UN DON, c’est tout

Pierre Bilic

Entraîneur à Wellin, l’ancien artiste de D1 se souvient du passé mais vit aussi au temps présent.

Il est 16 h 30, Guy Dardenne entre à l’heure prévue en gare de Namur.  » Je déteste arriver en retard « , dit-il en venant à notre rencontre. Les voyageurs sont de passage devant le zinc du buffet de la nouvelle station, demandent un noir serré ou une bonne bière d’abbaye en attendant l’express ou le tortillard qui les ramènera chez eux.

Dehors, une noria d’autobus emmène des gens pressés vers Malonne, Jambes, Belgrade, etc. C’est la vie comme elle va et Guy Dardenne, 49 ans, barde d’une autre époque, en a épousé le rythme.

 » J’ai vécu uniquement du football jusqu’à l’âge de 40 ans « , explique-t-il.  » Grâce à l’ancien président de Rochefort, Jacques Hutin, j’ai obtenu un poste d’employé à la Justice de Paix. Plus tard, j’ai été… transféré de la Famenne à l’Auditorat du Travail de la capitale wallonne. J’y ai été reçu avec chaleur et l’ambiance de travail est remarquable. A 40 ans, même si j’avais déjà exercé des petits boulots en jouant ou en entraînant dans les divisions inférieures, je me suis réorganisé. J’habite à Beauraing et à 7 h 46 je prends le train à Dinant où ma femme travaille chez un notaire. Le soir, à Namur, je saute généralement dans celui de 16 h 40 « .

Guy Dardenne commande une Ciney blonde, nous optons pour une brune. Des tas de souvenirs vont défiler : débuts à Beauraing, transfert au Standard à 18 ans, La Louvière, Lokeren, RWDM, Bruges, retour à Sclessin, Seraing, Francs Borains, Rochefort, Namur, Bastogne, Tellin, Wellin. Il remisa ses chaussures d’entraîneur à Rochefort en 1995.

 » Mais je fais parfois une exception « , avance-t-il en riant.  » Cette saison, à Sainte-Ode, l’effectif était un peu juste et j’ai joué une bonne demi-heure. J’en suis à ma cinquième saison avec ce club en P1. Wellin éprouve un peu plus de problèmes que prévu mais nous lutterons jusqu’au bout. La province de Luxembourg, c’est ma tasse de thé. J’y aime le côté festif et convivial du football. Avant Wellin, j’avais passé deux saisons à Tellin et une à Bastogne. Les Ardennais sont des sportifs fidèles. Ils respectent la réussite de Michel Renquin, Etienne Delangre, Antony Englebert, Philippe Albert, Roch Gérard, etc. On trouve encore du talent mais moi je crois surtout à Namur. Mon fils, Grégory, 22 ans, joue à Wellin. Il mérite sa place et cela ne me pose aucun problème de sélection. C’est un battant mais il est plus guindailleur que je ne l’étais et a du mal à ne pas sortir. Je serais mal placé pour lui adresser des reproches à ce propos « .

Au fil de sa carrière, Guy Dardenne a croisé des tas de vedettes dans ses différents clubs  » Si je déteste une chose, c’est bien les joueurs qui se croient arrivés. On a un don et c’est tout. Pas de quoi fouetter un chat « .

Il s’est fait un plaisir de sélectionner un onze d’or avec ses anciens équipiers :  » A mon avis, cette compo tiendrait facilement la route au top de la D1 actuelle. Cette équipe, je la confierais à George Kessler. Ce dernier fut mon meilleur entraîneur. On a parfois dit qu’il n’était pas un maître tacticien. C’est stupide. Je n’ai jamais gagné un match grâce à un coach. Ce sont toujours les joueurs qui font la différence sur le terrain. Kessler avait insisté pour que je reste à Bruges malgré une première saison très délicate. Nous nous étions sauvés sur le fil. Le coach me parlait beaucoup et m’affirmait que j’étais le meilleur. Par la suite, j’ai appris qu’il avait dit la même chose à d’autres mais cela n’avait pas d’importance : il croyait en moi « .

 » J’ai vu pleurer Gerets  »

Pour le poste de gardien de but, Guy Dardenne n’hésite pas un instant : Michel Preud’homme :  » Un pro et un énorme travailleur. Ce perfectionniste ne jouait pas pour épater la galerie. Il laissait le cinéma aux autres. Michel Preud’homme n’a pas été élu pour rien meilleur gardien de but du monde après la Coupe du Monde 94. Au back droit, je retiens évidemment Eric Gerets. Techniquement, je ne le comparerai jamais à Paolo Maldini. C’était pas un doué mais il a réussi à force de volonté. Eric ne pensait qu’au football. Il ne rigolait jamais. Moi, je me marrais toujours. A l’entraînement, quand je lui faisais un petit pont, il hurlait, pestait, me poursuivait. Eric ne prenait pas de recul par rapport au football. Je me souviens d’un tournoi à Badajoz, en Espagne. A la mi-temps d’un match, Cor Vander Hart nous retira du jeu sous les yeux de Roger Petit. Eric Gerets ne comprenait pas et pleura dans le vestiaire. Il ne faisait jamais rien de gratuit sur un terrain. Tout était placé sous le signe de l’efficacité mais il a bouffé pas mal de stars. Au centre, en tant que libero, je place Michel Renquin. Quel culot. Lui, il tentait en match des trucs que d’autres n’osent faire qu’à l’entraînement. Il était animé par une immense confiance en lui. Techniquement, Michel était au-dessus du lot. Cet Ardennais a passé le plus gros de sa carrière au back gauche mais sa vraie place, c’était au centre de la défense. Quand il avait quelque chose à dire, il ne se gênait pas. Tomislav Ivic n’en voulait pas à Anderlecht ? Renquin a pris son sac et est parti en Suisse. Les Mauves ont commis une erreur sur ce coup-là : Renquin, c’était le talent à l’état pur. Je n’ai connu qu’un autre joueur ayant le même caractère : Michel De Wolf. Un jour, il s’est fâché avec Johan Boskamp au RWDM. De Wolf a quitté l’entraînement et on ne l’a plus revu durant une semaine. Il était prêt à reprendre sa salopette et à aller travailler aux Forges de Clabecq mais Molenbeek l’a finalement convaincu de revenir mais ce ne fut pas facile. Devant Renquin, je place Ronald Spelbos. C’était un produit de l’école hollandaise. Avant lui, je considérais que les stoppeurs étaient juste bons à marquer un adversaire à la culotte. Théo Poel, que j’avais connu au Standard, était le représentant idéal de cette race. Spelbos, lui, prenait part au jeu, construisait, relançait et pensait à la tactique. A gauche, je retiens l’élégant Maurice Martens qui débordait bien. C’était un joueur propre qui ne misait jamais sur la brutalité « .

Pour la ligne médiane, le choix sera vite fait aussi :  » Quand je suis arrivé au Standard, Wilfried Van Moer était toujours là. C’était un monstre sacré. Pourtant, il ne se prenait pas la tête. Wilfried avait toujours l’un ou l’autre conseil pour les jeunes. Ce médian défensif était le penseur et le meneur de jeu du Standard. Dans le jeu, il nettoyait un paquet de ballons sales. Rien n’était jamais perdu. Franky Van der Elst n’avait pas son talent mais lui aussi orchestrait le jeu de son équipe, à Bruges et en équipe nationale, au départ d’une position d’abord défensive. Van Moer ne s’énervait jamais et passait son temps à dévorer de gros romans avant les matches. A côté de lui, plus au centre, j’installe Marc Degryse. A 17 ans, ses débuts en D1 firent sensation. Marc Degryse était un dribbleur, ce qui est devenu une denrée rare. Je retiens donc sa classe, sa facilité, sa lecture du jeu, son sens collectif, son sens du but. C’était un malin et il jouait la tête levée, ce qui était le signe des grands. Je le trouvais plus efficace mais moins élégant qu’ Enzo Scifo avec qui je n’ai jamais eu le bonheur de jouer. A gauche, j’ai toujours été impressionné par Alex Querter. Il n’a jamais défrayé la chronique mais il balayait son flanc et savait porter le danger dans le camp adverse « .

En ce qui concerne son trio d’attaque, le citoyen de Beauraing a retenu trois noms : JanCeulemans, Wlodek Lubanski et Preben Larsen :  » Lubanski est, de loin, le joueur qui m’a le plus impressionné durant ma carrière. Ce fut une star en Pologne et un joueur de classe mondiale. Lokeren le récupéra après une fracture de la jambe. Il ne tarda pas à redevenir un seigneur de l’attaque. Lubanski avait un impact incroyable sur le jeu de Lokeren. Mais ce génie pensait d’abord au collectif. Je me souviens des remontrances qu’il adressa à Larsen après un but contre Hasselt. Lubanski lui reprocha d’avoir agi seul alors que j’étais bien placé pour réceptionner une passe en retrait. Larsen était un chien fou, un joueur parfois un peu fêlé même. Il était rapide, puissant, réaliste et dribblait toujours dans le sens du but. Le Danois ne perdait jamais de temps. Sa réussite en Italie ne m’étonna pas. Il doit beaucoup à Lubanski et à Lokeren. Enfin, je n’oublierai pas Ceulemans. Bruges ne serait pas devenu Bruges sans lui. C’était la simplicité tant comme joueur qu’en tant qu’homme. Avec lui, toutes les balles méritaient une bataille. Il se livrait entièrement de la première à la dernière minute de jeu. Jan Ceulemans pesait sur les défenses adverses et quant il déroulait son grand compas, c’était pour aller jusqu’au bout. Je ne ferais pas le poids dans cette équipe « .

 » Baseggio, c’est un nouveau Van Moer  »

En ce qui concerne l’époque présente, les choix de Guy Dardenne prouvent que sa ferveur du jeu offensif est demeurée intacte :  » C’est pour celaque je ne serai jamais entraîneur en D1. Je suis pour l’attaque à tout prix. Pour moi, il faut que cela rigole sur une pelouse. Les entraîneurs prennent leurs précautions : c’est la dictature des résultats. J’estime que Lokeren a réalisé une très bonne affaire en faisant revenir Filip De Wilde d’Autriche. Je l’ai rarement vu jouer un mauvais match et quand cela arrive, il est le premier à reconnaître ses erreurs. De Wilde est encore et toujours un des meilleurs portiers belges. A mon avis, il participera grandement au sauvetage de Lokeren. Au centre de la défense, je retiens Vincent Kompany : jeunesse, classe folle, bon placement, taille, relance. Il défend bien sans tackler. Un défenseur à terre est un défendeur battu. Son short n’est jamais sale. A 17 ans, c’est rare. Il est passé à côté de certains matches, comme face au Standard et cela arrivera encore mais c’est une défense à lui tout seul pour reprendre les paroles d’un dirigeant de Wellin. Il récupère, relance : que demander de plus ? A côté de lui, HannuTihinen est sérieux, stable, intelligent : c’est un duo central complémentaire. A droite, personne ne m’épate en Belgique. Onder Turaci a encore du chemin à parcourir mais il y a une place à prendre à droite en équipe nationale car Eric Deflandre et Olivier DeCock n’y planent pas. A gauche, Stéphane Van der Heyden reste un gage de sérieux et d’application.

Ma ligne médiane sera évidemment offensive. Je confie le boulot de récupération à Timmy Simons. C’est un crack en la matière. Toujours bien placé, excellent dans les airs et à la récupération. Il permettrait au duo Pär ZetterbergWalterBaseggio de carburer à plein régime. Les résultats donnent raison à Hugo Broos… C’est un ancien arrière et il pensera toujours prudemment. Moi, je suis un ex-attaquant et Zetterberg jouerait tout le temps. C’est la classe et la classe est tellement rare qu’on ne devrait jamais s’en passer. Je ne dis pas que ce serait plus efficace, c’est autre chose. Mais pour faire pétiller le jeu, c’est plus facile avec lui. Baseggio monte en puissance. Il est devenu l’architecte des Mauves. Il me fait penser à Van Moer : il sait arracher un ballon, est terrible de la tête, a une lourde frappe et son jeu à distance est excellent. Je le trouve de plus en plus autoritaire « .

Un voyageur reconnaît Guy Dardenne.  » Une Ciney blonde et une brune de la part de Monsieur au comptoir « , signale le garçon.

 » Je suis la D1 à la loupe avec Match 1 « , dit Guy Dardenne.  » La réussite de Luigi Pieroni est superbe. On n’a plus voulu de lui au Standard. Ce fut mon cas aussi. Roger Petit me céda à La Louvière. Ce fut le début de mon ascension. Le 21 décembre 1977, je prenais part à Belgique-Italie à Sclessin.. C’était le premier de ses 11 matches en équipe nationale de 1977 à 1980 Je tenais ma revanche. Après son passage à Liège, Pieroni a bien fait d’opter pour Mouscron même s’il avait une petite offre du Standard. A Mouscron, il peut apprendre calmement son métier. Au Standard, il y a une pression pas possible. N’empêche, sans parler de revanche, il a déposé deux fois sa carte de visite dans la cage de Fabian Carini à Sclessin. Il est grand, fort de la tête et ne se pose pas de question pour sa première saison en D1. C’est un pivot qui ne force pas. Pieroni frappe mais il sait aussi jouer dos au but. Emile Mpenza a le meilleur coup de rein de l’élite. Quand il grille un défenseur, on ne le reprend plus. A mon avis, Emile est plus fort que Mbo. Il est plus explosif et est désormais plus calme à la finition. S’il continue de la sorte, sa carrière sera totalement relancée après ses mésaventures allemandes. Aruna Dindane mérite évidemment son Soulier d’Or. Même quand il est mauvais, je le trouve bon. Dindane invente sans cesse, tente des trucs qui, à la longue, même quand il ne joue globalement pas bien, font la différence. Je l’adore. Aruna Dindane et Emile Mpenza ne sont pas des rapaces du rectangle adverse. Ce ne sont pas des Gerd Muller. Le buteur de légende du Bayern Munich attendait son moment. Dindane et Emile galopent trois fois plus que Muller autrefois, se replient, défendent. Je confierais cette équipe à GeorgesLeekens. C’est un malin et un homme de métier. Quelle heure est-il ? 18 h 10. Je vous laisse, j’ai un train pour Dinant dans cinq minutes « .n

Guy Dardenne a composé la meilleure équipe possible avec ses anciens équipiers de D1 (il ne s’est pas sélectionné !)

et l’oppose à son 11 idéal de l’élite actuelle. Ce serait un beau match…

Pierre Bilic

 » LES JOUEURS FONT LA DIFFéRENCE. Jamais le coach « 

 » Le Standard m’a viré et J’AI éTé INTERNATIONAL… « 

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