Un dernier Hourra !

Un tribunal vient de lever les menaces de dissolution immédiate du Great Old qui rend visite au Standard, ce soir, en Coupe. Il reste toutefois pas mal de factures à payer …

Dès qu’on sort du ring d’Anvers à hauteur du Sportpaleis, dont le toit jadis vert est devenu bleu, les souvenirs affluent. Avant, les embouteillages commençaient ici et se poursuivaient jusqu’au parking du Matricule n°1. Ce n’était pas pour une Night Of The Proms mais pour le Royal Antwerp Football Club, quand il mobilisait encore les foules, quand il était encore une valeur sûre de la D1.

Nous sommes trop jeunes pour nous souvenir des exploits de WilfriedVan Moer mais nous nous rappelons AlfredRiedl, KarlKodat, FlemmingLund et LaszloFazekas. Plus tard, il y a eu DimitriDavidovic, Frans van Rooy, RudySmidts, Hans-Peter Lehnhoff… Nous avons écouté les conférences de presse de George Kessler et entendu Wem-be-ley, quand la Métropole s’était teintée de rouge et blanc, à l’occasion de la finale de Coupe UEFA 1993… perdue contre le Parme de Georges Grün.

L’avenue n’a guère changé. Les premiers mètres sont toujours en pavés, il faut toujours franchir cet étrange rond-point avant de reprendre la R1, les garages sont toujours les mêmes. Seule la station à essence précédant la rue menant au Bosuil a disparu. L’entrée du stade est triste. C’en est terminé de se parquer le long de l’étang, on n’entend plus le bruit de fond des joueurs de tennis qui profitaient ensuite du soleil sur la terrasse du chalet voisin. Le club de tennis a disparu, en faillite selon certains. Quatre terrains ont suivi en 2003, le football ayant besoin de places de parking pour les cars des supporters visiteurs. La Ville est intervenue et a inauguré en grande pompe deux terrains en terre battue mais cela n’a servi à rien. Un chalet en ruines reste le témoin du passé sportif des Rouge et Blanc.

Peu après l’entrée, le bâtiment des business-seats s’orne d’une pancarte qui annonce une vente d’occasions. Un plus grand panneau annonce l’arrivée du KSK Heist. Le prochain match à domicile en D2 (joué le week-end dernier). Jadis, on a joué Belgique-Pays-Bas dans ce stade, et Antwerp-Real.

Le couteau sur la gorge

Certaines choses ne changent pas. Ainsi, comme du temps du professionnalisme, l’entraînement de l’équipe-fanion se déroule-t-il toujours en journée, commenté par de vaillants septuagénaires et octogénaires. L’Antwerp doit encore receler des talents car deux managers sont présents.

Ces vieux messieurs du quartier viennent tous les jours, qu’il y ait entrainement ou pas. Çois a même sa place attitrée à la cafétéria et un coussin orne sa chaise. Çois a 86 ans et il viendra tant que le café sera bon, comme Jozef, de deux ans son cadet. Çois :  » A la maison, je suis tout seul.  »

Les autres l’ont entendu :  » Hé, ne te laisse pas aller. « 

Vous me direz qu’ils ont toujours été critiques et pessimistes mais maintenant, ce sentiment est exacerbé. Jozef :  » Comment va l’Antwerp ? Mal. Il n’a guère de perspectives. Nous espérons toujours que ça ira mieux et que les dissensions internes vont s’apaiser, mais le club est en difficulté. Moins financièrement qu’au niveau de la direction. « 

Les deux éléments sont évidemment liés, nos messieurs ne sont pas naïfs. Qu’importe, bon ou mauvais, le club fait partie de leur vie. Jadis, il les enchantait. Jozef se souvient encore de la période de guerre, quand les primes étaient versées en grains, puis les années suivantes, quand l’Antwerp était champion.

 » L’après-guerre a été la plus belle période « , confie-t-il avec nostalgie.  » Nous avions alors beaucoup d’internationaux et le football anversois avait la cote en Belgique. C’était l’époque de l’entente anversoise, nous avions trois grands clubs : Berchem, le Beerschot et l’Antwerp. Tout s’est détérioré, par envie et à cause d’une mauvaise gestion, pour ne citer que deux causes car il y en a beaucoup. « 

La fierté reste.  » Nous accueillons autant de monde que tout le reste de la D2 : tout président rêve d’un public pareil. Mais notre situation éclipse tout le reste car nous avons le couteau sur la gorge. Les procès se succèdent et je crains que cela ne mène l’Antwerp à sa perte. A propos, pour quel journal travaillez-vous ? Voilà comment je décrirais la situation… et j’espère que vous pourrez en faire un article raisonnable. « 

Au stade terminal

Que signifie raisonnable au Bosuil, où la presse n’est pas bien vue ? Dans la maisonnette du concierge, un rideau se ferme. On n’aime pas les visiteurs étrangers. Jos vit ici depuis des années. L’Antwerp est une ASBL. Quand la Justice lui envoie des personnes condamnées à des travaux d’intérêt général, ce qui est fréquent, Jos les reçoit et leur distribue des tâches. Tondre la pelouse, peindre, ce genre de choses… Avec sa femme, il s’occupe de la lessive, des vêtements, du matériel. Avant, trois familles habitaient le stade, il n’en reste qu’une.

Çois :  » Notre équipe en est au stade terminal. Nul ne peut plus la guérir. « 

L’assemblée intervient.  » Allez, Çois, quel pessimisme !  »

Çois se défend bien.  » C’est la réalité ? Vous voyez quand même ce qui se passe ? Le football n’est qu’argent et nous n’en avons pas. Tout peut s’achever très vite.  » C’est triste car ils ont connu un autre Antwerp, une autre équipe que celle qui évolue en D2 depuis 2004.

L’un d’eux tente de positiver :  » Le Beerschot n’a pas non plus de bonne équipe cette année. Vous me direz que le Beerschot ne nous intéresse pas, mais quand même. « 

 » Il recommence à négocier avec l’Ajax « , annonce Çois.  » Il veut louer des joueurs. « 

C’est le moment de fustiger la collaboration de l’Antwerp avec Manchester United.  » Elle ne fonctionne plus. « 

 » Que voulez-vous ? En décembre, ils étaient déjà tous partis. « 

 » Nous sommes premiers et ils nous prennent Dong. Sans ça, nous étions en D1. En plus, ils ne l’ont pas fait jouer, ils le voulaient juste pour vendre des maillots en Chine…  »

 » Dong était des nôtres. United aurait dû nous le laisser. « 

Désormais, le football est un commerce. Les supporters hochent la tête puis, aux alentours de midi, ils s’en vont, les uns après les autres, sous peine de problèmes domestiques.  » A la maison, c’est la femme qui commande. Je pars sinon ça va barder. « 

Parler de l’Antwerp revient à évoquer Eddy Wauters, au club depuis 60 ans comme joueur (champion en 57) puis, depuis le 20 mars 1969, comme président. C’est un record du monde, sans doute. Il a même entraîné deux saisons… Çois :  » Eddy Wauters ? Je ne le démolirai certainement pas. C’est incroyable qu’il parvienne à maintenir l’équipe à flots.  »

Jozef :  » Contrairement à ce que beaucoup prétendent, il est très compétent. On doit l’être quand on a été directeur de la Kredietbank ( NDLR, devenue la KBC). Il est diplômé d’une université américaine et est président depuis plus de 40 ans, on peut difficilement mettre en doute ses aptitudes. Quand on passe sa présidence en revue, on se rend compte qu’il a toujours tenu bon pendant la tempête et les procès. Même ses détracteurs ne peuvent le nier.  »

Jozef conserve-t-il l’espoir d’une issue positive ?

 » L’espoir ? A 84 ans, on ne pense plus à l’espoir. On vit au jour le jour. « 

Une bête de réunions

Eddy Wauters a souvent été au c£ur de la tourmente. En D1, il est souvent entré en conflit avec ses entraîneurs : Kessler, Haan… Un soir, après un match, Fazekas, anéanti par la pression et une bagarre avec ses joueurs, avait déclaré :  » J’arrête. Je m’en vais.  » Le monument était las. Wauters, lui, ne l’est jamais.

Il consacre 18 à 20 heures par jour à l’Antwerp. Il est constamment au téléphone, à la recherche de fonds ou de joueurs, à moins qu’il ne réfléchisse à la tactique avec ses entraîneurs ou à la gestion avec les administrateurs. Un jour, Karel Vertongen a dû le prier de ne plus téléphoner après minuit. Les journalistes n’étaient d’ailleurs pas tranquilles la nuit non plus…

Tout est une question de stratégie pour lui, confie un proche collaborateur :  » Wauters n’agit jamais spontanément. Il est aussi une bête de réunions. Tous les mardis soirs et encore avant chaque match à domicile avec le conseil d’administration, qui s’élargit, l’âge moyen devenant trop élevé. Mieux vaut être présent, sous peine d’essuyer un fameux savon. Tout le monde loue le bon sens de Wauters. Il met tout en £uvre pour le bien du club, même si cela suppose de payer des factures en retard ou pas du tout. Parfois, il s’agit de sommes dérisoires, comme pour les cours de langues. Très peu de grands managers font encore des affaires au Bosuil. Wauters ne supporte pas qu’ils gagnent de l’argent sur le dos du football. Evidemment, il descend la pente de ce qui est devenu un business… « 

Remonter parmi l’élite semble très difficile dans cette nouvelle culture. Wauters en attribue la faute à l’arrêt Bosman et à la nouvelle puissance des joueurs. Aujourd’hui, les huissiers commencent à faire partie des meubles. Par hasard, nous en voyons un passer, le lendemain.

 » Bonjour, Messieurs. Vous n’aimez pas me voir, je pense ? »

 » Allez-y, Monsieur, faites votre travail. « 

Un peu plus tard, quand l’huissier sort.  » Bonjour à la maison, hein !  » Au Bosuil, on reste philosophe.  » Nous payons mais en retard. Certains doivent patienter plus longtemps, ils se fâchent et font opérer une saisie. « 

Moralement, de nombreux membres du club n’apprécient pas cette façon de faire, qu’ils jugent humiliante pour l’Antwerp. Wauters s’en moque. S’en aller ? Jamais, tant qu’il vivra !

L’Antwerp plie mais il ne rompt pas encore. Juste après la rétrogradation en 2004, Wauters a énormément investi, de sa poche. Il a essayé trop longtemps et avec trop d’acharnement de revenir en D1, dit-on. Son budget était trop conséquent pour la D2. Le Great Old paye désormais les pots cassés.

Dans le temps, à six ou sept ans, un gamin signait sa carte d’affiliation à l’Antwerp et s’il n’était pas disposé à vous laisser partir plus tard, vous y restiez.  » Notre président est resté à cette époque « , entend-on en interne.  » Il ne grée pas un euro aux managers, tout doit lui revenir, pour le club. « 

Il peut être inhumain avec les autres mais il voue un amour sans bornes à son club. Si la situation actuelle le torture, il ne le montrera jamais, confie un proche :  » Ce n’est pas dans sa nature. Il est combatif et quand on montre qu’on souffre, on s’affaiblit.  » Or, le stratège ne veut pas être faible. Il a la parole dans les réunions, qui se déroulent sans agenda officiel, car il décide de l’enchaînement des thèmes. Il s’appuie sur une certaine supériorité intellectuelle et une mémoire prodigieuse. Dans un bon jour, il se révèle agréable causeur. Dans un mauvais jour, un entretien avec lui peut être très ennuyeux.

Jusqu’à la mort

 » C’est ce que je craignais. Ce sera le sujet de votre article !  » Frans Van Hove a un an de moins que son président, il fêtera bientôt ses 75 ans. Van Hove n’est pas anversois, il vient d’Herentals, en Campine, une terre de recrutement de l’Antwerp, de nos jours encore.

Si, d’après une récente enquête universitaire, le Beerschot recrute l’essentiel de ses supporters au centre-ville et du côté de Wilrijk, Aartselaar et Boom, ceux de l’Antwerp sont essentiellement issus du nord : Deurne, qui compte plus de 70.000 âmes, Merksem et le nord de la Campine. Les deux clubs peuvent donc très bien cohabiter. Et que donnerait une fusion ?

Dirk Willocx est en quelque sorte l’archiviste-maison :  » Une fusion de l’Antwerp et du Beerschot, ce serait comme la réunion d’Anderlecht et du Club Bruges. Cela ne marche pas comme ça. Les gens qui ne vivent pas à Anvers ne le comprennent pas. Pourquoi la fusion avec le Germinal Ekeren a-t-elle échoué ? Parce que nous voulions jouer sous le Matricule 1, au Bosuil, en rouge et blanc et sous notre nom. Evidemment, Jos Verhaegen n’a pas accepté. D’ailleurs, c’était encore plus compliqué en réalité, avec les terrains et tout ça, mais c’était le point de départ de notre club. N’oubliez pas que nous sommes le plus ancien, le Great Old, ça compte. Si nous étions le Matricule 3.565, nous aurions peut-être jeté l’éponge depuis longtemps.  »

C’est pour cela que Maged Samy, un des messies qui ont frappé à la porte ces dernières années, a été dédaigné. Sur papier, son système pyramidal avait fière allure : il allait prendre des parts du Lierse, de l’Antwerp et de Turnhout. Il aurait un club dans chacune des trois premières divisions nationales. Le club de D3 céderait ses meilleurs éléments au club de D2 et celui-ci ferait de même avec le club de D1. L’Antwerp a ricané : lui, aider le Lierse, qui était alors en D1 ? Samy était-il fou ? L’Antwerp voulait remonter.

Van Hove, directeur du stade depuis des décennies, est arrivé au club via la famille Collin, à la fin des années 50. Cet homme sage aime philosopher et il reste dans l’ombre.  » Vous avez sans doute besoin de copie ? Cherchez quelqu’un d’autre, alors.  » Pour lui, les journalistes sont des scribouillards qui parlent trop sans connaître grand-chose. Ceux qui savent se taisent généralement. Même après 55 ans de bons et loyaux services, il préfère observer le silence et ne se risque pas à la critique alors que les supporters, comme l’Anversois en général, sont critiques.  » L’Anversois en sait peu et parle sans réfléchir. Il doit attendre davantage avant de critiquer. Il jette des pavés dans la mare pour susciter des réactions.  »

Van Hove n’est absolument pas d’accord avec la situation sportive.  » Nous étions en bonne voie avec nos jeunes et voilà que nous optons pour d’autres solutions… « 

Il aime le club par-dessus tout, même s’il exprime peu ses sentiments. Sa petite-fille a bricolé une boule rouge et blanche, qu’il a accrochée dans sa voiture. Comme Jos, il a longtemps vécu au stade : 21 ans exactement. Il logeait là où travaillent les secrétaires et le comptable (deux jours par semaine). Nous sommes dans son living. A côté, il y a une petite cuisine. Au-dessus, une chambre pour les enfants. La douche se trouve dans la cuisine, même si la famille pouvait utiliser les vestiaires des joueurs. Van Hove n’a pas envie de vivre dans une maison chic pourvue de chambres dont on n’a pas l’usage. Les Campinois n’ont pas besoin de grandes villas, précise-t-il. Il a déménagé en 1988, quand le club a eu besoin de plus de place.

Il a vécu maintes belles périodes ici et des moins heureuses. Pour lui, l’Antwerp reste un club qui donne sa chance à de jeunes entraîneurs. Il raconte leur histoire, à commencer par celle de Guy Thys, avec enthousiasme. Il cite de mémoire l’équipe championne de 1957. Il ne jette rien, même pas la carte d’excuses que lui a envoyée un gars de la TV qui, après avoir effectué un reportage sur le projet de fan coaching du club, avait coupé son interview. Van Hove :  » J’avais sans doute émis quelques propos durs qui avaient déplu. Je suis d’Herentals et je dis les choses comme elles sont.  » C’est ainsi qu’il a déclaré que Vic Mees, à l’automne de sa carrière, n’était plus bon à rien. Affirmer pareille chose à l’Antwerp est un sacrilège mais il avait osé. Plus tard, Mees était devenu un de ses amis.

Directeur du stade, c’est un fameux poste. En pratique, cela implique de mettre partout la main à la pâte. Au début, il n’avait pas grand-chose à faire : inscrire les joueurs et organiser les matches. Au fil du temps, on l’a chargé de toutes sortes de tâches mais il cite un philosophe anglais :  » C’est celui qui s’adapte et qui apprend qui gagne. Pas le scientifique. « 

Brusquement, il interroge :  » Avez-vous encore connu la radio de guerre ? Ah non, évidemment.  » Le football était alors réservé à ceux qui pouvaient venir au stade à pied. Les autres devaient se contenter de la radio. Van Hove :  » J’ai découvert ce monde mythique quand la Gazet van Antwerpen parlait encore de son équipe. Maintenant, la Gazet van Antwerpen est… non, pas la gazette du Beerschot mais celle d’Anderlecht.  »

L’amour de son club grandit-il ?  » Ce n’est pas directement de l’amour. Je ne dirai jamais : – Antwerp till I die. J’apprécie surtout ce que j’ai réalisé. A vous, le scribouillard, je dis : -Ne vous trompez pas. Vous ne pouvez distinguer les vrais supporters, vous tombez souvent sur les autres. Si vous voulez vous faire une image erronée du club, demandez leur avis aux personnes extérieures au club. Un Campinois dit ce qu’il pense. Un Anversois voit les choses de manière à pouvoir les vendre. Et l’éthique n’étant plus ce qu’elle est, il transforme les choses jusqu’à ce quelles soient vendables.  »

C’est ce que l’Antwerp doit tenter de faire : vendre le sleeping giant au plus offrant car il s’agit de sa survie. Van Hove :  » La population n’a pas perdu son enthousiasme et répond présent quand il se passe quelque chose : une remontée ou un Antwerp-Beerschot comme l’été dernier.  »

PAR PETER T’KINT – photos: jelle vermeersch

 » Le football se résume à l’argent et nous n’en avons pas. « 

 » Si nous étions le matricule 3.565, nous aurions peut-être jeté l’éponge depuis longtemps.  » Frans Van Hove

 » Les Anversois parlent avant de savoir. « 

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