Un futur Diable Rouche ?

Voué aux gémonies au Standard, il y a tout juste un an, le Brésilien est aujourd’hui le chouchou du public de Sclessin. Bien dans sa peau et dans sa tête, il rêve à présent de disputer le Mondial 2014. Reste à voir quel maillot il revêtira : celui de la Seleçao ou celui du team Belgique ?

Mercredi 24 octobre 2012. Nous sommes attablés avec Kanu aux Caves du Portugal, le rendez-vous des lusophones de Liège. La télévision diffuse le match de Ligue des Champions entre le FC Porto et le Dinamo Kiev mais le défenseur central de Sclessin tourne le dos à l’écran. Pas qu’il veuille manger en paix : il touche à peine à son plat également. Il tapote nerveusement sur l’écran de son smartphone et un rire nerveux s’échappe de temps à autre de sa bouche. On sent bien qu’il préférerait être partout ailleurs que là, à parler de football.

Son transfert à l’Olympiakos a échoué à cause d’un problème au genou et il est revenu au Standard, où les supporters l’ont un peu pris en grippe et où rien ne va. Ron Jans a d’ailleurs été viré deux jours plus tôt et le nom de son successeur n’est pas encore connu. Onze mois plus tard, tout a bien changé. Cette fois, malgré un été chaotique, les Rouches n’ont pas loupé leur départ, au contraire : il leur a fallu deux bons mois de travail pour connaître leur première défaite, face à Esbjerg.

Kanu est redevenu non seulement le patron d’une défense qui encaisse peu mais aussi le chouchou du public de Sclessin, voire de tout le pays.  » Le duo qu’il forme avec Ciman est bien plus solide que l’an dernier, aussi parce que le Standard joue de façon plus compacte « , dit PhilippeGerday, journaliste à Sudpresse.  » Mais surtout, le Brésilien a l’air beaucoup plus serein, comme lorsqu’il est arrivé et qu’il avait stabilisé Mangala.  » Gerday ajoute un détail qui a toute son importance.  » Quand il sort du vestiaire, il salue toujours tout le monde avec un grand sourire.  » C’est non seulement devenu une denrée rare dans le foot mais c’est surtout le signe que Kanu, un gars on ne peut plus simple, a retrouvé le bonheur.

 » Kanu, c’est un grand gamin : il ne lui faut pas grand-chose pour être heureux, chanter, danser et faire des blagues « , dit son homme de confiance WillamySaboia, un Brésilien établi à Liège depuis plusieurs années et qui a joué un rôle capital depuis l’arrivée de Kanu en Belgique. Non seulement en lui prodiguant les encouragements nécessaires mais surtout en le recadrant lorsque sa carrière était menacée.  » Il a fallu effectuer un gros travail psychologique avec lui « , dit-il.  » Lui éviter tous les soucis personnels pour lui permettre de se concentrer sur son travail. En collaboration avec le club, j’ai veillé à ce qu’il puisse faire venir définitivement sa femme et ses filles. La famille a quitté son appartement de la ville pour s’installer dans une maison à Embourg, un endroit bien plus calme.  »

Mieux dans sa tête, mieux dans son corps

Mais surtout, Kanu semble à présent beaucoup mieux comprendre le monde qui l’entoure.  » Je lui ai beaucoup parlé des habitudes d’ici. Parce qu’un Brésilien qui débarque en Europe ne sait pas nécessairement qu’entre le Portugal et la Belgique, il y a un monde de différence : le climat et la nourriture, bien sûr, mais surtout la culture. Au Portugal, les gens étaient plus ouverts et parlaient sa langue. En Belgique, ils sont plus réservés et ne viennent pas spontanément vers lui parce qu’ils pensent qu’il est dans la vie comme sur le terrain. Aujourd’hui, il sent que son travail et son charisme sont reconnus alors il fait des danses, il s’amuse. Il a aussi compris qu’il était plus important pour lui que pour le club d’apprendre le français.  »

En attendant, il communique par… la danse. Comme l’autre jour, où il fêta un but en croisant les bras à la manière d’un détenu.  » Quelques jours plus tôt, il était allé visiter une prison avec quelques équipiers. Ça l’avait beaucoup marqué. Ils avaient joué un match contre les détenus et avait promis que, quand il marquerait, il ferait un geste montrant qu’on mérite tous une deuxième chance. Parce qu’au Brésil, on connaît tous quelqu’un qui est passé par la case prison.  »

Mais si Kanu va mieux dans la tête, il va aussi beaucoup mieux dans son corps.  » Il a effectué un travail de fond de cinq mois qui a non seulement permis de prouver que ce que les Grecs avaient catalogué comme blessure grave n’était en fait qu’une surcharge de travail mais ces longues semaines lui ont aussi permis d’apprendre à relativiser.  » Même pendant ses vacances au Brésil, Kanu ne s’est pas véritablement arrêté de travailler.  » Nous avions demandé à CarlosRodriguez, le préparateur physique du Standard, de lui confectionner un programme d’entraînement individuel pour la salle mais aussi pour la plage. Parce que l’an dernier, à cause de son genou gonflé, il n’avait rien pu faire.

J’ai passé douze jours avec lui dans son village, près de Salvador da Bahia, pour l’accompagner. Et comme, dans la foulée, il a pu participer à toute la préparation de l’équipe, ce qui n’avait pas été le cas l’année dernière, il a tenu la promesse qu’il s’était faite : celle de revenir plus fort que jamais et de démontrer à ceux qui doutaient de lui qu’ils s’étaient trompés sur son compte.  » Tandis que Kanu était au Brésil, le Standard vivait à nouveau sur un volcan mais cela ne lui a pas ôté l’envie de revenir à Sclessin, où il avait encore un contrat de deux ans.

Futebol de praia et futevolei

 » Il était évidemment au courant de ce qui se passait, mais dans les grandes lignes seulement. Je lui avais dit dès le départ que je ne le tiendrais informé que des choses réellement importantes, afin qu’il puisse quand même déconnecter un peu.  » Et Kanu a déconnecté à la brésilienne : des barbecues, un peu de futebol de praia (beach soccer) ou de futevolei (foot-volley) avec l’autre Kanu (ex-Anderlecht) et Paulo Henrique (ex-Westerlo) mais surtout de la musique, beaucoup de musique. A un tel point qu’il a même lancé sa société de production K25 Produções, dans le but de venir en aide à un groupe de son village, D’Cifras.

 » C’est un groupe de pagode, la samba de Rio, que nous avons découvert dans une fête locale « , explique Saboia.  » Au Brésil, pas mal de joueurs ont investi dans des studios de musique, souvent pour aider des copains. Kanu veut aussi leur donner un coup de main, notamment en trouvant des endroits en Europe pour qu’ils puissent venir jouer. Il adore la musique. Je lui ai prêté un tambourin et il a déjà pris quelques leçons mais un de ces jours, il va partir en formation chez Dante, qui est un pro.  » (il rit).

Des barbecues, du foot, de la musique mais aussi des tweets. Peu après la reprise des entraînements, il est apparu sur le réseau social que Kanu avait à nouveau des envies d’ailleurs. Le service communication du Standard a éteint l’incendie en disant que le compte avait été piraté mais personne n’a vraiment cru à cette version.  » L’histoire est un peu plus longue « , explique Saboia.  » Nous avions recruté, au Brésil, quelqu’un qui était chargé de s’occuper de l’image de Kanu dans les médias. Il s’est cependant vite avéré que cette personne n’était pas professionnelle et nous avons mis fin à la collaboration. Nous supposons que c’est elle qui, pour se venger, a tweeté avec le compte de Kanu, auquel elle avait accès.  »

Un peu plus tard, dans un second tweet, Kanu disait qu’il devait songer à l’avenir de sa famille.  » Là, effectivement, c’était bien lui. Mais je ne pense pas qu’il y ait quoi que ce soit d’anormal à dire cela.  » Au Standard, on estimait cependant qu’avant de discuter avec Kanu, toujours sous contrat pour deux ans, il fallait régler celui de Ciman.  » Alors, nous attendrons qu’on nous appelle « , dit Saboia.  » Lui, tout ce qu’il veut, c’est se concentrer sur le jeu.  »

Un jeu dans lequel, malgré l’importance qu’il a prise, il ne joue pas en Coupe d’Europe.  » Bien sûr, tous les joueurs rêvent de se mettre en vitrine sur la scène européenne « , nous disait Saboia une heure avant le coup d’envoi du match Standard – Esbjerg, où le système de tournante mis en place par Guy Luzon se fracassait.  » N’est-il pas plus important de briller dans les play-offs du championnat de Belgique ? Or, le championnat belge est long. L’entraîneur l’a expliqué au groupe en début de saison . »

La seleçao ou les Diables

Le courant semble passer à merveille entre Kanu et son nouveau coach. On les a même vus faire un pas de danse ensemble après un but du Brésilien.  » Parce que, justement, avant le match, le coach lui avait reproché de ne pas marquer suffisamment. Et Kanu est d’accord avec ça ! En fait, ce sont un peu les deux mêmes, deux fonceurs, deux malades du foot. Luzon est assez proche des joueurs mais impose tout de même des limites. A Ostende, par exemple, Kanu a été le premier à se faire enguirlander alors que c’étaient les premiers buts que le Standard encaissait cette saison. Mais pas de problème : il accepte la critique. D’autant qu’il a une bonne lecture du jeu. Cependant, nous, les Brésiliens, nous voyons parfois le football un peu différemment des Européens alors il attend toujours le débriefing vidéo avec le coach pour confirmer ou infirmer ce que nous pensons.  »

Aujourd’hui, à en croire un site internet brésilien, c’est un autre coach qu’il veut séduire : celui de l’équipe nationale belge… ou brésilienne. Utopique ?  » Pas du tout « , dit Saboia.  » En seleção, des places se libèrent régulièrement dans l’axe central. La réussite de Dante fait en sorte qu’au Brésil, on regarde désormais le championnat de Belgique différemment. On y a remarqué qu’avant le Bayern, Dante a joué au Standard tandis qu’on ne cite jamais le Borussia Mönchengladbach. Mais Kanu serait aussi heureux de se mettre au service des Diables. Pour cela, il faut qu’il devienne belge dans les temps. Nous allons donc très bientôt déposer un dossier de demande de naturalisation. « 

PAR PATRICE SINTZEN

 » Cet été, il a déconnecté à la brésilienne : BBQ, musique et futebol avec ses potes.  »

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