Un culot monstrueux

Surnommé AVB, Special Two ou Cenourinha, voici pourquoi le nouvel entraîneur de Chelsea a déjà séduit l’Angleterre.

Costume cintré, cravate noire sur chemise blanche, barbe taillée. Jeune et moderne. Voilà l’image qu’offre le nouvel entraîneur de Chelsea, André Villas-Boas. Fini le survêt’ en bord de touche. Nouvelle ère, nouveaux styles d’entraîneurs avec en tête de pont, Pep Guardiola et José Mourinho. Ah, Mourinho, il n’a pas fallu longtemps avant que son nom n’apparaisse. Car, AVB a déjà passé près d’un an à se défendre de l’étiquette de Special Two, clone presque parfait de Mourinho.

Dans la trajectoire, c’est flagrant : une filiation avec Bobby Robson, des débuts modestes dans le staff de Mourinho, une révélation dans un club modeste portugais (Academica Coimbra), une année record à Porto et un transfert retentissant à Chelsea. Et puis, il y a les différences, beaucoup plus nombreuses que ce que les apparences ne le laissent croire. Mourinho avait gagné coup sur coup la Coupe de l’UEFA et la Ligue des Champions avant de débarquer à Londres. Villas-Boas n’aura décroché que l’Europa League. Il y a l’âge. Villas-Boas n’a que 33 ans, un âge que son gardien réserve, Hilario, a atteint depuis deux ans… Un âge que d’autres joueurs comme Didier Drogba ou Frank Lampard partagent avec lui. Big Mou avait lui 41 ans quand il a débarqué à Chelsea.

Il y a les records aussi. La saison dernière, avec Porto, AVB a effacé l’intouchable Mourinho de pas mal de tablettes : une invincibilité de 36 matches en championnat (33 pour Mourinho) dont 16 victoires d’affilée, un total de 84 points, 14 victoires en Coupe d’Europe (la meilleure saison pour un club portugais), 21 points d’avance sur le second. Tout cela en battant le record du plus jeune manager de l’histoire à remporter un trophée européen, détenu par Gianluca Vialli… avec Chelsea.

Mais c’est davantage dans le style qu’André Villas-Boas se distingue de son glorieux prédécesseur. La personnalité est complètement différente. Autant Mourinho aime la flamboyance, autant Villas-Boas cultive la discrétion. En conférence de presse, il semble souvent sur la défensive et évite les petites phrases chocs. Il ne donne pas d’interviews individuelles, afin de protéger sa vie privée. A cela s’ajoute une approche du jeu, assez éloignée de la frilosité de Mourinho.

 » Son style de jeu est bien plus divertissant à regarder que celui de Mourinho « , explique Simon Johnson, journaliste au London Evening Standard et aux premières loges pour assister aux débuts d’AVB à Chelsea. Car, c’est surtout par le jeu et un style offensif que passera la reconnaissance de Villas-Boas. Pas par l’alignement des records.

 » On sait qu’à Chelsea, il va encore enfiler les records mais ceux-ci seront moins parlants « , reconnaît l’ancien attaquant des Blues, Jimmy Floyd Hasselbaink.  » Ce n’est pas honnête de le comparer à Mourinho. On doit le voir comme entraîneur spécifique à part entière même s’il vient du Portugal.  »

Autre différence également : AVB sait où il met les pieds. Certes, il a 33 ans et, en deux ans, est passé de sa première expérience de coaching de D1 à l’Academica à Chelsea. Mais, dans la capitale anglaise, Villas-Boas arrive en terrain connu puisqu’il a déjà évolué dans l’encadrement de Chelsea, sous les ordres de Mourinho, entre 2004 et 2007. A l’époque, il remplissait des tâches de scouting, scrutant les adversaires des Blues, et débarquant au centre d’entraînement de Cobham le jeudi pour détailler les forces et faiblesses de l’équipe du week-end.

 » Il a l’habitude des lieux, il connaît déjà certains joueurs et à l’époque, il faisait du très bon travail comme adjoint « , a d’ailleurs affirmé le gardien Peter Ceh. A son arrivée, Villas-Boas s’est assuré le soutien des trentenaires en leur détaillant son plan.  » Pour le moment, les joueurs ne disent que des choses positives sur lui. Ils aiment ses méthodes d’entraînement et ses intentions offensives mais il y en aura toujours qui grinceront des dents parce qu’ils ne sont pas assez utilisés. Mais l’aspect le plus parlant est de voir la façon dont certains joueurs se démènent sur le terrain ou ont retrouvé le plaisir du jeu « , continue Johnson.

Trois mois après son arrivée, AVB a donc déjà fait son nid.  » Il aime attaquer et demande à son équipe de presser plus haut « , analyse Johnson,  » Certes, du coup, Chelsea est plus vulnérable derrière, laissant beaucoup plus d’opportunités à l’adversaire. Même Norwich, West Bromwich Albion ou Swansea ont causé des problèmes à Chelsea mais les Blues sont beaucoup plus dangereux devant. Il a vite remarqué que Chelsea avait besoin de créativité dans son jeu et a insisté pour transférer Juan Manuel Mata et a montré aux anciens que personne n’était sûr de sa place. Ses prédécesseurs n’avaient jamais osé mettre Lampard ou John Terry sur le banc. Lui, si. Sans soulever de vagues. Il a également redonné de la confiance à Fernando Torres.  »

Certes, l’entraîneur portugais n’a pas dû bâtir sur des ruines. Il a hérité d’un groupe compétitif, qui avait retrouvé de l’allant et une force offensive lors de la deuxième partie de saison dernière. Carlo Ancelotti avait été sacrifié surtout parce que Chelsea avait traversé une zone de forte turbulence en novembre et décembre. Un passage à vide incompréhensible qui avait convaincu le propriétaire russe Roman Abramovitch d’attendre la fin du championnat pour mettre fin au contrat de l’Italien. Dans un premier temps, Abramovitch avait pensé à Guus Hiddink pour lui succéder. En 2009, le Néerlandais avait redressé la barre après l’échec de Luiz Felipe Scolari et avait conduit les Blues à la victoire en finale de la Cup. Certains ont affirmé que les négociations avaient échoué parce qu’Hiddink n’avait pas su se libérer de son contrat de sélectionneur de la Turquie. Mais si Abramovitch a trouvé 15 millions d’euros pour attirer Villas-Boas, il aurait pu payer les 4 millions d’euros demandés par la fédération turque comme dédommagement. Non, si Abramovitch a changé son fusil d’épaule, c’est parce que son club se trouve à un carrefour. Parce qu’une génération s’efface (celle des Ceh, Lampard, Drogba, Nicolas Anelka ou Terry), un manager de 64 ans ne collait pas à la situation. Il fallait également rajeunir le coaching. Un risque ? Pas tant que cela puisque les vétérans Ancelotti, Hiddink ou Scolari n’avaient pas atteint le but ultime : la victoire en Ligue des Champions. Alors, pourquoi pas un jeune de 33 ans ?

Adolescent, il interpelle Robson sur ses choix tactiques

Et comme Chelsea n’aime pas se contenter de médiocrité, il a voulu un génie de précocité. Car, Villas-Boas a tout fait plus jeune que tout le monde. Né dans une famille aristocratique (son nom complet est Luis André de Pina Cabral e Villas-Boas), habitant dans un quartier résidentiel et huppé, Villas-Boas a tout de suite été un mordu de football. A l’école, il collectionnait les figurines Panini, lisait le Sport/Foot Magazine local dès ses 11 ans et discutait avec ses condisciples des schémas tactiques utilisés le week-end. La rencontre décisive eut lieu dans son complexe d’appartement, là où résidait également l’entraîneur de l’époque de Porto, Bobby Robson.

Un jour de 1994, à 16 ans, le jeune Villas-Boas interpelle son voisin en lui demandant pourquoi il n’utilise pas l’attaquant Domingos. Robson lui dit de lui envoyer son argumentation par écrit. Le jeune garçon s’exécute et Robson, séduit par ses idées, se défend ! Le contact est établi. Quelques mois plus tard, Robson l’amène au centre d’entraînement de Porto. Il n’a que 17 ans mais l’ancien sélectionneur anglais lui a transmis le virus et persuade même son ami, George Burley, en charge d’Ipswich, de le prendre quelques jours pour que son protégé puisse assister à quelques entraînements. C’est décidé : le jeune Villas-Boas sera entraîneur, lui qui appartient à une famille dans laquelle tout le monde devient médecin ou avocat.

Première direction : l’Ecosse, où il passe sa licence d’entraîneur aux côtés d’ Ally McCoist (aujourd’hui aux Rangers) et d’ Owen Coyle (à Bolton). Mais de la théorie à la pratique, il y a un pas… que franchit Villas-Boas en 2000 en devenant directeur technique des Îles Vierges britanniques. Pour ce faire, ce jeune de 23 ans ment un petit peu en disant qu’il vient du club de Porto et est un grand ami de Robson.  » Quand il est arrivé, il était toujours à la plage comme s’il était en vacances « , dit Kenrick Grant, à la tête de la Fédération des Îles Vierges.  » Mais quand il a commencé à travailler, il a surpris tout le monde. Il avait un plan pour toutes les équipes, et avait un carnet rempli de schémas tactiques et d’entraînement. « .

En 2002, c’est le retour au pays. A Porto d’abord comme entraîneur de jeunes puis comme membre du staff élargi de Mourinho qui décide de l’emmener avec lui à Chelsea puis à l’Inter Milan. Mais alors que Mourinho le considérait comme  » ses yeux et ses oreilles « , la relation se refroidit lorsque son protégé décide de voler de ses propres ailes et de répondre en 2009 à l’appel de l’Academica Coimbra, alors relégable. Il instaure un style très professionnel et très proche de ses joueurs. Il est le premier à prendre des nouvelles de leur famille ou à envoyer un SMS lorsqu’un joueur se blesse. Sur le terrain, il sauve Coimbra, le conduisant même dans le ventre mou. Porto décide donc de le rapatrier.

Ce fan de sport automobile, qui rêve de disputer le Paris-Dakar et qui fut invité à plusieurs reprises à effectuer quelques tours sur des circuits automobiles, est un rapide. En un an, il va apposer sa griffe sur Porto, réalisant le fameux triplé (Coupe UEFA, championnat et Coupe). Et aujourd’hui, c’est l’Angleterre qui est prête à succomber. Cela ne vous fait pas penser à quelqu’un ?

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS: IMAGEGLOBE

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