Un inventaire qualitatif

L’ancien directeur sportif du Club Bruges se recycle dans le journalisme télévisuel et nous livre ses impressions à l’aube du deuxième tour de championnat.

Voilà un an, environ, que Marc Degryse a présenté sa démission comme directeur sportif du Club Bruges : une fonction qu’il avait occupée durant trois ans et demi. C’était le 28 janvier 2007, une date qu’il n’a pas oubliée. Depuis, il s’était muré derrière le silence. Un peu comme Enzo Scifo, mais pour d’autres raisons, il a longtemps refusé toute interview. A l’inverse du nouvel entraîneur de Mouscron, il n’a pas encore retrouvé du boulot dans un club, mais il a également renoué le contact avec la presse. Il parlera même beaucoup, puisque la chaîne publique flamande VRT l’a engagé comme consultant pour les matches de Coupe de Belgique. Le derby brugeois entre le Cercle et le Club lui offrira déjà une belle tribune. D’ici là, il nous livre ses prévisions pour 2008 sur un plan plus général, tout en refermant le livre d’une année 2007 qu’il souhaite sans doute oublier au plus vite.

Le passage à l’an neuf a donc marqué, pour vous, la fin d’une année 2007 très difficile ?

Marc Degryse : C’est surtout le mois de janvier qui fut difficile. Après cela, je n’ai plus dû prendre de décision délicate. J’ai pu me consacrer à ma famille, j’ai un peu voyagé pour mon plaisir. Rien que du bon temps, en fait. Mais j’ai effectivement dû digérer une énorme déception sur le plan professionnel. Même si l’on essaie de penser à autre chose, ce n’est pas évident. Dans un premier temps, le football ne m’a pas trop manqué. Mais après six mois, l’envie de revenir dans le milieu m’a repris. Seulement, je ne me suis pas encore vu proposer un job qui me plairait vraiment. Je suis ouvert à tout, pour autant que cela touche au football, mais je ne suis pas trop tenté par le métier d’entraîneur : trop lié aux résultats, selon moi. Je n’ai d’ailleurs pas mon diplôme.

Un duel Bruges-Standard ?

Vous attendez-vous à un duel entre Bruges et le Standard pour le titre ? Et si oui, quels sont les atouts des uns et des autres ?

Bruges peut compter sur son expérience et le Standard sur l’enthousiasme de sa jeunesse. Lors de la finale de la Coupe de Belgique, l’expérience de Bruges avait fait la différence. Il y a tout ce vécu qui influence les réactions. Lorsque cela va un peu moins bien, on trouve des solutions parce qu’on a déjà été confronté à ce genre de scénario. Parallèlement, on ne s’excite pas lorsque tout va bien. Lorsqu’on a une jeune équipe, tout est neuf. En championnat, les différences n’ont pas encore été marquées sur ce plan-là, mais qu’adviendra-t-il en vue de la ligne d’arrivée ? Le Standard attend un titre depuis 25 ans et il faudra voir quel aspect l’emportera : la motivation ou la peur de gagner ?

Au niveau du jeu, avantage Standard ?

Bruges n’a pas encore produit un jeu brillant, mais a pris beaucoup de points. S’il parvient à joindre le spectacle à l’efficacité, ce sera parfait. Peut-être faudrait-il une ou deux victoires plus nette dans les chiffres pour libérer les joueurs ?

Le Standard, en contrepartie, a produit un jeu très agréable, peut-être le plus agréable du championnat avec le Cercle de Bruges. Les longs ballons sont devenus rares, le jeu est plus posé et mieux construit. Mais bien jouer n’est pas tout. Le but ultime reste la victoire. Ce qui m’étonne le plus, c’est qu’avec son brevet d’invincibilité et le jeu qu’il produit, le Standard ne trône pas en tête du classement.

Anderlecht peut-il revenir ?

Anderlecht est-il définitivement largué, selon vous ?

13 points, c’est un écart conséquent. En outre, Anderlecht n’est pas seulement distancié par Bruges, mais également par d’autres équipes. On ne peut pas imaginer qu’elles craquent toutes en même temps. Mais on ne sait jamais : tout peut parfois aller très vite. Et si le Sporting ne conquiert pas son 30e titre, la deuxième place peut être très importante également, puisqu’elle offre un accès à la Ligue des Champions.

Avez-vous des explications au premier tour laborieux du Sporting ?

Les blessures, la méforme de certains joueurs importants mais aussi le départ de Mémé Tchité et les lacunes constatées dans la construction du jeu depuis l’arrière.

Pour corriger le tir, Anderlecht se tourne à nouveau vers le marché belge. La politique argentine a-t-elle montré ses limites ?

Je ne le pense pas. Anderlecht s’est tissé un réseau de relations en Amérique du Sud et le réservoir n’est certainement pas épuisé. Mais Anderlecht ne peut pas attirer dix Argentins, de la même manière que Beveren avait attiré, jadis, dix Ivoiriens. Il faut aussi conserver une touche belge et c’est sans doute ce à quoi le Sporting s’attache actuellement. Mais là aussi, il y aura des limites : actuellement, c’est difficile de jouer le top avec 11 joueurs belges. D’autant que les meilleurs partent très tôt à l’étranger.

A l’image de Vadis Odjidja. Aurait-il dû recevoir sa chance plus tôt ?

Je suis mal placé pour en juger, car je ne le connais pas suffisamment. Lui-même estime que oui, et ses récentes apparitions ont effectivement démontré un certain talent. Son départ est regrettable pour le Sporting, mais aujourd’hui, aucun club belge n’est plus à l’abri de ce genre de déconvenue.

Déceptions et révélations

Après Anderlecht, Genk est l’autre déception ?

La saison dernière, c’était la révélation. Le Racing avait peut-être joué en surrégime. De ce fait, l’attente était très élevée cette saison. Peut-être trop élevée. Ivan Bosnjak, de retour de blessure, n’a pas encore retrouvé son meilleur niveau et c’est logique après une aussi longue absence. Mais Genk devrait être meilleur au deuxième tour.

Gand a alterné le bon et le moins bon ?

A côté de très bonnes prestations, La Gantoise a enregistré quelques couacs étonnants, comme le 4-1 au Cercle et le 2-4 contre Dender. Je pense que ces contre-performances seront plus rares au deuxième tour, car Trond Sollied aura davantage imprimé sa griffe. Avec l’entraîneur norvégien, tout est question d’automatismes.

Jusqu’où les deux révélations que sont le Cercle et le Germinal Beerschot peuvent-elles aller ?

J’entends souvent dire que ces équipes ne tiendront pas la distance, mais je n’en suis pas si sûr. Surtout dans le chef du Cercle. Le jeu de position est excellent et on fait la part belle à la technique. Le jeu est très fluide, tout… tourne rond, si je peux me permettre. Ce qui pourrait rompre le bel équilibre, ce sont des blessures ou le départ d’un élément important durant le mercato. Car, jusqu’à présent, le Cercle a presque toujours joué avec le même 11 de base.

Le Germinal Beerschot vient de réaliser une série impressionnante de huit victoires d’affilée, après un début de saison laborieux. Mais le GB a démontré, par ce fait, que le résultat conditionne tout. Car, en début de saison, l’équipe ne jouait pas mal. Elle jouait même parfois mieux que durant les deux derniers mois, où elle a tout gagné.

Les entraîneurs

Glen De Boeck est la révélation dans la corporation ?

En fait, pour un jeune entraîneur, c’est comme pour un jeune joueur : il est enthousiaste, mais admet lui-même qu’il commet encore des erreurs. Jusqu’à présent, elles n’ont pas porté à conséquence. Tout est beau, tout est neuf. Mais un jour, un grain de sable viendra inévitablement se glisser dans la mécanique. Sur base de sa faculté à réparer les dommages, on pourra juger de ses véritables capacités comme entraîneur, un métier dans lequel il doit encore évoluer. Mais en attendant, on se réjouit du vent de fraîcheur qu’il apporte.

Harm Van Veldhoven a su trouver la bonne formule après un début de saison difficile. Est-ce révélateur de ses qualités de coach ?

Comparativement à De Boeck, c’est déjà un entraîneur expérimenté. Il a le mérite d’avoir su rectifier le tir après des premiers essais peu concluants. Son équipe a commencé a gagné lorsqu’il a opté pour un 5-3-2. Cela démontre que spectacle et résultat ne sont pas toujours liés. Et, également, que tout part d’une bonne défense.

Le fait que Charleroi est à la peine depuis le départ de Jacky Matthijssen démontre-t-il également la qualité de l’actuel entraîneur du Club ?

La 5e place est toujours accessible aux Zèbres, qui renouvelleraient alors leur performance de la saison dernière avec un autre entraîneur. Matthijssen avait bien travaillé à Saint-Trond et à Charleroi, et il confirme aujourd’hui dans un club du top. Mais désormais, on attendra de lui qu’il remporte des trophées. Il a déjà connu un premier échec avec l’élimination précoce en Coupe de l’UEFA des £uvres de Brann Bergen. Une chance pour lui : cet échec est survenu tout au début de sa période brugeoise, à une époque où on lui laissait encore beaucoup de crédit. S’il était survenu après trois saisons à l’Olympiapark, les critiques auraient été plus virulentes.

Dans l’optique du championnat, cette élimination européenne est peut-être une bonne chose ?

Une élimination européenne n’est jamais une bonne chose, et je ne crois pas que le fait de devoir jouer en semaine aurait porté préjudice à Bruges qui dispose d’un large noyau, mais là où la défaite face aux Norvégiens a été bénéfique, c’est qu’elle a incité Matthijssen à passer du 4-4-2 au 4-3-3. L’équipe se sent mieux dans ce schéma-là.

Et Johan Boskamp ?

Etonnant, n’est-ce pas ? La remontée de Dender est spectaculaire. Ce sera intéressant de suivre cette équipe, pour voir si elle sera capable de continuer sur sa lancée. La lutte pour le maintien s’annonce palpitante. Un petit écart s’est déjà creusé entre les deux montants de D2, Dender et Malines, et les trois derniers classés. Cela signifie que l’écart entre la D2 et la D1 n’est plus très important. Mais ce serait dommage de perdre un club comme Saint-Trond, à la longue tradition. La place des Canaris se situe parmi l’élite.

Les joueurs

Et au niveau des joueurs, quelles sont vos révélations ?

Surtout les joueurs du Cercle : Tom De Sutter, Stijn De Smet, Honour Gombami. L’équipe qui produit le meilleur football a aussi le plus de chances de mettre des individualités en évidence.

Steven Defour est-il votre favori pour le Soulier d’Or ?

Son nom semble se dégager. Je pense qu’il s’est montré le plus régulier sur l’ensemble des 12 mois de l’année 2007. C’est très tôt pour recevoir une telle distinction, mais je ne vois pas d’autre joueur qui ait brillé pendant 12 mois. Il est capable de tirer profit de sa technique tout en témoignant d’une saine agressivité. Mais j’aimerais le voir plus concret : lorsque je compulse les statistiques, je découvre peu de buts et d’assists de sa part.

Vous-même, avez été élu une fois Soulier d’Or mais quatre fois Footballeur Professionnel de l’Année. Etiez-vous plus populaire auprès de vos collègues qu’auprès des journalistes ?

C’est aux votants qu’il faudrait le demander. En fait, le Soulier d’Or couronne le meilleur joueur d’une année civile, et on vote en deux tours de scrutin. Le Footballeur Professionnel couronne le meilleur joueur d’une saison, et on vote en un seul tour de scrutin. C’est très différent. Mais ces distinctions m’ont en tout cas procuré un immense plaisir.

par daniel devos- photos: reporters/ gouverneur

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