UN LOUP DANS LA BERGERIE

Bruno Govers

L’affaire, le Brussels, l’avenir : le médian français dit tout.

Le match FC Brussels-La Louvière n’aura pas laissé un souvenir impérissable dans la mémoire des supporters des deux camps. Ce fut un zéro sur toute la ligne, à l’image du nul vierge qui sanctionna les débats. Mais comment aurait-il pu en aller autrement, dans la mesure où, depuis la reprise, la poudre est singulièrement mouillée de part et d’autre : deux buts à peine pour les locaux, contre quatre du côté des Loups.

Mario Espartero : Le départ de notre ancien buteur Igor De Camargo, à destination du Standard, a entraîné une nouvelle distribution des rôles, qui requiert toujours un temps d’adaptation. Le sacro-saint 4-4-2, en vigueur depuis le début de la saison, a fait place depuis quelques semaines à un 4-5-1 avec le seul Michaël Niçoise en pointe et un entrejeu renforcé. Chacun doit manifestement encore trouver ses marques dans ce système et c’est pourquoi l’équipe ne fait plus montre du même allant que lors du premier tour. Tôt ou tard, la donne sera assimilée. En attendant, l’essentiel est de continuer à grappiller des points précieux, même si la manière laisse encore à désirer. Nous en avions pris trois contre Westerlo, ce coup-ci nous avons dû nous contenter d’une unité face à La Louvière. Si nous persévérons de la sorte, nous terminerons bel et bien dans le ventre mou du classement en fin de parcours. Et tel était l’objectif du club avant que ne soient frappés les trois coups de la saison.

Vous aviez été confronté une première fois avec les Loups, la semaine passée, dans le cadre d’une audition concernant le match Lierse-La Louvière (7-0) lors de l’ultime journée de la défunte compétition. Qu’avez-vous dit en la circonstance au procureur fédéral adjoint, Philippe Godin ?

Que tout match a sa vérité et chaque joueur ses motivations propres. Pas moins de sept Loups inscrits sur la feuille de match, ce jour-là, étaient en bout de contrat au Tivoli. Je présume que l’un avait à c£ur de démontrer au président, Filippo Gaone, qu’il méritait une prolongation de bail chez les Vert et Blanc, qu’un autre était mû par l’idée de ne pas encourir une stupide blessure à l’heure où son avenir était en jeu ailleurs que dans le Centre, et qu’un troisième fomentait, peut-être, sa petite revanche contre une direction qui n’avait pas tenu toutes ses promesses à ce moment. Tout le monde, sans exception, avait une bonne raison d’adopter telle ou telle attitude.

Quel était votre propos ?

Mon intention, dans ce match, consistait à aider mon pote Wagneau Eloi à atteindre la barre des 10 buts. Il en avait déjà planté 8 à ce moment-là et n’était plus éloigné que de 2 maigres unités de la prime de 10.000 euros qui lui avait été promise par les dirigeants pour cette contribution. L’homme fort du club redoutait manifestement cette situation et avait fait pression sur l’entraîneur, Albert Cartier, pour qu’il n’aligne pas l’attaquant haïtien. Mais le coach n’avait rien voulu savoir. Quant à moi, je n’entendais pas faire de fleur non plus à un président qui ne s’était pas montré toujours très chic vis-à-vis de mon coéquipier, voire d’autres partenaires.

Vous pouvez étayer vos dires ?

Wagneau Eloi vivait à l’hôtel durant sa période louviéroise. A deux reprises, sa chambre a été vidée de ses effets, qui jonchaient le hall d’entrée à son retour de l’entraînement. Quand il est allé aux nouvelles, on lui a répondu que Filippo Gaone n’avait pas honoré les factures. Bon prince, il les a acquittées lui-même en attendant que le club régularise sa situation. D’autres, en revanche, n’avaient pas ces moyens. Nasser Dainèche devait se débrouiller avec 1000 euros bruts par mois. Si je ne lui avais pas offert le gîte et le couvert à intervalles réguliers, il aurait dû se contenter d’une pitta par jour, dans le froid. Et vous voudriez qu’un joueur se sublime toujours pour son club et son président, dans ces conditions ? Faut pas rigoler. Filippo Gaone récolte ce qu’il a semé.

Pris en otage

Il y a une différence entre ne pas se sublimer et laisser filer un match.

On joue sur les mots. Untel ne s’est pas sublimé, un autre a laissé filer le match, un troisième a joué avec le frein à main, etc, etc… Sorry, mais moi, j’ai joué le jeu. J’avais un objectif louable au départ, qui consistait à aider Wagneau dans son entreprise. Tous mes partenaires n’avaient probablement pas le même dessein que moi. Mais peut-on leur reprocher de ne pas avoir joué le jeu pour autant ? S’il en est ainsi, désolé, mais il faut alors punir les trois quarts des footballeurs de l’élite. Car je ne connais aucune équipe qui joue à visière découverte ou sans arrière-pensée dans ce pays. Quand un sans grade se rend chez l’un des ténors, passe-t-il la surmultipliée ou joue-t-il avec le frein à main ? Poser la question, c’est y répondre.

Vous êtes donc serein par rapport à ce match au Lierse.

J’ai tous mes apaisements pour moi, oui. Pour les raisons que je viens d’évoquer. Avec le recul, vu la physionomie de la rencontre, je comprends cependant qu’il y ait des choses à redire. L’unité de pensée était complètement absente dans nos rangs ce jour-là et il en a résulté une parodie de match, il faut bien l’avouer. Je me mets à la place des supporters qui ont effectué ce déplacement à la Chaussée du Lisp : ils ont dû se sentir bernés et grugés. Sans le vouloir, ils ont été pris en otages par des joueurs aux motifs disparates. Vis-à-vis d’eux, je me sens mal. Et je suis tout à fait disposé, personnellement, à faire amende honorable. Au même titre que d’autres, j’en suis sûr, je suis prêt à y aller de ma poche pour rembourser tous ceux qui ont été les témoins de ce non-match. En revanche, je ne comprendrais pas d’être frappé d’une sanction sportive par rapport à ce match, dans la mesure où les acteurs d’un rencontre prétendument faussée sont passibles d’une suspension d’un an au moins. Je le dis et le répète : pour moi, ce match n’était pas faussé.

Qu’en est-il de cette rumeur selon laquelle Lierse-La Louvière a fait l’objet de paris entre les Loups et que vous auriez raflé la cagnotte pour avoir pronostiqué le score exact ?

Je me doute de l’identité de la personne qui a lancé cette rumeur. Elle se situe dans la mouvance immédiate du président. Honnêtement, je ne comprends absolument pas les raisons de son acharnement sur moi. C’est à la fois ahurissant et dégoûtant. Pour ne pas dire abject. Si – je dis bien si -, j’avais dû émettre un pronostic, je n’aurais évidemment pas opté pour un zéro de notre côté puisque, au risque de me répéter, je voulais rendre service à Wagneau Eloi. D’autre part, je me demande bien pourquoi j’aurais voulu me remplir les poches de cette manière. De tous les Louviérois, c’est moi qui avais sans doute le moins de motifs de me plaindre. Chaque mois, le FC Metz, à qui j’appartenais encore à l’époque, me versait mon salaire, de l’ordre de 30.000 euros nets mensuels. Sur ce montant venaient se greffer 5.000 euros bruts de la part de La Louvière. C’était pour ainsi dire mon argent de poche : il me servait à payer la location de mon appartement à Ophain, mes frais d’essence ainsi que ceux de l’un ou l’autre de mes coéquipiers qui éprouvaient de la peine à nouer les deux bouts ( il grimace) et mes fringues. Je n’avais nullement besoin d’une prétendue cagnotte pour arrondir mes fins de mois, croyez-moi. D’ailleurs, si l’argent avait été ma seule motivation, j’aurais opté pour le Standard, qui m’offrait 20.000 euros mensuels plutôt, que le Brussels où je gagne un bon paquet en moins.

Pourquoi, dès lors, avoir choisi la capitale ?

Pour Albert Cartier, tout simplement. Je ne suis pas un ingrat : je sais ce que je dois à cet homme qui m’a lancé à Metz autrefois et qui m’a repêché à un moment où bien peu croyaient encore en moi. Je me souviens de la date comme si c’était hier : le vendredi 13 mai 2004. Je sortais d’un an et demi de convalescence suite à une fracture de la rotule droite, qui avait nécessité deux interventions chirurgicales, la première en octobre 2002 et l’autre en septembre de l’année suivante. Au moment où j’étais redevenu bon pour le service, je ne faisais plus partie des plans de bataille chez les Grenats, dirigés alors par le coach Jean Fernandez. Albert Cartier, lui, n’en avait cure. Puisque j’étais à nouveau opérationnel, je pouvais faire l’affaire à ses yeux. Et c’est ainsi que j’ai abouti chez les Loups d’abord, puis au FC Brussels.

Béni-oui-oui

Avec des fortunes ô combien diverses.

La saison passée, j’ai inscrit 4 buts et délivré 5 assists. Je puis encore atteindre ce total cette année, puisque j’ai paraphé un goal et donné une passe décisive. Mais c’est vrai que par rapport à La Louvière, où j’avais été crédité d’un bon parcours, ma saison dans la capitale aura de toute façon été beaucoup plus mièvre, j’en suis conscient. Je crois que je me suis trompé d’histoire d’amour, tout bonnement. Pour donner ma pleine mesure, j’ai besoin d’être en phase avec le jeu et les hommes. Ici, malheureusement, je suis loin du compte. Par rapport au Tivoli, où l’accent était mis sur le pressing, la démarche chez les Coalisés est beaucoup plus attentiste. Or, j’ai un tempérament qui me pousse vers l’avant. Au fond de moi-même, je suis resté un Loup, montrant les crocs de temps en temps. Ici, les gars sont beaucoup plus dociles. On dirait des moutons par moments.

Vous êtes le Loup dans la bergerie.

Votre remarque est tout à fait pertinente. Je suis effectivement le Loup dans la bergerie. Du coup, la cohabitation est difficile. Par moments, j’aimerais pousser à la révolte. Mais les gars, manifestement, n’ont pas le même tempérament que moi. Ce sont des béni-oui-oui. Ils acquiescent toujours, même quand le président Johan Vermeersch les engueule. Moi je vous dis que si Filippo Gaone avait dû s’adresser une seule fois à nous dans les mêmes termes, c’eût été la révolution au Tivoli. Là-bas, on n’aurait jamais admis d’être traités comme des minables. Ici, les joueurs opinent toujours du bonnet. Ils avalent tout et n’importe quoi.

Vous ne ferez pas de vieux os au FC Brussels dans ce contexte ?

Le président m’a inclus sur sa liste noire. Je présume qu’on aura donc tout intérêt à nous séparer. De toute façon, je ne me fais pas de mouron. Malgré une saison de merde, je sais que je suscite les convoitises, malgré tout. Personnellement, il ne me déplairait pas de retâter de la Ligue 1 en France. Ici, avec toutes ces affaires, j’en ai franchement soupé. Ras-le-bol. Ce qui m’énerve aussi, par-dessus tout, ce sont ces petites remarques insidieuses de vos collègues de la presse quotidienne. Après avoir été auditionné lundi, qu’ont-ils écrit le lendemain : Mario Espartero a été entendu et est reparti ensuite dans sa Porsche Cayenne. Pourquoi cette allusion à ma bagnole ? Est-ce parce que le Chinois ou Olivier Suray roulaient dans un véhicule du même type que la remarque est soudain pertinente ? L’année passée, j’ai roulé durant toute la saison avec cette même voiture et jamais je n’ai lu la moindre ligne à ce propos. Alors, pourquoi maintenant ? Dans ces conditions, c’est vrai, je préférerais refermer la parenthèse. Même si, dans l’ensemble, je garderai quand même de bons souvenirs du football belge.

 » Englebert, c’est l’intelligence en mouvement  »

Que vous inspire-t-il ?

Il a son charme, en ce sens que tout le monde peut battre absolument tout le monde. Mais ce qui me botte le plus, c’est la Bundesliga. Si le FC Metz ne m’avait pas mis de bâtons dans les roues en m’accordant ma liberté plus tôt l’été passé, c’est à Hanovre ou à Nuremberg que j’aurais rebondi.

Quels sont les joueurs qui vous ont marqué ici ?

Sergio Conceiçao, en qui je me reconnais un peu ( il rit). Pour le reste, je vais peut-être vous surprendre : Gaëtan Englebert. J’ai voté pour lui, en tout cas, au Footballeur Pro la saison passée. Il est de loin le footballeur le plus sous-estimé en Belgique. A mes yeux, c’est l’intelligence en mouvement.

Et Vincent Kompany ?

Bon joueur. Très bon joueur même. Taillé sur mesure pour une équipe comme Lyon. Mais au PSG ou à l’OM, il ne s’extirperait pas de la masse, j’en suis persuadé. Pour lui, il s’agira de bien choisir le club où il poursuivra sa carrière car il n’est pas un joueur passe-partout, loin s’en faut. Mais qui peut se targuer de l’être ? Je n’en vois qu’un : David Trezeguet. Celui-là, quel que soit le contexte, il marquera toujours des buts.

Sauf en Equipe de France.

Vous avez raison. Appelons ça l’exception qui confirme la règle ( il rit)…

BRUNO GOVERS

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