Un coup de maître

En recrutant Robert Lewandowski, le Bayern poursuivait un double objectif : se renforcer tout en affaiblissant le Borussia Dortmund, son rival ancestral. Le plan se déroule à merveille: le Bayern est premier, le Borussia avant-dernier.

Faute dans le rectangle. L’arbitre siffle, on dépose le ballon sur le point de penalty. Pep Guardiola, l’entraîneur du Bayern, saute du banc et hurle un nom : Lewandowski. L’attaquant polonais l’entend mais il n’a pas bien compris. Au lieu de s’emparer du ballon et de botter le coup de réparation comme Guardiola le lui avait demandé, il court rejoindre l’entraîneur, pensant que celui-ci veut lui donner quelques consignes à la faveur de l’interruption du jeu. C’est Thomas Müller qui convertit le penalty. Le Bayern remporte ce match de Ligue des Champions 1-0 contre le CSKA Moscou.

A la fin du match, Robert Lewandowski est un des premiers à s’installer dans le bus des joueurs. Il est de mauvaise humeur. L’attaquant a bien joué, il a beaucoup couru, délivré des passes, comme celle vers Mario Götze, qui a donné lieu au penalty. Mais il n’a pas marqué. Dans ce cas, un avant contient sa joie, victoire ou pas.

Lors de l’entraînement suivant, Guardiola prend son attaquant à part. Il commence par le féliciter pour ce qui est son meilleur match pour le Bayern, jusqu’à présent. Il ajoute que désormais, il doit se charger des coups francs et des penalties. Il souligne ainsi l’importance croissante de Lewandowski pour son équipe.

Diviser pour régner

Le Bayern poursuivait deux objectifs en recrutant Robert Lewandoswki : renforcer son noyau en lui adjoignant l’attaquant le plus convoité au monde et affaiblir son principal rival, le Borussia Dortmund. Ce n’est pas la première fois que le Bayern a recours à cette stratégie mais jamais l’effet n’en a été aussi manifeste. Le Bayern a réussi un coup de maître.

L’aisance avec laquelle Robert Lewandowski a assimilé le football prôné par Guardiola, axé sur la possession du ballon, est frappante. Il a littéralement fait sienne cette tactique et participe pleinement au jeu sans que ça entame son efficacité : en douze matches, le Polonais a inscrit cinq buts et en a amené cinq autres.

Plus surprenant encore : le départ de Lewandowski a décapité le Borussia Dortmund, bien plus que le transfert de Mario Götze un an plus tôt. Ce départ a provoqué la première crise du Borussia depuis l’arrivée de Jürgen Klopp au poste d’entraîneur en 2008. Lewandoswski était toujours démarqué, il était aussi le finisseur de service du Borussia. Il faisait la différence.

Thé vert au miel

Le restaurant H’ugo’s est une des adresses préférées du beau monde munichois. Lewandowski y donne parfois rendez-vous, à un journaliste, par exemple. Quand il pénètre dans l’établissement, en jeans et veste de cuir, il attire l’attention générale. Lewandowski s’installe à une table dans le jardin, sous un grand arbre, et commande un thé vert au miel.

Le Bayern lui a offert un contrat de cinq ans. Le montant global du contrat frôle les 60 millions. Lewandowski est un des footballeurs les mieux payés du Bayern. Il émarge à la catégorie de Philipp Lahm et Franck Ribéry. Durant sa dernière saison au Borussia Dortmund, il en était déjà un des gros salaires : à la mi-2013, le Borussia avait quadruplé le montant de son salaire. Primes comprises, le Polonais percevait sept millions. C’est ce qui l’a incité à ne pas rejoindre immédiatement le Bayern, qui aurait été prêt à verser une indemnité de 30 millions à Dortmund. A la fin de la saison, Lewandowski était libre. Le transfert a vicié les relations entre les deux clubs, d’autant que le Bayern s’est également intéressé à Marco Reus. Les deux ténors se sont couverts de reproches, franchissant même les limites de la correction.

Bobek

Robert Lewandowski lui-même préfère ne plus évoquer sa période au Borussia Dortmund. Il camoufle aisément ses sentiments et ne perd pas facilement les pédales. D’ailleurs, durant sa carrière, il a souvent dû mettre le couvercle sur le passé.

Deux personnes ont joué un rôle crucial dans la carrière de Robert Lewandowski. Elles se sont enrichies grâce à lui et sont devenues millionnaires. Un conseiller, Mike Barthel, détectait jadis des talents pour Munich 1860. Maintenant, de son siège au Liechtenstein, il gère une agence de conseil pour les footballeurs. Barthel est considéré comme un homme d’affaires impitoyable.

L’autre conseiller de Lewandowski est l’ancien international polonais Cezary Kucharski. Membre d’un parti conservateur libéral qui se veut plate-forme citoyenne, il siège au parlement et tient un restaurant au coeur de la vieille ville de Varsovie. Sa carte comporte notamment vingt marques de bières. Kucharski a fait la connaissance de Lewandowski pendant un entraînement du Znicz Pruszkow, un club de D2. Ses coéquipiers surnommaient l’avant Bobek. Kucharski a remarqué que l’attaquant était beaucoup trop frêle mais il a été impressionné par ses tirs au but. Ses envois étaient plus rapides que des missiles.

Beckham bis

Kucharski n’avait jamais vu de tirs aussi tendus. Quelques jours plus tard, il a frappé à la porte de l’avant de 19 ans. Dans le living, en présence de ses parents, il lui a expliqué qu’il recelait les qualités d’un futur grand attaquant, d’une star.  » Il m’a regardé comme si j’étais fou « , se souvient Kucharski.

L’ancien international ne s’est pas trompé. Kucharski a alors voulu commercialiser le talent de Lewandowski et celui de sa femme Anna, une karateka professionnelle très populaire en Pologne. Kucharski aurait voulu faire du couple une version polonaise des Beckham. Il était certain que les sociétés allaient se bousculer mais Lewandowski n’avait nulle envie de jouer les stars. Les événements extra-footballistiques le stressaient trop.

Robert Lewandowski a trouvé bien plus important que Maik Barthel, son autre conseiller, lui trouve une maison agréable dans la capitale de la Bavière, au moment de son transfert au Bayern : une villa en bordure de Munich, avec une surface habitable de 600 mètres carrés, un espace fitness, un sauna et une piscine. On estime la valeur de la villa à dix millions. A Dortmund, l’attaquant habitait une maison toute simple dans le quartier ouvrier de Lünen-Brambauer. Il a déménagé après un cambriolage. Plus tard, des voleurs ont démonté les pneus de sa Porsche Cayenne mais Lewandowski a encore plus souffert des accusations d’un jeune, qui prétendait avoir été battu par le footballeur et qui avait déposé plainte. La presse a grossi l’affaire mais finalement, l’adolescent a retiré sa plainte. Les dégâts étaient faits.

Une famille sportive

Même si ces faits divers l’ont mis en rage, Lewandowski n’en a rien montré sur le terrain. Il se libère quand il joue, faisant table rase de tout le reste. Lewandowski a grandi dans un milieu sportif. Son père a été champion de Pologne en judo et sa mère a été une des meilleures joueuses de volley du pays.

Le père est mort quand Robert avait seize ans. Il a dû entretenir sa mère et sa soeur aînée. Pour sa famille, son talent en football constituait une sorte d’assurance-vie mais il l’a placé devant d’énormes responsabilités. Ceux qui le connaissent bien estiment que c’est ainsi qu’il a développé son assurance. Il surmonte rapidement les contrecoups et tire encore plus vite des leçons de ses erreurs. Pendant sa première saison à Dortmund, la presse de boulevard s’est moquée de lui mais les critiques ont apparemment glissé sur sa carapace. Quelques mois plus tard, plus personne ne s’est acharné sur lui, quand il a obtenu une place en équipe première.

Robert Lewandowski, qui n’a encore que 25 ans, a progressé petit à petit. Il donne l’impression de jouer au Bayern depuis des années. Pep Guardiola lui a confié un rôle majeur. Il participe nettement plus à la construction du jeu que son prédécesseur croate, Mario Mandzukic. Quand l’entraîneur le met sur le banc, histoire de le ménager, comme il y a quelques semaines, lors de la victoire 6-0 contre le Werder Brême, les supporters continuent à scander son nom.

Robert Lewandowski est devenu bavarois. Il en a les tripes. Ses quatre saisons au Borussia Dortmund semblent n’être qu’une parenthèse, une route de quatre ans vers le sommet. Les journalistes polonais affirment que le succès ne l’a pas changé : en privé, Robert Lewandowski est la modestie personnifiée.

PAR RALF BUSCHMANN – PHOTOS BELGAIMAGE

Lewandowski ne se laisse pas facilement désarçonner.

Son talent est une sorte d’assurance-vie pour sa famille.

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