est pas si étonnant. Wim avait fait du bon travail et on lui avait proposé de rempiler, mais suite à une série de mauvais résultats, cette équipe fonçait droit vers la D2. J’ai trouvé des joueurs très appliqués et bien décidés à s’en sortir ».

Tout est allé très vite. Lundi dernier, sur le coup de 23 heures, Manu Ferrera était contacté par Patrick De Cock, le manager d’Alost. « Il voulait me voir tout de suite », dit Ferrera. « J’ai sauté dans ma voiture, et à 3 heures du matin, nous trouvions un accord pour que j’achève la saison comme entraîneur. Nous nous connaissions déjà très bien, puisque l’Eendracht m’avait contacté il y a deux mois, quand il était question du départ de De Coninck à Genk. Et j’ai souvent suivi cette équipe au cours des derniers mois. Tout cela facilite mon acclimatation. Mon contrat sera automatiquement prolongé de deux ans en cas de maintien. Si le club chute en D2, nous nous séparerons dans moins d’un mois ».

Depuis son éviction à Charleroi, Manu Ferrera n’avait plus reçu d’offre vraiment concrète. Il fut question de lui en Grèce, mais il se fit rouler par un manager grec vivant en Belgique qui vient de gruger Charleroi dans l’affaire Elias Solakis : « Quand j’ai su qu’il était l’agent de Solakis, j’ai su que ce joueur ne viendrait jamais au Sporting ».

Manu fut aussi en contact avec deux clubs de D1 belge, mais il devait attendre la fin de la saison pour en savoir plus. Le découragement était proche : « Si je n’avais rien retrouvé pour le début de la saison prochaine, j’aurais ouvert un bureau de management avec Luc Frère. Il se serait occupé des aspects financiers et je me serais concentré sur le sportif. L’offre d’Alost me tentait, même si le défi est difficile. Je n’avais de toute façon guère le choix. Antoine Vanhove ne m’a pas appelé pour que j’aille entraîner Bruges (il rit). J’ai pris ce que j’ai trouvé. Quand une équipe change d’entraîneur, cela veut dire qu’elle a de gros problèmes. Il n’y a qu’à Charleroi qu’on change quand ça va bien… »

Mercredi dernier, le rebelle de Strombeek s’est mis au travail sur un terrain d’entraînement en très sale état. « Je critiquais les pelouses du Sporting en début de saison. Quand je vois les installations d’Alost, je me dis que Marcinelle, c’était Wembley… », rigole-t-il.

Manu Ferrera a hérité de quatre matches pour sauver l’Eendracht. Contre Beveren et son frère Emilio, face à Charleroi et son ex-pote Enzo Scifo, à l’Antwerp, puis contre Anderlecht qui l’employait toujours il y a un peu plus d’un an. La complicité qui le lie à Emilio a vite fait jaser. Manu hausse les épaules.

« Restons sérieux », dit-il. « Comment Emilio aurait-il pu s’arranger pour que mon équipe gagne à Beveren? Ce n’était quand même pas lui qui était sur le terrain. Les joueurs de Beveren ont besoin de primes et n’en ont rien à foutre de l’entraîneur d’Alost. Le match de samedi dernier a prouvé que le foot est beaucoup plus propre que certains le disent. Maintenant, je compte sur Emilio pour m’apporter une aide plus indirecte: il va remonter ses hommes à fond pour qu’ils fassent de bons résultats à St-Trond et à Harelbeke, deux de nos concurrents dans la lutte pour le maintien ».

Emilio avait aussi un commentaire bien tranché, samedi soir: « La presse a fait énormément de publicité et de sous-entendus concernant ce match. Le résultat prouve que tout le monde est honnête dans cette histoire. Par contre, permettez-moi de me poser des questions quand je vois que La Louvière a gagné au Lierse et que St-Trond est allé marquer six buts à Westerlo ».

Le match aller entre Charleroi et Alost permit à Enzo Scifo de faire ses débuts d’entraîneur. Les deux clubs s’affronteront ce week-end pour des retrouvailles fort médiatisées. « Pour moi, c’est un match comme les autres. Je ne sais pas si j’irai serrer la main d’Enzo. On verra. De toute façon, il n’en a rien à cirer, de Ferrera. Je ne vois pas ce match comme un duel entre Ferrera et Scifo. Ma seule priorité, c’est le maintien d’Alost. Je n’en veux plus autant à Enzo qu’au moment de mon limogeage. J’ai toujours dit qu’il y avait trois responsables dans cette histoire: Abbas Bayat, Lucien Gallinella et Enzo. Plus le temps passe, et plus je comprends que les principales responsabilités ne se trouvent pas là où je le pensais au moment des faits. Enzo s’est laissé manipuler: il n’a pas cherché à prendre ma place mais on l’a obligé à le faire. Bayat ne savait pas me piffer, Gallinella ne supportait pas que je sois en contact avec ses grands ennemis de la Ville, et Scifo peut être accusé de non-assistance à ami en danger. C’est surtout à ce niveau-là qu’il est coupable. Et au bout du compte, ma mise à l’écart les arrangeait tous les trois. La mésaventure que j’ai connue à Charleroi m’a enrichi mentalement. Faire aveuglément confiance, c’est terminé. Je fais maintenant beaucoup plus attention quand on me tient des beaux discours.

Je serai content de revoir ce week-end des joueurs de Charleroi avec lesquels j’ai partagé les joies du sauvetage et de notre début de saison fantastique. Je suis encore en rapport avec certains d’entre eux. Mais leurs dirigeants le savent et ça ne leur porte pas chance. A Charleroi, il ne fait pas bon être ami de Manu Ferrera. Ceux qui continuent à me téléphoner devront partir en fin de saison ».

En début de saison, Manu Ferrera avait emmené son adjoint à Charleroi: Jean-Marie Neuzy. Celui-ci a quitté le club lorsque Dante Brogno a intégré le staff. « Jean-Marie pouvait difficilement travailler avec Enzo et Dante. Du jour au lendemain, il n’y avait plus de place pour lui. Il l’a compris et a été logique en décidant de rester chez lui. On l’a mis plus bas que terre alors qu’il pouvait encore rendre de sacrés services au Sporting. Cet homme est aussi compétent que discret. Sa seule ambition est d’être au service de l’entraîneur principal. En tant que débutant dans le métier, Enzo aurait pu encore profiter de l’expérience de Jean-Marie. Il a préféré prendre Dante, qui est tout aussi inexpérimenté que lui.

Si je suis toujours à Alost la saison prochaine, j’essayerai d’avoir Jean-Marie Neuzy comme adjoint. Mais je ne chercherai pas pour autant à écarter le numéro 2 actuel, Willy Quipor, qui a plaidé pour mon engagement alors qu’on lui avait proposé de remplacer De Coninck. Il aura la priorité car ce n’est pas mon style d’enterrer ceux qui ont été corrects avec moi ».

Pierre Danvoye

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