Un frérot en or

De Braine-le-Comte à Zulte Waregem en passant par le nord de la France et la brume londonienne, retour sur le parcours d’un petit frère passé de l’ombre de son aîné à la lumière du stade Arc-en-Ciel. Entre coups de blues, coups de reins et coups de pied arrêtés.

« Ici, vous êtes vraiment dans le fief des Hazard.  » C’est par ces mots que ClaudeMasure, président des jeunes du Stade Brainois, reçoit au Sans Fond. Assis dans la buvette où des fauteuils rouges, qui semblent tout droit sortis d’un cinéma, font office de business seats, vestiges du glorieux passé en Promotion d’un club qui se bat à présent pour sa survie en P1 hennuyère, l’homme évoque la plus célèbre famille de Braine-le-Comte.

 » Là, derrière le point de corner, vous avez leur maison  » dit-il. Il suffisait donc à Thorgan de franchir la barrière du fond du jardin pour fouler le rectangle vert du club local. Une pelouse qu’il n’a jamais arpentée en match officiel, les jeunes du Stade Brainois étant cantonnés au complexe situé plus loin dans le village. C’est donc là-bas que Thorgan, tout juste affilié au club, a véritablement commencé le football.

Son premier entraînement était aussi un baptême du feu pour MichaëlMarcou, qui prenait alors en mains les diablotins brainois :  » Thorgan ne pouvait pas encore jouer en diablotins. Il était un an en dessous et donc, il jouait avec des enfants un an plus vieux « , se souvient celui qui, après avoir jonglé entre les rôles de coach et de baby-sitter, est devenu si proche de la famille Hazard que  » Thierry dit souvent qu’il a cinq enfants et que je suis le plus grand.  »

Thorgan et l’autre

À l’époque, déjà, Thorgan n’échappe pas à la comparaison. Eden a deux ans de plus, et impressionne depuis ses premiers dribbles :  » Thorgan chaussait à peine les crampons que c’était déjà ‘tiens, c’est le petit frère de l’autre, on va voir s’il est aussi fort’. Et il faut dire que Thorgan ne faisait pas tache puisque pendant toute la saison, on n’a jamais pu voir qu’il avait un an de moins. Sauf par sa taille, parce qu’il était petit.  »

Le petit Thorgan se fond dans le moule pendant que son frère  » fait déjà la différence avecdes enfants un ou deux ans au-dessus de lui « , poursuit Michaël Marcou. Pourtant, la comparaison n’effraie pas le cadet, sans doute grâce à des parents  » qui ont toujours voulu les guider sans que l’un fasse de l’ombre à l’autre « , explique Claude Masure.

Au rayon des différences entre les frangins, Marcou pointe l’attitude à l’entraînement :  » Eden, c’est presque scandaleux à dire, mais il n’a quasiment pas besoin de travailler, il est très très fort. Thorgan a dû travailler plus qu’Eden pour en arriver là. Il a toujours été très mature pour son âge, et c’est un bosseur.  »

Thorgan termine ses années de diablotin au Stade Brainois, avant de rejoindre Tubize en même temps qu’Eden. Les deux frères débarquent chez les Sang et Or dans la foulée de leur père, Thierry, qui y devient coordinateur des jeunes.

Directement, Eden est surclassé, tandis que Thorgan poursuit son apprentissage avec des garçons de son âge. Il faut dire que la pépinière du stade Leburton a du talent à revendre, et que Thorgan ne sort pas spécialement du lot dans un groupe qui affronte souvent les Anderlecht, Standard ou Bruges en tournoi sans jamais être ridicule.

Eden décolle à la verticale et s’envole très vite pour Lille. Son frère devra attendre un peu plus longtemps pour franchir la frontière. MarcWesterloppe, ancien recruteur pour le RC Lens, raconte à NordÉclair sa première rencontre avec Thorgan :  » Un agent m’a appelé, enme disant qu’il s’occupait de deux frères dont l’un était au LOSC, Eden Hazard. Il me dit que son petit frère a du talent. Il avait treize ans. Et j’ai vu effectivement un très bon joueur, qui savait faire des gestes de grand talent.  »

Frère de Lens

Lens est séduit par ce Sang et Or à la sauce belge, et le coup de foudre est réciproque, se rappelle Michaël Marcou :  » Lens s’est présenté en disant qu’ils étaient intéressés. Thorgan entend ça et fatalement, il était motivé. Tout le monde connaît la qualité de leur centre de formation. Et puis bon, ça avait été oui pour Eden, donc il n’y avait aucune raison que ce soit non pour Thorgan.  »

À quatorze ans et demi, Thorgan Hazard signe donc un contrat de sport/études avec le RC Lens. Certes, la maison familiale n’est qu’à une bonne heure de route, mais l’adolescent se retrouve livré à lui-même, quittant seulement le centre de formation lensois, pour se rendre à l’école en ville, dans l’un des lycées qui travaillent en partenariat avec le club. Heureusement, Lille et Eden ne sont qu’à quarante kilomètres de là, et les deux frères peuvent rester aussi proches géographiquement que dans la vie.

Thorgan partage sa vie d’interne entre des terrains où, décalé sur le côté gauche après des années dans l’axe, il brille au milieu de RaphaëlVarane et GeoffreyKondogbia, les autres fleurons de la génération 93, et les bancs de l’école où il est  » bien appliqué  » selon Marcou, qui ajoute qu’il fallait  » beaucoup moins stresser pour lui que pour Eden à ce niveau-là « .

Si le plus jeune des deux ch’tis belges du nord voit la comparaison scolaire tourner à son avantage, les premières performances de son frère avec l’équipe fanion du LOSC lui renvoient l’étiquette de  » frère de «  en plein visage, et les désagréments qui vont avec. À la Gaillette, le centre de formation lensois, certains bruits de couloir évoquent une mentalité de gamin et un statut injustifié uniquement dû à son nom. Interrogé par la DH en février dernier sur son ancien équipier, Varane parle, lui, d’un joueur qui faisait  » pas mal de petites conneries. Il essayait toujours de faire le fayot mais à chaque fois, il se faisait griller par les coaches. C’est un filou.  »

Visiblement, c’est plutôt le côté bon camarade de Thorgan qui l’emporte. Avec Varane, Kondogbia et les autres, il gravit les échelons des équipes d’âge lensoises. Une progression qui le mène entre les mains de BobBrowaeys, coach de Thorgan en équipe nationale des U15 aux U17, et qui évite le piège dans lequel une bonne partie de la France est en train de sauter la tête la première.

L’arme à gauche

 » J’avais eu son frère, mais ce n’était pas du tout le même type de joueur.  » Comparaison, tout de même, quand il s’agit d’évoquer l’attitude du petit frère sur le terrain d’entraînement :  » comme Eden, il a toujours pris du plaisir. Il s’amuse, et il a toujours envie de jouer, c’est naturel pour lui. Mais il était toujours appliqué, et s’est toujours donné à 100 %.  »

Tout comme en club, c’est sur le couloir gauche que Thorgan enchaîne les matches avec la vareuse noir-jaune-rouge. Pourtant, Browaeys le considère comme un numéro 10  » maisàl’époque, j’avais aussi MatsRits, qui était sans doute mon plus grand talent, et HannesVanderBruggen qui jouaient dans cette position.  »

A la Gaillette, tout se passe sans encombre, jusqu’à la saison 2010-2011 et son passage en CFA. Au quatrième échelon national, beaucoup de clubs de l’élite aguerrissent leurs jeunes pousses aux joutes du football adulte.

Hazard y débarque avec, sur le CV, les compliments d’ÉricAssadourian, entraîneur de jeunes qui confie à lensois.com que Thorgan  » peut renverser un match à lui tout seul « , mais  » manque de puissance et doit encore gagner du volume.  » Des carences qui vont lui faire vivre deux saisons en demi-teinte.

En CFA, c’est OlivierBijotat qui prend le joueur en mains. Le coach souligne la sociabilité et l’insouciance de Thorgan, mais l’ailier gauche souffre de la comparaison avec un frère qui évolue au même poste :  » Quand on allait voir Thorgan en France, les gens avaient vu Eden faire quatre virgules la veille avec Lille, donc il devait aussi faire pareil, c’était obligatoire « raconte Michaël Marcou pour expliquer cette saison en demi-teinte en CFA.

Généreux, mais rarement décisif, Thorgan ne parvient pas à se hisser dans une équipe fanion qui vit pourtant des moments difficiles en luttant pour la relégation. StevenJosephMonrose et DavidPollet reçoivent notamment leur chance dans le secteur offensif des Sang et Or, mais pas lui. Selon le buteur carolo,  » Thorgan a eu du mal à percer tout simplement parce qu’il n’avait pas assez confiance en lui. C’est difficile, parce qu’en CFA il était pas mal et il a montré très tôt aux entraînements qu’il était très technique, mais à Lens, il y avait une certaine concurrence, et il était un peu trop jeune.  »

Un peu trop perso

Renvoyé en U19 avec Kondogbia en fin de saison pour sauver la jeune classe lensoise de la relégation, Hazard termine néanmoins l’année en partageant quelques entraînements avec les hommes de Laszlo Bölöni, dont le noyau est décimé par les blessures. En conférence de presse, l’ancien mentor des Rouches raconte qu’il est à la base de la venue de Thorgan à l’entraînement pour  » accélérer l’arrivée du Belge « , mais demande de la patience :  » Laissez-moi choisir le bon moment, pour lui et pour l’équipe.  »

Quelques semaines et une culbute en Ligue 2 plus tard, le Roumain n’aura pas eu le temps de lancer Thorgan Hazard. À l’intersaison, GeorgesTournay, directeur de la formation lensoise, adoube le Belge en confiant à Sang et Or Magazine qu’il  » possède les qualités pour faire carrière « , ajoutant toutefois qu’il  » n’a que 18 ans, et l’aligner ou non en Ligue 2 sera le choix de JeanLouisGarcia.  »

Garcia, c’est un coach rompu aux joutes de l’antichambre de l’élite française. Il pousse quelques gueulantes sur un Thorgan un peu trop perso en préparation, et lui donne deux chances sous forme de bribes de matches en début de saison, avant de le faire disparaître de la circulation. Marcou, qui suit toujours son  » frère adoptif « , diagnostique :  » Le club a vite été englué dans le milieu de classement alors qu’il voulait remonter directement. Les Sang et Or avaient 37 joueurs sous contrat, sans compter les jeunes, et il fallait faire jouer ces vieux briscards.  »

Privé d’équipe fanion, Hazard ne peut pas se rabattre sur la CFA, la faute à un coach qui veut éviter tout risque de blessure. Sans le moindre match à se mettre sous la dent en club, il multiplie les rendez-vous avec l’équipe nationale, comme une bouteille d’oxygène qui lui permet d’humer l’odeur d’un match nonante minutes durant. En U19, il est l’un des leaders du groupe de MarcVanGeersom, multipliant les buts et les assists. Un contraste que le coach explique simplement :  » En voulant jouer en équipe première à Lens, il se met la pression.  »

JeanFrançoisRémy, qui suit déjà d’un oeil avisé les performances d’un noyau censé alimenter rapidement les Diablotins, confirme :  » À Lens, il faisait tout pour s’imposer, mais ça n’allait pas comme il le voulait.  » S’installent alors les doutes, inhérents à cette période de post-formation  » où le talent ne suffit plus. « 

Flanc droit et tribunes

Certes, il y a bien ces quelques apparitions avec Lens, mais ce sont surtout  » des matches empoisonnés « , comme contre Marseille en Coupe de la Ligue, où Thorgan est  » condamné à faire un super match sous peine d’être grillé « , raconte Michaël Marcou. Un 4-0 bien tassé et une nouvelle cure de tribunes plus tard, Hazard revient dans le parcours grâce à une blessure sur le flanc droit de l’attaque lensoise :  » cen’étaitpasspécialement son poste de prédilection, et il n’avait jamais joué là en jeunes « , poursuit son premier entraîneur.

Thorgan s’en contente et enchaîne les rencontres, montrant enfin son  » caractère dominant  » dont on nous parlait du côté de Braine-le-Comte en prenant les coups de pieds arrêtés à son compte. Audacieux, et parfois téméraire, comme lors de cette rencontre face au Havre où il s’apprête à tirer directement des trente mètres.

Yahia, un des  » vieux briscards «  dont parlait Marcou, lui conseille plutôt de centrer, et Hazard s’exécute en déposant le cuir sur son pote Coeff qui n’a plus qu’à conclure. Mais quelques jours après les compliments d’après-match du coach, c’est à nouveau le banc qui attend Thorgan.  » Ettoujourssansexplication, parcequ’iln’yavaitjamaisdejustificatif «  conclut Michaël Marcou.

En fin de saison, le bilan n’est pas très reluisant : Hazard a joué quatorze matches, ou plutôt bouts de matches, et n’a signé qu’un malheureux assist pour le compte des Sang et Or. Les supporters commencent à gronder, se disent qu’ils ont hérité du  » mauvais frère « , même si les qualités de Thorgan sautent aux yeux. Malgré l’insistance de Lens et du directeur technique AntoineSibierski pour garder Hazard à Bollaert, les choses sont claires pour la famille : il faut sortir Thorgan de là.

Plusieurs pistes sont envisagées, un rachat du contrat de Thorgan par Eden est même évoqué, raconte Michaël Marcou. Et puis, Eden signe à Chelsea, et embarque son frère avec lui. D’emblée, le monde du foot crie au transfert diplomatique.  » S’il ne s’appelait pas Hazard, il ne serait pas un joueur de Chelsea «  analyse le Bleacher Report. Thorgan ne serait donc là que pour faciliter l’acclimatation d’Eden dans un club désireux de ne plus revivre le fiasco HernanCrespo. Débarqué à l’été 2003 contre 26 millions d’euros, l’Argentin a déprimé dans le brouillard londonien, et ses buts ont rapporté à peine plus d’argent que son départ pour 0 livre cinq ans plus tard.

Chelsea, le Essevee et les Diables

Hors de question qu’une telle mésaventure se reproduise avec Eden. Le club met toutes les chances de son côté, et tant pis si RomanAbramovitch doit cracher un million supplémentaire pour faire venir le frangin à Londres. Transfert diplomatique, donc. Michaël Marcou confirme :  » Il est clair que si Eden ne va pas à Chelsea, ils ne vont pas chercher Thorgan.  »

Sorti de l’engrenage lensois, Thorgan Hazard dispute quelques matches avec la réserve des Blues avant de songer à un prêt. On évoque un retour en France, deux ou trois touches concrètes avec des clubs de D2 anglaise mais, à la surprise générale, c’est le stade Arc-en-Ciel de Zulte Waregem qui voit débarquer Hazard.

La Belgique est sceptique : de FrançoisKompany à JordanLukaku, on lui a déjà vendu beaucoup d’histoires de petit frère plus fort, et il n’y a qu’avec les Mpenza que ça a marché. Mais pendant que tout le monde joue à la comparaison, un homme voit plus loin : c’est FranckyDury. Et le SirAlexFergusondu Essevee tape dans le mille.

 » Zulte Waregem, c’était le bon choix. Dury l’a vu comme un joueur à part entière, et pas seulement comme le frère de l’autre « , souligne Jean-François Rémy. Bob Browaeys pousse l’analyse plus loin :  » Francky Dury est l’entraîneur idéal pour un jeune qui doit encore apprendre. Cette période de deux ou trois ans, c’est l’étape la plus difficile : le joueur doit prester, pour le club et ses supporters, mais il doit aussi se développer en faisant des erreurs. Dury lui laisse cette liberté de faire des erreurs, tout en lui expliquant encore des détails sur le plan tactique.  »

Thorgan trouve très vite sa place dans un groupe qui mêle la fougue des Bruno Godeau, Junior Malanda et BryanVerboom avec l’expérience des DavyDefauw, MbayeLeye ou FranckBerrier. Des ingrédients qui se mélangent parfaitement pour la meilleure recette de l’histoire de Zulte Waregem.

Au fil des matches et des performances de plus en plus spectaculaires, Hazard n’est plus seulement un frère, comme l’explique Davy De fauw à BeDiables.be à l’aube des Playoffs :  » Maintenant, les journalistes ne viennent plus pour parler de son frère, ils viennent d’abord pour parler de lui.  »

La comparaison ressurgira toutefois en fin de saison, à l’occasion d’un stage de l’équipe nationale aux États-Unis auquel MarcWilmots convie Thorgan Hazard. Pour la première fois de leur carrière, les deux frangins évoluent dans le même groupe. Ils n’auront pas la chance de fouler la pelouse américaine de concert, la faute à une blessure qui a également privé Eden de finale d’Europa League, mais tous deux s’accordent à dire que ce n’est que partie remise.

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Thorgan a dû travailler plus qu’Eden pour en arriver là où il est aujourd’hui.  » Michaël Marcou, son ancien coach chez les Diablotins

 » Il essayait toujours de faire le fayot mais, à chaque fois, il se faisait griller par les coaches.  » Raphaël Varane, son ex-coéquipier à Lens

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