Un désastre

Les meilleurs attaquants finissent par partir et ne sont jamais remplacés. Cette saison, la politique de transferts sans flair a, en plus, reçu le coup de grâce de Frankie Vercauteren.

Toutes compétitions confondues, Anderlecht a disputé cette saison, sous la gouverne de FrankieVercauteren, un total de 19 matches, ventilés comme suit : 8 victoires, 4 revers et 7 partages. Pour un favori tout désigné dans la course au titre, paré de cadors comme Nicolas Frutos, Ahmed Hassan, Mbark Boussoufa voire Serhat Akin aux avant-postes, il tombe sous le sens qu’il en va de chiffres désolants. La direction anderlechtoise l’a d’ailleurs bien compris : elle a finalement décidé de se séparer de son coach, la semaine passée, au profit du T2, Ariel Jacobs. A charge pour lui d’inverser au plus tôt une tendance franchement calamiteuse qui se vérifie également au plan d’autres chiffres. Avec 24 buts marqués et 19 encaissés dans ces épreuves (dont un rapport 19-13 rien qu’en championnat), le Sporting est loin, très loin, des chiffres de ceux qui le précèdent au classement. La différence est surtout sensible au plan de la division offensive, car après un bon tiers de compétition à peine, les avants concèdent déjà un retard de 9 buts sur leurs homologues du Standard et même 8 face à un larron qu’on n’attendait pas en aussi bonne position : le Cercle Bruges. La ligne d’attaque anderlechtoise, depuis toujours le point fort du club, a donc indéniablement perdu de sa superbe avec l’ancien entraîneur. Plusieurs facteurs, répertoriés ci-dessous, sont sans doute susceptibles de l’expliquer.

Le départ de Mémé Tchité

Le passage de l’Africain au Racing Santander, lors de l’ultime journée de la campagne des transferts, a indéniablement laissé un vide qui n’a pas été comblé jusqu’ici, et qui ne le sera probablement plus cette saison sauf si un buteur de haut vol devait être acquis à la faveur du prochain mercato (voir cadre à ce propos). C’est que l’ancien Standardman possédait une qualité que des garçons comme Mbark Boussoufa ou encore Ahmed Hassan n’ont pas dans les mêmes proportions : celle de pourfendeur des défenses. Avec un appréciable total de 20 goals et de 10 passes décisives sur l’ensemble de la défunte campagne, Tchité aura pris à son compte près de 40 % de la production offensive de son club. De quoi reléguer ses compères marocain (8 buts et 13 assists) et égyptien (12-4) à distance très respectable.

Quand on a la chance de compter pareil réalisateur dans ses rangs, on s’efforce bien sûr de le garder. Demandez plutôt aux dirigeants des Rouches qui se sont fréquemment mordus les doigts d’avoir vendu pour la somme modique d’1,5 million d’euros celui qui allait grandement contribuer au titre du RSCA la saison dernière. Mais sous le double prétexte que l’intéressé ne marchait pas depuis le début de cet exercice et qu’il fallait aussi renflouer les caisses en raison d’une absence en Ligue des Champions, les dirigeants ont sauté sur l’occasion de le refiler à Santander pour 8 millions d’euros.

Dans l’intervalle, on ne pourra évidemment pas leur reprocher de ne pas avoir réalisé une plus-value intéressante avec le joueur. Mais, à l’arrivée, le jeu en vaudra-t-il pour autant la chandelle ? Un même cas de figure s’était présenté en 2000-01, dans une proportion plus grande encore, puisque le club s’était séparé d’un seul coup d’un trio de joueurs, Jan Koller, Tomasz Radzinski de même que Bart Goor qui, eux, avaient pris à leur compte 70 % des buts paraphés par leurs couleurs. Ici aussi, la direction s’était frotté les mains en palpant au total près de 20 millions d’euros. La suite allait se révéler nettement moins glorieuse avec une simple figuration au plus haut niveau européen en 2001-02 (avec une sévère dégelée par 1 à 5 contre le Lokomotiv Moscou, entre autres) et la cession du titre au Racing Genk. Plus loin dans le temps encore, les pontes du Sporting ne furent pas mieux inspirés en cédant, par exemple, Luc Nilis au PSV Eindhoven. Le puncheur limbourgeois avait, certes, défendu pendant une demi-douzaine d’années les intérêts de la maison mais, marquez pas de chance, ce n’est qu’aux Pays-Bas qu’il allait pleinement se réaliser…

L’indisponibilité de Nicolas Frutos

En matière de sens du but, un joueur anderlechtois actuel se rapproche de la moyenne réalisée par Tchité en championnat (20 buts en 34 matches) : Nicolas Frutos, qui a inscrit 25 goals en l’espace de 41 rencontres. Le hic, avec lui, c’est que cet appréciable total a été obtenu en l’espace de trois saisons (9 buts en 14 matches en 2005-06, 14 en 24 rencontres l’exercice passé et 2 en 4 apparitions au cours de la campagne actuelle). L’Argentin carbure donc, grosso modo, à une moyenne de deux buts par tranches de trois matches et les statistiques d’Anderlecht, avec lui, vont dans le même sens puisqu’il avait permis aux Mauves d’engranger 30 unités sur 42 la première année, 57 sur 72 en 2006-07 et 8 sur 12 cette saison. En matière de services décisifs, le héron de Santa Fé est toutefois nettement moins performant que son ancien complice africain, dans la mesure où il ne compte que 4 assists à son compteur personnel depuis ses débuts au Sporting en janvier 2006.

Bizarrement, l’association à la pointe de l’attaque de l’ex-joueur d’Independiente avec Tchité n’a jamais engendré de flambée au marquoir : un but à peine toutes les 119 minutes alors que le rapport est de 1 goal toutes les 76 minutes avec Serhat Akin. Frutos n’est toutefois jamais aussi prolifique que lorsqu’il occupe la partie centrale d’un trident aux avant-postes : un but par tranche de 53 minutes. Indépendamment du 4-2-3-1 parfois utilisé par Frankie Vercauteren lors de ses derniers matches à la tête des Mauve et Blanc cette saison, le 4-3-3 avait été le plus souvent à l’honneur au départ de cette saison. Dans ce rôle central cependant, ni Cyril Théréau, ni Mbo Mpenza n’étaient parvenus à faire oublier le longiligne Nico. Il est vrai que l’ancien entraîneur ne leur avait guère donné non plus l’occasion de se faire valoir.

Les bannis de Frankie Vercauteren

Avec Vercauteren, ça passe ou ça casse. Certains, pour on ne sait quelle raison, ont toujours eu droit à sa mansuétude. Comme Mark De Man par exemple. D’autres, en revanche, ne sont jamais entrés dans ses grâces, sans qu’on ne sache trop pourquoi. Théréau était de ceux-là. Dès sa venue, le coach lui a avoué qu’il ne correspondait pas au profil de joueur qu’il voulait. Mais quant à savoir à quoi il correspondait exactement, le Français attend encore une réponse qui ne viendra plus, de toute façon. Un autre avant originaire de l’Hexagone, Grégory Pujol, n’avait guère eu droit à davantage d’estime de la part du coach anderlechtois la saison passée. Pourtant, on ne peut pas dire qu’il était dénué de qualités. La preuve : c’est lui qui, vendredi dernier, a inscrit deux des trois buts de son équipe, Valenciennes, à l’occasion du premier match amical sous la férule du nouveau T1, Ariel Jacobs.

Une rencontre où un autre joueur snobé plus souvent qu’à son tour par Vercauteren, Mpenza, se signala en inscrivant in extremis le but de l’égalisation à 3-3. Allez savoir pourquoi, mais l’aîné des frères Mpenza n’a jamais fait partie, non plus, des priorités avec l’ancien mentor, alors qu’il n’aurait sûrement pas usurpé sa place à certains moments. Les deux buts précieux qu’il a inscrits en Ligue des Champions à Lille, la saison passée, sont là pour le rappeler. On ne peut pas dire non plus que l’ex-entraîneur portait Oleg Iachtchouk dans son c£ur. Il avait beau dire que le Belgo-Ukrainien jouerait toujours sous sa coupe s’il n’était pas aussi fréquemment blessé, Vercauteren a régulièrement fait la politique de l’autruche quand Tchouki était malgré tout opérationnel.

Sans compter qu’il avait réussi aussi à dégoûter Akin un jour. Dans le car qui ramenait les joueurs d’un déplacement, le Turc, de confession musulmane, avait effectivement eu l’outrecuidance de se plaindre parce qu’il ne restait que des petits pains au jambon.  » Tu n’as qu’à manger comme tout le monde « , lui avait rétorqué le coach. Difficile d’avoir la cote auprès du joueur dans ces conditions. Sans compter l’indignation suscitée auprès des autres…

Les élucubrations tactiques du coach

Depuis son entrée en fonction, le 7 février 2005, jusqu’à son limogeage le 12 novembre, Vercauteren avait multiplié les approches tactiques. Avant le 4-3-3 et le 4-2-3-1 en vigueur cette saison, il s’était précédemment montré favorable au 4-4-2, au 4-5-1 et même au 3-4-3 à ses tout débuts. Ces variantes sont probablement de nature à expliquer pourquoi une certaine cohésion a rarement été relevée durant tout ce temps en front de bandière. Sans compter que certains joueurs ont dû composer aussi, dans le même intervalle, avec des changements de position. Hassan, par exemple, a été trimballé sur tout le front de l’attaque tandis que Boussoufa a dû s’exprimer tantôt à gauche, tantôt à droite. Si l’Egyptien a souvent tiré son épingle du jeu, malgré tout (mais dans une moindre mesure quand même cette saison), c’est parce qu’il s’est souvent soucié comme d’une guigne des recommandations du coach.

Pour son copain marocain, la donne était foncièrement différente. L’ancien Ajacide a toujours respecté à la lettre les instructions de Vercauteren. A la limite, il aurait été prêt à coulisser de la place d’extérieur gauche à celle de back droit si l’entraîneur le lui avait demandé. Habitué à un rôle d’homme libre à La Gantoise, sous la houlette de Georges Leekens, le pocket player a éprouvé beaucoup plus de difficultés à s’exprimer dans le RSCA de Vercauteren. Il est vrai que sa mission consistait autant à contrecarrer l’adversaire qu’à mettre ses propres qualités au service de ses coéquipiers. Un détail qui en dit long, à cet égard : pour les besoins du déplacement à Aalborg, face à un adversaire qui n’était quand même pas un foudre de guerre, l’entraîneur avait poussé le souci du détail jusqu’à fournir une fiche signalétique, avec taille et poids, de chacune des composantes de l’équipe danoise. Comme s’il était important de savoir, pour Hassan, s’il allait jouer contre un gars d’1,73m ou 1,83. Il est aisément compréhensible, dans ces conditions, que l’Egyptien en ait eu ras-le-bol qu’on parle davantage de l’opposant que des forces du RSCA.

L’absence de véritables clones à l’avant

Si le RSCA fourmille de solutions de rechange à l’arrière, sans altérer les potentialités de l’équipe (les défenseurs centraux NicolasPareja, RolandJuhasz, Max Von Schlebrügge, Mark De Man et Jelle Van Damme peuvent à peu près tous être rangés dans le même), le topo est manifestement différent dans les deux autres secteurs et, essentiellement, devant. Quand Hassan n’est pas là, impossible de trouver dans le noyau un joueur qui présente strictement le même profil que lui. Ce qui engendre des difficultés lorsque le Sporting est amené à devoir faire le jeu. Une remarque identique est d’application à Frutos, qui n’a pas non plus d’alter ego à Anderlecht. Le seul qui aurait pu se rapprocher un peu de lui, Dieumerci Mbokani en l’occurrence, a été transféré au Standard cet été. Encore un, au demeurant, que Vercauteren ne tenait pas en haute estime.

Le Congolais n’aura pas l’occasion de se rattraper au Parc Astrid, suite au changement d’entraîneur. Théréau, lui, aura bel et bien cette opportunité et s’est d’ores et déjà rappelé au bon souvenir de tous en étant crédité d’un excellent match à Valenciennes. Un constat qui peut être étendu également à Mpenza. De tous les laissés-pour-compte, c’est vraisemblablement lui qui doit pousser le plus grand ouf de soulagement suite à la décision prise par la direction de se séparer de Vercauteren. Même s’il a toujours fait contre mauvaise fortune bon c£ur, l’aîné des frérots en avait soupé d’un coach qui, au tout début de la présente campagne encore, lui avait déclaré qu’il avait davantage sa place à Dender qu’au stade Constant Vanden Stock. Encore un bel exemple de considération et de psychologie !

par bruno govers- photos: reporters

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