Un homme de spectacle

Pol Jonckheere a réalisé son rêve en devenant n°1 du Club. Cet architecte a un plan : la créativité.

Le samedi matin, il n’est pas rare que Pol Jonckheere planche sur ses dossiers au Club avant de boire une bière avec les supporters, dont il souhaite entendre les désirs. En fait, il veut savoir comment vit le Club à tous les échelons.

De son bureau, Pol Jonckheere peut voire les joueurs s’entraîner mais il préfère s’installer au bord du terrain. Tout observer est nécessaire, selon lui, pour anticiper et agir vite. Quand il était vice-président, il passait pourtant inaperçu :  » Ce n’est pas parce que je restais à l’arrière-plan que je n’avais pas d’avis. Un seul homme doit transmettre la vision du club. Jadis, c’était Michel D’Hooghe. « 

Pol Jonckheere (50 ans) est maintenant sous les feux de la rampe. Dans ses interviews, il n’étale pas l’éloquence de Michel D’Hooghe, pas plus qu’il ne cite d’£uvre littéraire. Dans son entretien, Pol Jonckheere privilégie un dialogue ouvert, il dit ce qu’il pense tout en pesant ses mots :  » Entrer en guerre n’a aucun sens.  » Il tente de conférer un sentiment positif à ses interlocuteurs, pour obtenir un rendement maximal. Son credo ? Le respect des autres. Il en obtient beaucoup en retour.

Pol Jonckheere :  » J’aime le contact humain. Je voulais d’ailleurs étudier la médecine mais mon père possédait un bureau d’architecture et souhaitait que je le reprenne, puisque j’étais l’aîné de quatre enfants. Je suis heureux d’avoir obtempéré car ma profession me permet d’avoir des contacts passionnants. Un architecte pénètre le c£ur d’une famille. Il doit analyser les désirs des gens pour leur créer un foyer. Voir leur satisfaction ensuite me comble. J’aime développer des plans à partir d’une esquisse, être créatif. Mon frère cadet et moi employons 25 personnes. J’aime le contact car je pense pouvoir convaincre mes interlocuteurs, par une communication très sereine. Je suis d’un naturel calme. Le mot stress ne fait pas partie de mon vocabulaire.  »

Avez-vous joué au football ?

Deux matches en équipes d’âge de Zedelgem ! Puis, après mes études, en corpos au Sporta Veldegem. J’ai beaucoup joué à l’école. Le ballon a toujours été important dans ma vie. Je me suis également adonné au patinage car mon père était président du club de patinage artistique de Bruges. Je m’entraînais trois fois par jour pendant mes vacances et il semble que j’étais doué mais mes parents m’ont demandé d’arrêter à la fin de ma deuxième année d’humanités, pour me concentrer sur mes études. C’est par le travail que j’ai réussi mes études puis que j’ai développé le bureau paternel.

Le Club Bruges est-il un fil rouge de votre vie ?

J’ai grandi dans l’ombre du stade. J’assistais à tous les matches. Je fais partie du conseil d’administration depuis environ 25 ans. J’ai grandi lentement mais sûrement dans mes fonctions.

Avant de devenir président, vous étiez resté dans l’anonymat.

Le président est le représentant du club. C’est à lui de se manifester. J’ai travaillé dans l’ombre, j’ai beaucoup observé et j’en ai tiré mes conclusions. Je me suis formé ma propre vision des choses. C’est ainsi qu’un administrateur progresse. En interne, j’ai toujours donné mon avis. J’ai constaté qu’il était de plus en plus apprécié. Mon entourage m’a donc poussé en avant et me voilà président. C’était ma grande ambition, mon rêve, je ne vous le cache pas. Qu’y a-t-il de plus beau que de diriger le club de votre c£ur ? Cette nomination est aussi la confirmation que j’ai bien travaillé.

Il y a six ans, quand Michel D’Hooghe a succédé à Michel Van Maele, n’étiez-vous pas prêt ?

Absolument pas. Michel D’Hooghe était alors le seul à pouvoir professionnaliser le Club et nous pouvons nous estimer heureux qu’il ait accepté ce poste. Je n’en étais pas capable. Je manquais d’expérience et mon bureau n’était pas encore assez structuré pour me permettre de combiner mon travail et la présidence du Club Bruges. Pendant six ans, j’ai conféré à mon étude une structure qui me permette d’honorer mon mandat à Bruges sans occasionner un surcroît de travail à mes collaborateurs. En plus, Michel D’Hooghe a modifié la structure de la direction du Club également.

Etait-il déjà acquis, il y a six ans, que vous succéderiez à Michel D’Hooghe ?

Je pense que oui.

Michel D’Hooghe vous a-t-il confié, à l’époque, que vous seriez son successeur ?

(Il réfléchit). Disons qu’il jugeait que c’était la meilleure solution.

Vous avez toujours fait preuve d’une extrême loyauté à l’égard de Michel D’Hooghe. Etait-ce lié à cette succession ?

Vous pouvez le considérer. J’ai toujours éprouvé un immense respect envers les capacités de Michel D’Hooghe. Il m’a beaucoup appris, à tous points de vue. Comment aborder un dossier difficile ? Il maîtrise cet art comme nul autre. Il est diplomate, il cherche des compromis. Cela ne signifie pas que nous étions toujours d’accord. Il a toujours connu mon opinion, mon point de vue et avant une réunion, il savait quelle direction emprunter pour aboutir à un compromis.

Etes-vous fréquemment en contact avec lui ?

Moins pour le moment. J’estime important de conférer au club mes propres lignes. Je veux donc tout observer et vivre par moi-même, pour l’instant. Cela ne signifie pas pour autant que j’ai perdu la moindre once de respect envers Michel D’Hooghe.

Quelle plus-value pouvez-vous apporter ?

Je veux que les structures soient encore plus nettes, que tout soit convenu, un peu comme dans mon entreprise. Je ne peux fonctionner qu’au sein d’un système de ce genre. Je suis très attentif à l’aspect sportif, qui constitue l’essentiel. Il faut améliorer le spectacle. Je sens les tribunes enthousiastes. Nous devons aviver cette atmosphère.

Vous êtes un analyste. Vous est-il difficile de diriger un club de football, qui surfe essentiellement sur les émotions ?

C’est le plus difficile. Les émotions sont mauvaises conseillères. Un président ne peut se laisser influencer par ses sentiments. Cela m’arrive très rarement. Je reste calme, même dans la tribune, car je veux replacer tout ce qui se produit dans une perspective plus large.

La saison passée, des onze transferts réalisés, tous n’ont pas été des réussites. Comment vous sentez-vous, en tant que président de la commission sportive ?

Cette commission sportive est assez récente. Je ne l’ai présidée que durant les trois mois qui ont précédé mon accession à la tête du Club. Les décisions sont prises en groupe. Quand on a un manager sportif, il faut lui faire confiance. On peut difficilement lui imposer constamment sa propre opinion. Toutes les décisions ont été prises collégialement. Maintenant, je vais évidemment m’imposer davantage.

Enfin du beau jeu avec Koster !

Le Club n’a-t-il pas changé trop brusquement de style, n’a-t-il pas misé trop vite sur la technique ?

Selon moi, c’est la pire erreur : nous avons voulu passer trop vite d’un football physique à un jeu technique et nous avons enrôlé trop de joueurs convenant à ce nouveau style. Quand on modifie le système de jeu, le choix de l’entraîneur est capital. En observant l’évolution actuelle du Club, je remarque que nous avons opté, en Adrie Koster, pour un entraîneur qui convient au profil des footballeurs actuels, de jeunes talents avec lesquels il faut faire preuve de patience. On ne peut imaginer qu’ils sont capables de tout. Notre entraîneur possède l’énergie et la patience requises pour faire progresser ces jeunes. Koster convient parfaitement à notre politique. Je suis évidemment heureux que nous ayons embauché plus de techniciens mais nous avons sans doute été trop vite.

Marc Degryse imaginait le football ainsi.

Oui, et Marc a rendu de grands services au Club. C’est notamment grâce à lui que nous nous sommes professionnalisés plus rapidement.

Est-il exact que, l’hiver passé, vous avez imposé le transfert de Mohamed Dahmane ?

(Un long silence) La commission du sport a pris cette décision collégialement. Je crois en Dahmane : c’est un technicien doté d’une rage de vaincre qui convient au Club. Il est difficile de l’aligner à sa meilleure place compte tenu de nos effectifs actuels, mais je ne m’aventure pas sur le terrain de l’entraîneur.

Vous avez également insisté pour que le Club engage Koster ?

Avec Luc Devroe, avec lequel je collabore étroitement. Nous sommes très satisfaits de Koster. Nous avons à nouveau une équipe sur le terrain. Il a rétabli l’esprit de groupe, qui posait problème l’année dernière. Koster parle beaucoup, il est droit et clair. Il veut impliquer tous les joueurs, même ceux qui ne jouent pas. Il leur explique toujours ses motifs. Il investit énormément d’énergie dans sa communication. Il fait progresser les jeunes mentalement et techniquement. Mais j’envisage la création d’un poste de team manager, quelqu’un auquel les joueurs puissent faire part de leurs soucis. Ces responsabilités sont trop partagées. Un seul homme doit s’en charger et pas quelqu’un qui est dans un bureau mais une personne qui vit littéralement dans le vestiaire.

Koster entraîne-t-il autrement que son prédécesseur ?

Tout à fait. Les entraînements sont variés et décontractés. Nous ne déplorons pas de blessures musculaires, contrairement à la saison passée. Les entraînements intègrent la prévention : dès qu’un joueur a atteint un palier, son entraînement est adapté. Koster dose ses séances et observe jusqu’où il peut aller avec chacun. Ceci dit, je ne veux rien reprocher à Jacky Mathijssen, qui a accompli de l’excellent travail. Sinon, nous ne l’aurions pas laissé effectuer sa deuxième saison. Il est facile de critiquer quelqu’un a posteriori ; mais tout le monde, j’insiste là-dessus, était favorable à l’embauche de Mathijssen.

Où en est le nouveau stade ?

La route est encore longue. En Belgique, de tels projets requièrent beaucoup de temps mais je suis confiant. Nos relations avec la ville sont à nouveau au beau fixe. J’ai eu un entretien très constructif avec le bourgmestre, Patrick Moenaert. Je suis convaincu de la volonté générale d’aboutir à une solution. En attendant, il faut effectuer certains travaux au stade Jan Breydel. Nous devons chauffer le terrain et respecter les nouvelles directives de l’UEFA. La ville attend une proposition des deux clubs, le Cercle et nous.

Vous voulez aussi augmenter le budget du Club.

Oui : il ne faut pas croire que rien n’est possible avec les infrastructures actuelles. Il faut rester créatif. J’ai fait réaliser une étude. Elle révèle qu’il est possible de réaliser des améliorations. Si on ne surprend pas, on n’intéresse plus les sponsors. Je veille à ce que nous ne sombrions pas dans l’immobilisme.

par jacques sys

Nous sommes passés trop vite d’un jeu puissant à un foot technique.

Le groupe a retrouvé son esprit grâce à Adrie Koster.

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