UN GARS SIMPLE DE STRIVAY

L’homme qui doit conduire Bruges vers le titre a grandi à Strivay, en région liégeoise, et s’est fait un nom du côté de Sclessin. En visite chez les proches de Michel Preud’homme.

« Pourriez-vous reporter votre visite d’un jour ?  » Francis Remy est soucieux et nous passe un coup de fil, tôt le matin. Nous sommes au lendemain des attentats de Bruxelles et il vient de faire une promenade dans le centre de Liège. Les rues grouillent de policiers, signale-t-il, et la nervosité est palpable, même dans la Cité Ardente, à une centaine de kilomètres de la capitale. Nous nous étions fixé rendez-vous dans une brasserie près de la gare des Guillemins, et il craint qu’elle ne soit inaccessible. Ou, du moins, difficilement accessible.

Mais, vers 13 heures, le stress semble avoir disparu. Dans le hall, deux militaires déambulent, arme en mains, mais à part cela, on distingue peu de policiers. Sur la petite place, à l’entrée de la gare, il y a un combi, mais pour le reste, aucun contrôle aux portes d’accès. Le parking est ouvert, comme toutes les entrées. Contrairement à ce qui se passe à Bruxelles, personne ne doit faire la file pour prendre un train ou un TGV. 24 heures après les attaques, la vie à Liège a repris son cours normal.

Francis est, depuis des années, un ami de la famille Preud’homme, et quasiment le biographe officiel de l’entraîneur du Club Bruges. Dans les années 80, il a écrit deux livres sur celui qui était à l’époque le gardien du Standard et du FC Malinois. Il avait envisagé un troisième tome, il y a quelques années, mais celui-ci n’a jamais vu le jour pour des raisons financières.

C’est uncomplice, comme on dit : un homme qui partage les bons et les mauvais moments du coach de Bruges. Ils se connaissent depuis plus d’un demi-siècle. Journaliste à la retraite aujourd’hui et vice-président de la fédération belge de boxe, Francis travaillait alors au Grand Bazar de la Place Saint-Lambert pour financer ses études.

 » Je commençais à cinq heures du matin et mon boulot consistait à achalander les rayons « , se souvient-il.  » Des chemises par-ci, des pantalons par-là, quand ce n’était pas des vitres. Les vendeurs arrivaient vers huit heures et demie, neuf heures moins le quart. Ils jetaient un coup d’oeil à la livraison et ouvraient leur boutique.  »

CHOUCHOU DE GINETTE

A l’époque, on trouvait encore assez facilement du travail en région liégeoise. Aux usines Cockerill pour les hommes, au Grand Bazar – devenu les Galeries Saint-Lambert – pour les dames. Francis était le chouchou de Ginette, une vendeuse un peu plus âgée. Il sourit :  » Ce n’était pas une relation sentimentale. Simplement, je faisais bien mon job et le courant passait bien entre nous.  »

Après un moment, leurs chemins se sont séparés. Ginette est restée au Grand Bazar, Francis a tenté sa chance ailleurs. Il a d’abord combiné son travail au magasin avec des activités de pigiste dans un petit journal qui traitait en partie des pronostics pour le tiercé et en partie du football.

Puis, il est devenu le visage des pronostics hippiques sur la chaîne de télévision luxembourgeoise RTL ( » Tous les jours, je faisais la route de Liège à Luxembourg pour une minute et demie d’antenne « ) mais lorsqu’on lui a proposé de devenir Monsieur Metéo, il est retourné au journal.

Francis :  » Déjà, on m’accostait constamment dans la rue pour me demander sur quel cheval il fallait miser. Si, en plus, on allait me reprocher de prédire du mauvais temps… Non, merci.  »

Un jour, alors qu’il travaillait pour le journal, il a croisé Ginette à… Sclessin. Il faisait froid et il pleuvait. Il a trouvé étrange de la voir avant un match contre La Louvière. Francis :  » Une femme au football, ce n’était pas courant à l’époque. Je lui ai demandé ce qu’elle faisait là. Elle m’a répondu : -Je viens voir jouer mon fils, il est le troisième gardien et on lui a demandé de venir, au cas où l’un des deux autres se blessait.  »

Son fils, c’était Michel Preud’homme. Ce jour-là, il n’allait pas prendre place sur le banc, mais des liens se sont noués entre Francis et Michel :  » Ils dépassaient le cadre du football, la relation entre un journaliste et un footballeur.  »

RUE DE STRIVAY

Les Preud’homme étaient une famille modeste, qui habitaient à une quinzaine de kilomètres du centre de Liège. Le GPS n’a pas été d’une grande utilité pour trouver la rue de Strivay dans la localité du même nom. Même l’assistante de la pharmacie, où nous avons demandé notre chemin, n’a pas su nous aider. L’endroit est complètement isolé. La Roche aux Faucons, bien connue des suiveurs de Liège-Bastogne-Liège, est toute proche. La Route du Condroz également.

Strivay est situé sur le territoire de Plainevaux et était jadis un village agricole. De grandes fermes bordent encore les routes. Elles ont été transformées en gîtes pour les touristes ou en villas pour les Liégeois aisés. Car aujourd’hui, Plainevaux a la cote : les belles voitures ne manquent pas, la nature est omniprésente, les paysages sont somptueux. Alors que nous reprenons la route, deux élégantes dames à cheval nous saluent amicalement.

Mais lorsque l’actuel entraîneur de Bruges y a passé sa jeunesse, avec sa soeur Nathalie, sa maman et son beau-père, Strivay n’était encore qu’une paisible bourgade, qui ne comptait qu’une seule petite école, près de la maison de Jean-Marie, au coin de la rue Grandzée et de la rue de l’Ecole. Le bâtiment était petit et n’accueillait que peu d’élèves.

De la première à la sixième, ils étaient tous réunis dans la même classe, sous la direction du même professeur. Plus tard, la plupart d’entre eux rejoindront une école de Seraing, de l’autre côté de la Route du Condroz. C’était aussi le cas de Michel Preud’homme, qui a suivi ses humanités (section Latin-Sciences, car il projetait de devenir vétérinaire) à l’Athénée Royal de l’Air Pur à Seraing.

AirPur ? C’est difficilement concevable lorsqu’on connaît Sclessin, avec ses cheminées d’usine qui crachent une fumée noire dans le ciel. Et pourtant… Nous sommes à moins de dix kilomètres du stade du Standard et on y respire, effectivement, un air de grande qualité.

MARIAGE DANS LA CHAPELLE

Jean-Marie nous montre une ancienne ferme restaurée.  » Les garçons du village y jouaient constamment au football.  » Antoine l’agriculteur ne reconnaîtrait pas son ancienne demeure, mais l’une des portes – restaurée depuis – servait de but. Et lorsqu’on ne pouvait pas y jouer, les prairies ne manquaient pas.

La seule difficulté était de trouver un terrain pas trop bosselé et à la déclivité pas trop importante. Plus bas, dans la vallée, l’Ourthe se fraie un chemin dans le paysage en direction de Liège, où elle se jettera dans la Meuse.

Leur jeunesse ne s’est pas toujours passée ici. Pour le père Preud’homme, ouvrier chez Cockerill (aujourd’hui ArcelorMittal), la vie était difficile et il a rapidement quitté sa famille. Ginette est restée seule avec les deux enfants. Heureusement, Georges, le beau-père, s’en est ensuite occupé. Aujourd’hui, il n’est plus de ce monde : il est décédé soudainement à la mi-octobre 2015, juste avant le match à domicile contre Ostende.

La famille a dû retrouver un équilibre. Récemment, elle a décidé de mettre la maison en vente. Jean-Marie :  » Michel habite loin d’ici, il ne revient plus très souvent dans la région, mais les anciens du village ne l’oublieront jamais.  » Il nous montre une petite chapelle, près du centredu village : une petite place où aboutissent de nombreux sentiers de randonnée.

C’est dans cette chapelle que l’abbéa célébré le mariage de Michel avec sa première femme, Colette, une fille de Beaufays. Un amour de jeunesse, qui est entré dans sa vie durant une folle semaine d’août 1977, raconte Francis dans sa première biographie de Preud’homme :  » Ils se sont rencontrés lors d’un bal, ont dansé ensemble et ont eu le coupdefoudre.

Michel, 17 ans à l’époque, n’a pas pu rester longtemps : le lendemain, il devait prendre place sur le banc à Boom comme deuxième gardien. Celui-ci s’est blessé en cours de match et il a dû monter au jeu. Une semaine plus tard, il était titulaire à Anderlecht.  »

SUR LE CARREAU

Francis regrettera la maison, lorsqu’elle sera vendue. Il y venait souvent. Il se souvient d’un chat, appelé Kempes en référence à Mario, l’attaquant argentin que Preud’homme admirait. Dans la petite remise derrière la maison, une vitre est brisée : un souvenir du football. Il confirme les déclarations de Nathalie, selon laquelle son frère avait horreur de perdre, même lorsqu’il jouait aux cartes ou à un autre jeu.

Francis :  » Lorsque Michel a écopé d’un an de suspension dans le cadre de l’affaire Standard-Waterschei, il n’a pas réussi à se recaser, pour l’une ou l’autre raison. D’autres ont trouvé refuge ailleurs après six mois : Simon Tahamata à Feyenoord, Walter Meeuws à l’Ajax, Eric Gerets au MVV Maastricht, Jos Daerden à Roda JC, Gérard Plessers à Hambourg… mais Michel est resté à Liège.

Kaiserslautern s’est intéressé à lui, mais la transaction ne s’est jamais réalisée. Michel n’avait pas d’agent, il gérait sa carrière lui-même et avait l’impression que certains clubs voulaient profiter de la situation. Il aurait bien aimé aller à Kaiserslautern, mais bon… Ce fut une période difficile pour lui. Personne ne s’intéressait à lui. Il s’entraînait à Liège, mais ne pouvait pas jouer.

Dans ces cas-là, on se décourage. Je ne l’ai pas laissé tomber, nous nous voyions plusieurs fois par semaine. Nous allions souvent jouer au flipper. Et Michel ne décolérait pas lorsqu’il perdait. Nous nous sommes régulièrement disputés. C’est fou, hein, pour de telles futilités…  »

La situation est encore devenue plus tendue lorsque Nathalie, six ans plus jeune, s’est mise en couple avec un collègue de son frère, Gilbert Bodart. Francis :  » Deux beaux-frères, deux gardiens, deux concurrents entre les perches. Lorsque la suspension de Preud’homme a pris fin, l’entraîneur Michel Pavic a instauré un système de rotation : une semaine c’était l’un qui jouait, l’autre semaine c’était l’autre.

Une situation intenable. D’autant que les deux hommes ne s’entendaient pas du tout. Imaginez-vous : lorsqu’une fête ou un barbecue était organisé à Strivay, la tension était maximale. En tant que journaliste, j’étais assis entre deux chaises : je m’étais lié d’amitié avec Michel, mais c’était Gilbert qui jouait… –Va voir ton ami, me criait-il, lorsqu’il était de mauvaise humeur…  »

Finalement, le problème s’est résolu de lui-même. D’abord, lorsque Preud’homme a quitté le Standard. Puis, lorsque Nathalie et Bodart se sont séparés.

DR. JEKYLL ET MR. HYDE

Francis et Michel parlent rarement de football, malgré leur longue amitié et le métier de Francis.  » Que Michel choisisse d’aligner Abdoulay Diaby ou Jelle Vossen en finale de la coupe : je n’aborderai jamais le sujet, car je sais qu’il s’irrite facilement lorsque des personnes extérieures s’occupent de son travail « , confie Francis.  » Je trouve que vous avez raison : vous avez le droit de lui demander des explications sur ses choix, mais c’est un sujet très sensible.  »

 » C’est son côté liégeois « , poursuit Francis.  » Michel est très émotionnel, toujours sur des charbons ardents. Alors que, dans la vie de tous les jours… Aujourd’hui, il est constamment sous pression, et il habite de l’autre côté du pays, mais avant… Lorsque quelqu’un lui demandait d’être présent pour l’ouverture d’un magasin ou de faire un geste pour une bonne cause, il ne refusait jamais.

Il était très affable, à l’opposé de l’image que l’on se fait de lui, lorsqu’on le voit rouspéter sur les arbitres. Dr. Jekyll et Mr. Hyde. Je connais Michel sous son côté humble. Il n’y a que durant sa période malinoise que, parfois, je ne le reconnaissais pas. Il était influencé par Aad de Mos. Ils étaient tous un peu comme cela, à Malines : remontés par leur entraîneur. Michel était complètement sous le joug de De Mos.  »

Pendant sa période malinoise, il a même perdu un vieil ami. Le père spirituel de Preud’homme fut longtemps Robert Waseige. C’est lui qui a lancé Michel au Standard. C’est un voisin de Strivay qui a transmis à Preud’homme l’amour du Standard. Walter était électricien à Sclessin et a un jour emmené le jeune Michel, fou de football depuis ses quatre ou cinq ans, lors d’un match à domicile.

Walter a demandé au jeune garçon de rester calme dans son coin et de tout observer de là. Francis :  » Mais c’est alors que Michel a aperçu l’une de ses idoles entrer sur le terrain. D’abord Christian Piot, puis Jean Thissen, et puis encore d’autres. Il ne se tenait plus. Timidement, il a tendu un papier et un stylo. A-t-il reçu un autographe ?  »

C’est aussi Walter qui, en voyant Michel à l’oeuvre dans les prairies de Strivay, lui aurait proposé :  » Tu es rapide, tu as de bons réflexes, tu es déjà relativement grand. Cela te dirait de rejoindre l’école des jeunes du Standard ?  » Les Rouches ont alors accueilli le jeune Michel, 10 ans, au centre d’Ougrée. Un certain… Christian Piot dispensait ses conseils aux footballeurs en herbe.

FLIRT AVEC LE FC LIÈGE

Waseige a donc lancé Preud’homme lorsque Piot (le premier gardien) puis Jean-Pol Crucifix (le deuxième gardien) se sont tour à tour blessés. Preud’homme est toujours resté en contact avec Waseige, même lorsque celui-ci est parti travailler chez les voisins et rivaux, le FC Liégeois. Le coach s’est occupé de lui comme un père de son fils.

Il lui faisait des remarques lorsque quelque chose ne lui plaisait pas, l’encourageait dans les moments difficiles et a même essayé de l’attirer à Rocourt lorsqu’il avait du mal à retrouver sa place au Standard après son retour de suspension. Francis :  » Mais ce n’était pas aussi simple. Dans les années 80, le FC Liégeois était une bonne équipe de première division, et un passage du Standard chez le rival risquait d’être mal accueilli.

Robert m’a demandé de tâter Michel à ce sujet. Ce que j’ai fait. Il y a eu des discussions, un accord a même été trouvé, mais un grain de sable s’est glissé dans la mécanique. Un membre du FC Liégeois a-t-il voulu saboter l’affaire ? Quoi qu’il en soit : la nouvelle s’est répandue dans la presse et elle a fait beaucoup de vagues. Liège a reporté la signature de quelques jours et a finalement opté pour un autre gardien. Preud’homme est parti au FC Malinois.  »

Une rupture s’est alors produite avec Waseige, lors d’un match à couteaux tirés entre Malines et Liège. Les Sang et Marine s’étaient déplacés avec l’intention d’arracher le partage blanc. La frustration a gagné les rangs locaux. Lorsque Malines a finalement trouvé l’ouverture, en toute fin de match, Preud’homme est rentré aux vestiaires en faisant un geste en direction du banc liégeois.

Francis :  » Robert n’a jamais oublié cet incident. Cela a été terrible pour moi : deux de mes meilleurs amis qui ne se parlaient plus. La dispute s’est prolongée un certain temps. Jusqu’au jour où Michel a remporté le Soulier d’Or. Le lauréat reçoit toujours deux petites répliques, pour offrir. Michel a voulu m’en offrir une. Je lui ai répondu : -Donne-la à Robert, cela lui fera plaisir. -Tu crois ? m’a demandé Michel.

Il a reconnu qu’il avait commis une erreur en s’emportant, mais n’osait pas faire le premier pas en vue d’une réconciliation. Je les ai réunis, tous les deux, lors d’une fête organisée par une association pour diabétiques : une initiative de mon père. Robert avait été invité, et je lui ai demandé s’il voyait un inconvénient à la venue de Michel. Les choses se sont un peu arrangées depuis lors, mais leurs relations ne sont plus jamais redevenues comme elles étaient avant.

Cela continue à me faire de la peine : je ne suis pas parvenu à aplanir complètement les tensions. Robert et moi mangeons souvent ensemble chez Moreno Giusto. Tout le monde le sait à Liège, et parfois, Marc Wilmots pointe aussi le bout du nez. Robert me demande alors : -Et ton ami, ça va ? Sur le ton ironique qu’on lui connaît…  »

PAR PETER T’KINT – PHOTOS KOEN BAUTERS

 » Michel est très émotionnel, toujours sur des charbons ardents.  » FRANCIS REMY, SON AMI ET BIOGRAPHE

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