Un lodge de pêche en 2013
Trois clubs en 15 ans de carrière : Giorgio était le gentleman-clubman.
G eorges Grün : une gueule, une classe hors du commun, une personnalité. Une carrière phénoménale, aussi. Et un joli palmarès. Un parcours en quatre actes, parallèlement à une superbe trajectoire avec les Diables Rouges. Un quart de siècle dans le foot, dont 15 saisons en D1 belge et italienne. Aujourd’hui, son univers, c’est la télé, sur Club RTL. En attendant un retour sur les pelouses, comme entraîneur ? Giorgio en parle, mais on sent que la flamme est faible. Sa vie au c£ur des stades, voici ce qu’il en retient.
Anderlecht I
Georges Grün : » Le foot professionnel, je n’en avais jamais rêvé. Sur l’ensemble de ma jeunesse, je n’ai assisté qu’à un seul match de l’équipe Première d’Anderlecht. Et je n’avais pas d’idoles, pas de posters. J’ai fait partie de la meilleure équipe de ma catégorie d’âge jusqu’en Juniors. Là, je suis passé des UEFA à la troisième équipe à cause de problèmes de croissance. J’avais pris une quinzaine de centimètres en un an et je suis devenu un joueur très frêle, insuffisant pour jouer à ce niveau. J’ai voulu arrêter mais mon père m’en a dissuadé. A ce moment-là, en tout cas, j’imaginais, au mieux, mon avenir en D2.
Quand Anderlecht m’a proposé un contrat pro, j’ai sauté sur l’occasion. Je venais de terminer mes humanités et je me posais pas mal de questions : entreprendre des études supérieures ou chercher du boulot. Je me suis alors dit que j’allais consentir tous les sacrifices pour réussir dans le football. La sauce a vite pris. Aujourd’hui, je me revois en Vincent Kompany. La première fois que je l’ai vu jouer, je me suis dit : -Il a vraiment quelque chose en plus… comme moi à mes débuts en équipe Première. La même facilité, la même élégance, la même façon de montrer qu’il n’a peur de rien, la même solidité mentale et la tête bien sur les épaules. J’avais aussi des qualités que beaucoup de défenseurs ne possèdent pas. Grâce à ma formation, j’avais joué à la fois médian et attaquant. Ma bonne condition physique me permettait de pistonner sur tout le flanc droit. C’est à ce poste û et de loin û que j’étais le plus à l’aise, même si on m’a régulièrement fait jouer ailleurs. Sur le flanc, je n’avais jamais de problèmes de placement, alors que je souffrais pour bien me positionner comme stoppeur ou libero.
On parlait beaucoup de mon jeu de tête, mais j’estime que ce n’était pas un de mes points forts. J’ai d’ailleurs marqué la plupart de mes buts du pied, alors que les défenseurs ont l’habitude de frapper du front, sur les phases arrêtées. J’avais un bon jeu de tête défensif, sur les dégagements du gardien adverse notamment, mais je ne possédais pas un bon timing sur les phases offensives. Mon but à Rotterdam qui a permis aux Diables d’aller à la Coupe du Monde 86, ce n’était pour moi que l’exception qui confirmait la règle. Ce but était si important et il a été tellement médiatisé qu’on m’a considéré comme un défenseur redoutable de la tête. A tort.
On évoquait souvent mon physique, mon look. Moi, j’insisterais plutôt sur une autre qualité : je savais me tenir. C’est important quand on exerce un métier public. Vous devez être conscient que beaucoup de monde vous regarde. Etre présentable devant une caméra, vous exprimer correctement. J’ai eu la chance de grandir dans une famille où il y avait trois institutrices. J’ai terminé mes humanités et j’ai reçu une bonne éducation. Et, à la maison, on parlait d’autres choses que de football. Donc, j’avais plus de facilités que pas mal d’autres joueurs. Il y en a beaucoup qui proviennent d’un milieu pas très favorisé, et ils ne tiennent pas la distance quand ils se retrouvent subitement face à un micro. L’Italie est différente de la Belgique sur ce plan-là. Là-bas, les gens aiment parler, les jeunes se retrouvent souvent pour bavarder sur une petite place, autour d’une glace. Ils perfectionnent leur élocution, et quand un footballeur italien est appelé à l’interview, il ne perd jamais ses moyens.
On parlait de mon aspect physique, mais aussi d’une certaine nonchalance. Là, je ne suis pas d’accord. Je donnais tout pour mon métier, je me suis toujours entraîné à 100 %, je ne sortais pas, je me soignais. Mais, une fois en dehors du stade, le foot ne m’intéressait plus du tout. Je ne regardais jamais un match à la télé ! »
Parme
» Les quatre plus belles années de ma carrière. Et mon plus beau moment comme joueur de club, avec la victoire contre l’Antwerp, à Wembley, en finale de la Coupe des Coupes. Et pourtant, j’ai failli ne jamais connaître ce club. En 1990, j’étais arrivé en fin de contrat à Anderlecht. Le PSG me voulait et son président, Francis Borelli, était venu me voir à Vérone pendant la Coupe du Monde. Entre nous, tout était réglé et je me réjouissais de travailler dans une ville comme Paris. Mais c’était avant l’arrêt Bosman et Anderlecht est resté intransigeant sur la somme de transfert : 90 millions de francs, pas un centime de moins. Pour le PSG, c’était trop. Je suis parti en vacances en pensant devoir resigner à Anderlecht. Jusqu’au jour où j’ai reçu un coup de fil d’un manager israélien que je ne connaissais ni d’Eve, ni d’Adam. Il m’a parlé de l’Italie et j’ai dû patienter trois jours avant qu’il ne m’avoue que le club intéressé était Parme.
Là-bas, j’ai compris ce qu’était le professionnalisme. J’ai débarqué dans un autre monde et je me suis adapté. Oui, parce qu’il faut s’adapter à l’environnement dans lequel on atterrit. Vous voulez mon avis sur Mons et Sergio Brio ? Ça ne peut pas marcher parce qu’il veut imposer les méthodes du Calcio dans un club qui était encore en D3 il y a quatre ans, à des joueurs qui n’ont jamais connu le haut niveau. Vous avez beau leur dire que ça se passe comme ça en Italie : s’ils n’y ont jamais joué, ils ne le croient pas, ils pensent qu’on leur raconte des salades. Moi non plus, je ne connaissais rien du Calcio avant d’aller à Parme. Brio doit s’adapter à la mentalité des footballeurs belges, et pas l’inverse. Il doit y aller progressivement. Vouloir faire passer un club du noir au blanc, du jour au lendemain, c’est courir à l’échec « .
Anderlecht II
» Mon retour dans le club de mes débuts a été la plus grosse erreur de ma carrière. Je ne vais pas essayer de faire croire n’importe quoi : je n’étais plus le Georges Grün de Parme. Mais j’avais des circonstances atténuantes. J’avais travaillé comme un malade pendant toute la saison précédente pour me remettre d’une opération au genou. J’étais passé sur le billard en novembre et je n’étais revenu dans l’équipe de Parme qu’en avril. Juste à temps pour la Coupe du Monde aux Etats-Unis. Ce Mondial avait été une carotte extraordinaire pendant toute ma rééducation. Mais je me suis de nouveau blessé là-bas et j’y ai joué avec un tendon d’Achille en piteux état. Je mordais sur ma chique. Dès les premiers entraînements à Anderlecht, j’ai compris qu’il ne servait plus à rien d’insister : je devais me faire opérer. Nous avons été champions mais, sur un plan purement individuel, je ne pouvais pas être content de ma saison. La deuxième année ne s’est pas beaucoup mieux passée. Je courais de moins en moins vite, ma vitesse de réaction diminuait. Ça me faisait ch… Je me sentais coupable mais je ne savais rien faire. Je comprenais en tout cas la déception d’une partie de la direction. On attendait énormément de moi mais je ne pouvais guère aider l’équipe.
Ce n’était toutefois pas une raison suffisante pour m’attaquer comme on l’a fait. Michel Verschueren a déclaré dans la presse que j’étais revenu d’Italie avec mes pantoufles. Je ne l’ai jamais avalé. Moi qui pensais être considéré dans ce club… J’avais signé pour trois ans mais, après deux saisons, on m’a jeté dehors. On n’a pas le droit de faire ça à un enfant de la maison. Les déclarations de Verschueren ont effacé tous mes bons souvenirs anderlechtois. Je l’ai revu plusieurs fois depuis ces événements quand j’allais aux matches d’Anderlecht pour Canal +. On se disait bonjour et au revoir, mais ça ne va pas plus loin.
Je n’étais pas revenu à Anderlecht par obligation. Parme m’avait proposé de prolonger. Mais il y avait des raisons familiales : un enfant qui allait entrer à l’école primaire, un certain manque, l’envie de retrouver mes racines, d’être chez moi. J’ai fait primer ces aspects-là : ce fut une erreur. A Parme, on aurait compris et accepté mes problèmes physiques après deux grosses opérations. On aurait aussi tenu compte de mon âge ; ce ne fut pas le cas à Anderlecht.
Je ne suis pas le seul à m’être planté lors d’un retour en Belgique après une belle carrière à l’étranger. Ce n’est pas un hasard. Quand un grand joueur revient, on croit automatiquement qu’il va résoudre tous les problèmes, diriger l’équipe. Les attentes de la direction et des supporters sont terribles alors que, du côté du joueur, l’envie n’est plus la même, et le niveau non plus. Sans parler de la difficulté de rejouer dans des stades où il y a 3.000 spectateurs, après avoir évolué devant 20 fois plus de monde « .
Reggiana
» Mon plus mauvais souvenir sportif. Quelques nuls, beaucoup de défaites, plusieurs petites blessures, Mircea Lucescu viré en cours de saison, un club très mal géré, et finalement la chute en D2 : je ne peux pas dire que j’aie clôturé sur une bonne note. Mais je ne regrette quand même pas ce bref retour en Italie « .
Diables Rouges
» J’ai eu le mérite de saisir ma chance, de profiter des malheurs d’un concurrent. J’ai été repêché à la dernière minute pour l’EURO 84 parce que Michel Renquin n’avait pas été libéré par son club. A ce moment-là, je n’avais pas encore porté une seule fois le maillot des Diables. Je n’avais même jamais été convoqué en équipes d’âge. Non, pas une seule fois. Je ne savais pas à quoi ressemblaient les vestiaires du Heysel. Et je me suis retrouvé titulaire pour le premier match de l’EURO en France, contre une Yougoslavie géniale. En plus, j’ai marqué ce jour-là, sur un assist d’un joueur qui fêtait sa deuxième sélection : Enzo Scifo. La presse française s’est ruée sur nous. La Belgique s’était découvert un défenseur d’avenir : Georges Grain. Comme s’ils ne connaissaient pas le tréma sur le u… J’étais vexé chaque fois que j’entendais mon nom prononcé comme ça.
Le fameux but de Rotterdam a eu des répercussions énormes. Médiatiques, sportives, financières. Mais moi, qu’est-ce que j’en ai retiré ? Il m’a permis de me faire connaître dans toute l’Europe mais pas d’obtenir un meilleur contrat à Anderlecht. Leo Beenhakker, le coach des Pays-Bas, a pu retourner au Real après cette défaite. Alors que je suis resté au Parc Astrid.
J’ai disputé trois Coupes du Monde et, si je dois en sortir une du lot, je prends directement celle de 1990. C’est la meilleure génération avec laquelle j’ai joué. Nous avions été bons dès le début du tournoi. La Belgique gagnait, mais en plus, la Belgique jouait bien. Ce n’était pas le cas lors des premiers matches au Mexique. Le premier tour avait été pénible et l’ambiance n’était pas bonne. Les résultats cachaient en fait les réalités du groupe. Notre dernier match amical, quelques jours avant l’ouverture du Mondial, avait dégénéré en bagarre et produit des effets négatifs sur l’ambiance dans notre noyau. Ensuite, il y a eu les incidents avec René Vandereycken et Erwin Vandenbergh, qui ont quitté l’hôtel en plein tournoi. Leurs problèmes ont rejailli sur tout le groupe. Il a fallu la victoire contre l’URSS pour enflammer tout le bazar. L’atmosphère a changé du tout au tout, mais ce match, on aurait pu le rejouer dix fois et on ne l’aurait peut-être pas gagné une seule fois !
Le Mondial aux Etats-Unis me laisse un souvenir mitigé. J’étais titulaire, mais j’y ai laissé trois ou quatre années de ma carrière. Cette fournaise, c’était la folie. Plusieurs Diables ont raté la saison qui a suivi : ce n’était pas un hasard. A 32 ans, mon corps n’a pas encaissé des efforts pareils. On a longtemps épilogué sur mon absence dans le match contre l’Arabie Saoudite. Mais je maintiens que j’avais eu raison de ne pas jouer, vu que j’avais déjà une carte jaune et que nous étions sûrs de la qualification. Ce n’est pas moi, sous la menace d’une deuxième carte et donc d’une suspension pour le huitième de finale, qui aurais arrêté SaeedAl Owairan. Celui-là, il a marqué le goal de sa vie sur son raid… Il y a eu ensuite ce penalty non sifflé sur Josip Weber contre l’Allemagne, mais il faut être honnête : nous ne méritions pas de gagner ce match. Autant nous pouvions être déçus après le but de David Platt en 1990, autant il n’y avait rien à redire contre l’Allemagne. Le blues de Weber ? Bah, il se lamentait sans arrêt, il se sentait persécuté. Ce n’est pas un mauvais garçon, mais il a un caractère très particulier. Tout l’inverse de Marc Wilmots, qui râlait parce qu’il ne jouait pas. C’est l’eau et le feu. Autant Weber était renfermé, autant Wilmots disait tout ce qu’il pensait.
Je me suis arrêté à 77 caps. J’aurais sûrement dépassé la centaine si je n’avais pas été confronté à un monstre sacré comme Eric Gerets. C’est la vie. Je l’accepte aujourd’hui, mais je ne le digérais pas à l’époque. Chaque fois que je le remplaçais, je m’en tirais bien. Mais Guy Thys le remettait dans l’équipe dès qu’il était rétabli et je n’arrivais pas à le comprendre. Je ressentais une envie de révolte. Thys m’expliquait que Gerets était son joueur, son capitaine, son meneur d’hommes, mais la pilule ne passait pas « .
Et demain ?
» Mon boulot sur Club RTL me plaît à fond. Mais j’ai d’autres projets en vue. Entraîner ? Pas tout de suite. La fin de ma carrière est encore trop récente : on me considérerait encore trop comme un joueur, et je me verrais aussi comme un footballeur qui vient juste d’arrêter. Non, il faut d’abord prendre du recul, histoire d’asseoir son autorité auprès du groupe. Les joueurs sentent directement si, quelques années plus tôt, vous exerciez encore le même métier qu’eux. Et ils vous respectent moins qu’un coach plus âgé. A Charleroi, Scifo était confronté à une mission impossible car en plus, on lui demandait de diriger du jour au lendemain des gars avec lesquels il avait joué. Il m’a proposé de devenir son adjoint mais ça n’a pas pu se faire. Commencer comme assistant, c’est la bonne solution à mes yeux. J’ai postulé à la fédération quand Aimé Anthuenis a repris les Diables. Malheureusement, il avait déjà des vues sur Eddy Snelders. Aujourd’hui, je ne suis plus sûr de me lancer un jour dans le métier d’entraîneur. Parce qu’il faut penser au foot du matin au soir et du soir au matin : très peu pour moi. Mais surtout, j’ai d’autres choses en tête. J’espère que, d’ici dix ans, je me serai installé à l’autre bout du monde. Je rêve de gérer un lodge de pêche à la mouche le long d’une lagune. Je suis déjà allé pêcher à Cuba, aux Seychelles, en Guinée-Bissau. Je voudrais monter une structure quelque part et y passer la saison de pêche, six ou sept mois par an. En saison creuse, je reviendrais en Belgique « .
Pierre Danvoye
» Les insinuations de Michel Verschueren effacent tous mes bons souvenirs anderlechtois »
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