Un joli bas de laine

Sans leur attaquant franco-sénégalais, parti en D2 allemande, les Hurlus devront-ils revoir leurs ambitions à la baisse ?

Au début août, la conférence de presse de présentation de CarlosCoto avait débuté avec une heure de retard. En cause : le président PhilippeDufermont et le directeur sportif GilVandenbrouck avaient négocié la prolongation de contrat d’ AdnanCustovic et de DembaBa. C’est tout fiers qu’ils annoncèrent que les deux attaquants étaient respectivement liés à l’Excelsior Mouscron jusqu’en 2011 et 2010. Mais on sait qu’en football, les contrats ne signifient plus grand-chose. La semaine dernière, le Franco-Sénégalais a quitté le Canonnier et a pris la direction de Hoffenheim, un club récemment promu en 2e Bundesliga allemande.

Pourquoi part-il ?

Le joueur, inconnu à son arrivée en Belgique, n’a pas tardé à s’illustrer sur nos pelouses et n’a jamais caché que la Ligue Jupiler ne devait être qu’une étape dans sa carrière. Il rêvait de l’Allemagne ou de l’Angleterre, de préférence en D1 bien sûr, mais pourquoi pas un échelon plus bas si le club en question pouvait représenter un tremplin. Il était éventuellement disposé à rester une saison supplémentaire à Mouscron, le cas échéant, mais on sentait dans ses propos qu’une certaine impatience le guettait.

Dufermont, le nouveau président des Hurlus, est un homme ambitieux sur le plan sportif, mais il demeure avant tout un homme d’affaires. Parti de rien, il a fait fortune en Espagne, et au fur et à mesure qu’il gravissait les échelons, il a appris qu’en matière de commerce, il fallait surtout vendre et acheter au moment opportun. 3 millions d’euros, plus 20 % lors d’une revente ultérieure, c’est difficile à refuser pour un club comme Mouscron, même si les finances ont été assainies. Cela représente près de la moitié du budget annuel. La vente de Ba permettra donc sans doute de stabiliser définitivement le club au niveau financier et, peut-être, d’investir dans d’autres joueurs ou d’autres projets. A Gand, on n’avait pas raisonné autrement lorsque le Zenit Saint-Pétersbourg a proposé 4 millions pour NicolasLombaerts.

 » C’est exact, mais l’argent n’a pas représenté notre motivation première « , assure BenoîtRoul, le bras droit de Dufermont.  » Financièrement, on n’était pas du tout obligé de vendre. On a, certes, reçu une offre intéressante mais pas exceptionnelle « . Si les chiffres cités dans le passé sont exacts, Ba devrait pourtant représenter le plus gros transfert sortant de l’histoire de l’Excelsior.  » Le deuxième, en réalité « , corrige Roul.  » Car, à ma connaissance, la vente de NenadJestrovic avait rapporte 3,75 millions. Ce qui a surtout orienté la décision, c’est l’avis du joueur. Lors des discussions qu’on a eues avec Ba, on a constaté qu’il avait vraiment envie de partir. Les ambitions affichées par Hoffenheim l’ont séduit et il était excité à l’idée de tenter l’aventure. Ces derniers jours, on a bien senti qu’il avait déjà l’esprit ailleurs. On s’est alors demandé ce qui était préférable : le retenir contre son gré, avec le risque qu’il devienne ingérable dans les semaines à venir et que sa mauvaise humeur déteigne sur ses partenaires, ou le vendre. On a opté pour la deuxième solution « .

Faudra-t-il réévaluer les objectifs ?

La saison dernière, une fracture tibia/péroné a tenu Ba éloigné des terrains pendant six mois. Elle avait eu le don de couper net l’élan de l’Excelsior, qui avait démarré le championnat en trombe avec un 6 sur 6. Le système de jeu en 4-3-3, qui avait fait fureur dans les deux premiers matches, a dû être revu du jour au lendemain, et on a mis du temps pour trouver une solution. Custovic s’est finalement révélé en trouvant le chemin des filets à 18 reprises, mais BertinTomou a vu son rendement fortement affecté par la perte de son coéquipier. On lui a demandé d’évoluer dans un registre qui ne lui convenait pas : dribbler, forcer l’exploit tout seul, ce n’est pas dans ses compétences. Critiqué, il a perdu confiance.

Tomou se remettra-t-il mieux, cette saison, du départ de Ba ?  » On ne peut nier que, lorsqu’il était sur le terrain, Demba apportait toujours quelque chose « , reconnaît Bertin.  » Son départ est une perte sur le plan sportif « . Mais la perte se révélera sans doute moins catastrophique que la saison dernière. Car des solutions existent. MickaëlNiçoise a livré une excellente prestation contre Mons, sur le flanc gauche, dans le rôle qui aurait été dévolu à Ba. La difficulté, dans son chef, semble être de se remettre en question et de rééditer ce genre de performance chaque semaine, mais s’il y parvient, Niçoise peut apporter beaucoup.  » Il y parviendra car, s’il est vrai que Mickaël avait parfois tendance à s’endormir sur ses lauriers, il faut utiliser le passé à son sujet « , assure Roul.  » Il a eu une discussion avec le président et l’entraîneur l’a pris en mains. C’est un autre homme que l’on a découvert « .

Il y a aussi AliouneKebe, qui se remet actuellement d’une blessure et qui, dans les matches amicaux, avait surtout été utilisé sur le flanc. Sans oublier le jeune Français Alexis Allart, qui n’a pas encore eu l’occasion de démontrer ses qualités. Et puis, surtout, il y a le petit prodige espagnol Coto. En deux brèves apparitions, il a déjà séduit tout le monde, et a tout pour remplacer Ba dans le c£ur des supporters mouscronnois. Lui aussi est un joueur de flanc, droit ou gauche. Il adore provoquer ses adversaires, dribbler et déborder. Bref, Brys pourra conserver son système en 4-3-3 sans risquer de diminuer le rendement de Tomou.  » Vous avez constaté, comme moi, que Ba n’a pas pris une part très active dans le bon début de saison de l’Excelsior. On a pu se débrouiller sans lui et je ne vois pas pourquoi on ne serait plus capable de le faire dans les mois à venir. Je demeure donc optimiste et ambitieux « .

Effectivement, Ba n’a participé qu’à deux des quatre premiers matches de championnat, dont un seul comme titulaire. Il était suspendu pour la venue de Gand, a déclaré forfait en dernière minute contre Mons et était réserviste à Westerlo. Il n’a joué 90 minutes qu’à Saint-Trond, sans trouver le chemin des filets. Sans affirmer que Ba était devenu excédentaire, il n’avait pas pris une part prépondérante dans les succès. Son départ est peut-être un mal pour un bien, car il permettra à Brys d’offrir davantage de temps de jeu à Coto. Actuellement, l’Espagnol ne tient, semble-t-il, pas encore la distance sur 90 minutes, mais cela viendra. Et, dans ce cas, on le voit mal se contenter d’un rôle de joker jusqu’au terme de la saison.

Si l’on avait besoin d’une nouvelle preuve des ambitions intactes de Dufermont : le président a conclu le transfert de deux nouveaux joueurs espagnols, MiguelPalencia du Real Madrid et JacoboYnclan de l’Atletico Madrid, tous deux âgés de 23 ans. Le premier est l’arrière droit tant recherché, le second est un attaquant gauche. C’est donc lui qui remplacera numériquement Ba dans l’effectif.

Quel est ce club de Hoffenheim ?

Hoffenheim suit visiblement le championnat de Belgique de près, et semblait particulièrement intéressé par l’acquisition d’un flanc gauche à vocation offensive puisque durant l’été, il s’était déjà intéressé à ChristopheGrégoire. Le flanc gauche de Gand fut également sollicité par d’autres clubs allemands (de 1ère Bundesliga ceux-là) comme Bielefeld ou Dortmund mais avait refusé la proposition, car il n’avait pas envie de jouer à l’étage inférieur.

Fondé en 1899, mais rebaptisé en 2005, Hoffenheim (situé dans le sud-ouest de l’Allemagne, entre Francfort et Stuttgart) vient de monter dans l’antichambre du football allemand. Son stade est minuscule, si l’on s’en réfère aux normes habituelles en vigueur outre-Rhin : 6.700 places à peine, dont 3.000 assises. Mais c’est un club ambitieux, sous la houlette de son président JochenRotthaus, qui n’a pris qu’un point sur neuf lors de ses trois premiers matches : un partage 0-0 au Borussia Mönchengladbach. Son entraîneur RalfRangnick, 49 ans, a entraîné le VfB Stuttgart (1999 à 2001), Hanovre (2001 à 2004) et Schalke 04 (2004-2005). Il entraîne Hoffenheim depuis 2006.

 » Je n’ai pas eu l’occasion de côtoyer Rangnick à Schalke 04, mais je sais qu’il a un grand passé en Bundesliga où on le surnommait Le Professeur « , explique Marc Wilmots.  » Il a choisi de relever un défi, en prenant en charge un club ambitieux de Regionalliga (la D3) avec pour objectif de monter en D1 dans les trois ou quatre ans. La première étape a été franchie, puisque l’équipe se retrouve en D2, mais la suivante sera sans doute plus ardue. Huit formations, au moins, aspirent à la montée et ce ne sera pas facile de s’extraire de l’antichambre.

Je ne connais pas grand-chose de Hoffenheim, sinon que son président est milliardaire et ambitieux. Pour donner un exemple : lors de la Coupe du Monde 2006, Jurgen Klinsmann avait voulu engager un entraîneur de hockey pour la préparation mentale. Cela lui avait été refusé par la fédération allemande. Cet entraîneur de hockey, qui a quand même été champion du monde avec l’Allemagne, est parti à Hoffenheim. Rotthaus a un grand projet sportif et a les moyens de ses ambitions. L’argent n’est pas un problème, il peut offrir des salaires supérieurs à ceux de certains clubs de Bundesliga. Je ne dirais pas que c’est l’équivalent allemand de RomanAbramovich, mais presque. Je comprends que Ba, avec un contrat de quatre ans en poche et un projet sportif en tête, se soit laissé séduire « .

Qui est Demba Ba ?

Français d’origine sénégalaise, Ba – issu d’une famille de sept enfants : cinq garçons et deux filles – a surtout développé ses qualités en jouant au football dans la rue. Il n’a jamais fréquenté de centre de formation. Au Sénégal, son père vivait de la pêche et a émigré en France pour travailler dans une usine de construction automobile. Il y a été victime d’un accident du travail qui l’a rendu invalide, mais a malgré tout veillé à ce que ses enfants puissent faire des études. Demba, qui a progressivement pris conscience de ses qualités de footballeur, a longtemps erré à la recherche d’un club. Son ami et conseiller, AlexGontrand, s’est démené pour lui permettre de participer à des essais à gauche et à droite. Mais, à l’exception d’un bref passage à Watford, il n’a évolué que dans des clubs amateurs.

Avant de venir à Mouscron, il jouait à Rouen, club au passé glorieux mais désormais relégué en CFA. StéphanePauwels l’avait repéré alors qu’il officiait comme recruteur pour Metz, mais le club lorrain n’a pas osé prendre le risque de l’engager. Pauwels a alors soufflé son nom à ses amis en Belgique : Albert Cartier, Vandenbrouck… Le coach du Brussels a malheureusement perdu son père à ce moment-là et n’a pas pu s’occuper du dossier. C’est donc Mouscron qui a fait la bonne affaire.

On regrettera que Demba Ba, une véritable trouvaille, n’ait pu faire bouillir le Canonnier que durant quelques mois. Il avait explosé dès les premiers matches, mais s’était occasionné une fracture tibia/péroné face à Roulers, lors de la 3e journée, après avoir trouvé une première fois le chemin des filets. Il était revenu au printemps, pas encore en pleine possession de ses moyens, mais avait tout de même réussi à ajouter sept autres buts à son compteur en autant de rencontres. Au rapport nombre de buts inscrits/nombre de minutes jouées, Ba trône sans doute largement en tête du classement. On aurait aimé voir ce qu’aurait pu réaliser Mouscron en disposant de Ba durant une saison entière. On ne le saura jamais.

Timide mais reconnaissant

Durant ses 14 mois au Canonnier, Ba a malheureusement fréquenté plus souvent l’infirmerie que la pelouse. Le kiné ChristopheSoyez l’a souvent eu entre ses mains et a appris à le connaître.  » C’est un joueur qui m’est apparu très professionnel pour son jeune âge « , affirme-t-il  » Après tout ce qu’il a enduré, beaucoup auraient baissé les bras. Lui pas, au contraire : il a travaillé d’arrache-pied pour revenir. On n’a jamais dû lui répéter ce qu’il devait faire, il le faisait de lui-même. C’est aussi un garçon qui témoigne d’un grand respect envers ceux qui ont collaboré avec lui ou qui l’ont aidé. Je n’ai jamais entendu la moindre critique dans sa bouche. Il est aussi très reconnaissant : dans toutes ses déclarations, il a mentionné le fait que l’Excelsior l’avait lancé. Pendant les mois où je l’ai soigné, j’ai eu l’occasion de nouer des relations privilégiées avec lui. Il m’a parlé d’aspects un peu plus intimes de sa vie, comme le fait qu’il va devenir papa dans deux mois. Peu de gens le savaient, car c’est un garçon qui aime garder un jardin secret. Il n’en donne pas l’impression sur le terrain, mais il est timide et ne se confie pas volontiers. Il n’oublie pas facilement non plus. Je ne dirai pas qu’il est rancunier, mais lorsque quelqu’un lui a fait du mal, il s’en souvient. Physiquement, il avait retrouvé toutes ses facultés. Contre Mons, c’est le staff médical qui lui avait conseillé de s’abstenir, car sa contracture risquait de se transformer en déchirure s’il jouait, mais ce n’était pas une conséquence de sa fracture de la saison dernière. Quatre jours plus tard, il est parti à Londres où l’équipe nationale sénégalaise affrontait le Ghana. En principe, il devait uniquement se faire examiner par le médecin de la fédération, mais il a malgré tout joué un quart d’heure. Certains disent qu’il avait déjà la tête ailleurs ces derniers jours : je n’irai pas jusque-là. Sans doute, était-il un peu perturbé par tout ce qu’on lui a laissé miroiter. Lorsqu’on sait d’où il vient, c’est logique. Il a grandi dans les banlieues, n’a pas toujours eu la vie facile et a appris à ses dépens qu’un accident est vite arrivé. Alors, lorsqu’il a vu les chiffres qu’on lui proposait sur quatre ans, il n’a pas pu résister. Je sais qu’on restera en contact. Je voudrais d’ailleurs le remercier pour la correction dont il a toujours témoigné. J’ai déjà soigné beaucoup de joueurs, mais tous ne se montrent pas aussi reconnaissants « .

par daniel devos

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