« UN CONNAISSEUR DOUBLÉ D’UN HOMME INTÈGRE « 

Le 20 juin 1996, Roger Vanden Stock a succédé à son père, Constant, à la présidence du RSC Anderlecht. Vingt ans plus tard, son palmarès affiche 9 titres, pour 10 à son père. Mais glanés, eux, en un quart de siècle. Qui est vraiment le président des Mauves ?

Le 3 avril 1996, Constant Vanden Stock, alors âgé de 82 ans, pose fièrement pour la une de notre magazine, assis sur une chaise, les bras croisés. Constant est alors président du Sporting Anderlecht depuis 25 ans. Deux mois et demi plus tard, Constant et son fils Roger Vanden Stock sourient sur la photo, une coupe de champagne en main. Le 20 juin, Constant a passé le flambeau à son fils.

Dans la biographie qu’Hugo Camps a faite de Constant en 1993, Roger décrit en quoi il est différent de son père.  » Je suis un optimiste pur-sang. Quand mon père se rendait à un match, il pensait toujours qu’il allait perdre et moi, j’étais convaincu que nous allions gagner. Par cette attitude, j’insuffle confiance aux gens mais ceux qui me déçoivent ne doivent pas espérer un pardon.  »

En 1996, lors de la passation des pouvoirs, Anderlecht n’a pas beaucoup de raisons de rire. Il vient de terminer deuxième, à dix unités du Club Bruges, le champion. Un gouffre énorme dans l’ancien système à deux points. A ce moment, l’élite du football belge présente un visage différent. Le Germinal Ekeren et le RWDM se partagent la troisième place, à 28 points du champion, et le Lierse est cinquième.

Sur la scène européenne, le Sporting a vécu une saison catastrophique. Il a été éliminé au tour préliminaire de la Ligue des Champions, ce qui a coûté sa place à l’entraîneur, Herbert Neumann. Le football belge vient de vivre un choc encore plus conséquent : l’arrêt Bosman, prononcé en décembre 1995, supprime les limitations de transferts. D’un coup, les joueurs veulent monnayer leur nouvelle liberté. Bertrand Crasson, un fils de la maison, met le cap sur Naples, gratuitement. John Bosman retourne, lui, aux Pays-Bas.

Les footballeurs qui avaient rampé pour signer à Anderlecht choisissent d’autres destinations. Philippe Léonard, du Standard, préfère l’AS Monaco. Les grands joueurs que le nouveau duo de management Michel Verschueren-Paul Courant veut engager à l’étranger, style Steffen Freund,un international allemand de Dortmund, ne viennent pas.

Courant soupire :  » Nous pensions que tout allait devenir moins cher. C’est tout le contraire. Les joueurs moyens veulent gagner beaucoup plus et on ne peut pas récupérer la différence par un transfert. Nous abordons des temps sombres. Nous avons été grands mais dans d’autres circonstances.  »

Peu avant d’accéder à la présidence, Roger Vanden Stock est conscient de ces changements.  » Pourquoi Crasson s’en va-t-il ? Parce qu’il peut gagner davantage ailleurs. Les joueurs deviennent des mercenaires. Chaque année, ils vont au plus offrant. L’arrêt Bosman nous a touchés très fort. On devient trop professionnel. Ce n’est plus l’esprit de club qui compte mais l’argent. Mais je vous le dis : Anderlecht ne renoncera pas !  »

Roger commence difficilement. Il est quatrième à deux reprises et une fois troisième (voir encadré). Durant sa première saison, le Sporting encaisse un coup supplémentaire : l’affaire de corruption du match de Coupe d’Europe contre Nottingham Forest, au printemps 1984, refait surface. Pendant des années, le père Vanden Stock a payé le silence.

 » Dès que j’ai appris ce qui s’était passé, j’ai insisté pour qu’il cesse de payer « , déclare Roger en 1997.  » Quand ces gens m’ont contacté personnellement en 1995, j’ai décidé de déposer plainte avant même d’en parler à mon père.  »

C’est le premier pas qu’il fait pour se distancier de son père. D’autres suivront. Le résultat sportif n’est pas mal du tout. En vingt ans, Roger en est déjà à neuf titres, soit presque un tous les deux ans. Son père en a gagné dix en 25 ans.

L’ANCIEN JOUEUR : FILIP DE WILDE

Le gardien Filip De Wilde est le premier à se heurter au nouveau président. Pilier du club pendant des années, il est bien décidé à s’en aller, bien qu’il ait encore un contrat d’un an.  » Roger était très ambitieux à cette époque « , se remémore De Wilde.  » Il voulait faire aussi bien, voire mieux que son père mais ça n’entrait pas dans mes projets. J’étais déterminé à m’en aller. Roger s’est donné beaucoup de mal pour me faire changer d’avis.

Durant nos entretiens, il a dit de belles choses sur moi, notamment en m’appelant le Jan Ceulemans d’Anderlecht et en me proposant un contrat de longue durée. Mais je savais ce que je pouvais gagner à Marseille ou au Sporting Lisbonne. Ça a laissé des traces dans notre relation. Mais ça ne l’a pas empêché de me reprendre deux ans plus tard comme gardien puis de m’intégrer au staff technique.

Je le comprends : mon comportement l’a sans doute blessé. Nouveau en poste, il voulait émettre des ambitions et il se retrouvait face à son premier gardien, entêté, qui voulait partir coûte que coûte. Maintenant, je regrette un peu que ça se soit passé comme ça. Roger était plus conciliant que son père. Un respect mutuel m’unissait à Constant mais on ne le voyait presque jamais.

Quand on était convoqué, c’est qu’il y avait un problème. Si on ne le voyait pas, ça voulait dire qu’il était content de vous. Roger était plus proche des joueurs. Je revois encore Constant suivre l’entraînement derrière la vitre, dans un coin du stade. Quand nous prenions conscience de sa présence, nous mettions encore plus de coeur à l’ouvrage.  »

L’ANCIEN AVANT : JAN MULDER

Jan Mulder jouait encore à Anderlecht quand Constant Vanden Stock en est devenu le président, en avril 1971.  » Ce qui m’est resté de Constant, ce sont les conseils qu’il me donnait. Il pouvait prendre un joueur à part et lui dire : – Moi, je ferais ça et ça.  »

Peut-il comparer le père et le fils ? Mulder :  » D’abord, j’ai dû m’habituer à un autre Vanden Stock. Constant était un homme simple mais charismatique. Un Belge des pieds à la tête, un gentleman dont on ne percevait pas la fortune. Les Vanden Stock ont une certaine discipline, ce qui est bienvenu pour un président, mais j’y décèle des points sensibles.

Comme la façon dont Roger gère AnthonyVanden Borre, un joueur qui a nettement passé les bornes. On ne peut pas dire qu’il soit sévère avec lui. Moi, je lui aurais tourné le dos quand il a sali le nom du club et des dirigeants qui l’avaient tiré du pétrin. Vanden Stock et même le manager Herman Van Holsbeeck trouvent toujours une issue pour conserver Anthony, un ket bruxellois.

Roger est également un homme simple et il ne manque certainement pas de charisme. Il reste digne et maître de lui dans la tribune, même dans les pires tempêtes, comme la saison passée. Je l’admire. Mon président.

Comme Constant, Roger a un lien naturel avec Anderlecht. A la bruxelloise, tous deux ont ou avaient l’art de rendre les problèmes moins importants qu’ils ne le paraissent. Ça soulage. Roger est rarement impulsif. Il réfléchit.

Constant était un pater familias, Roger un frère. Non, c’est peut-être trop intime. Disons le cousin préféré. Nous, les anciens joueurs, aimons retourner à Anderlecht parce que nous lui sommes liés mais aussi grâce à deux présidents qui ont bien géré le club, sans dépenser trop d’argent. Ils travaillaient avec un coeur gros comme ça pour leur club.

Ce qui est bien avec les Vanden Stock, c’est qu’ils sont issus du terroir du club, pas d’un puits de pétrole mais de la brasserie qui fournit les établissements et les cafés tout autour du stade, avenue Théo Verbeeck. Ils connaissent les supporters ? Un riche cheikh se fiche de l’âme d’un club. La famille Vanden Stock s’inscrit dans la lignée de Jef Mermans, Jef Jurion, Paul Van Himst. Une performance car on parle de footballeurs qui ont écrit les plus belles pages de l’histoire du club.  »

L’ANCIEN ENTRAÎNEUR : ARIËL JACOBS

Ariël Jacobs a travaillé chez les Mauves de 2007 à 2012. Comment décrirait-il Roger Vanden Stock ?  » Il est le président idéal pour un entraîneur. Il parvient à conserver une certaine sérénité à un club qui est toujours sous pression, par exemple en n’infligeant pas encore un peu plus de stress à son entraîneur. Il se laisse rarement aller, positivement ou négativement.  »

Jacobs se souvient du double match de barrage perdu contre le Standard :  » Dix mètres plus loin, dans les catacombes, l’adversaire fêtait joyeusement son titre. Roger s’est comporté avec dignité, envers le Standard comme envers son personnel. Ce n’était pas évident à ce moment.  »

Il n’a jamais remarqué que Roger Vanden Stock ne s’y connaissait pas trop en football.  » Au contraire. Je vais en surprendre plus d’un mais je trouve que Roger montrait justement une grande connaissance du football dans ses discussions sur les joueurs et les matches. En plus, il prêtait une oreille attentive aux autres.  »

Jacobs voyait le président une ou deux fois par semaine.  » Mais toujours de manière informelle.  » A chaque déplacement européen, quatre hommes étaient toujours ensemble : le président, Philippe Collin, le manager et l’entraîneur.  » On parlait de football pendant une minute. C’étaient des moments agréables.  »

Jacobs a eu plusieurs entretiens privés avec le président, notamment quand il a été question de transférer Dieumerci Mbokani.  » Mbokani était dans une situation difficile. Le président m’a demandé ce que je pensais de lui et j’ai répondu qu’il apporterait une plus-value. Il m’a dit : – Je le pense aussi.  »

Début mars 2011, Vanden Stock a mis Jacobs au courant de l’offre reçue pour Mbark Boussoufa, de Grozny puis du FC Anzhi.  » Il m’a expliqué ce que ça impliquait financièrement, pour un joueur qui serait en fin de contrat un an et demi plus tard. Bref, Roger me disait que c’était le moment idéal de le vendre mais que personne ne le remplacerait car le marché des transferts n’était plus ouvert qu’en Russie.

Nous étions en tête et Bous était important sur le terrain comme en dehors mais j’ai toujours pensé au club et je l’ai fait une fois de plus. Roger m’a confié : – Je sais que je peux encore difficilement exiger le titre. Le départ de Boussoufa nous a en effet affaiblis mais je n’ai jamais été sous le feu. Sans me soutenir officiellement, le président me défendait.  »

Jacobs n’a jamais eu l’impression que le président d’Anderlecht traînait l’ombre de son père.  » Dans nos entretiens, j’ai toutefois remarqué qu’il voulait à tout prix éviter le genre de situations troubles qu’avait connues son père. L’affaire Nottingham et ses conséquences n’étaient pas de celles qu’on range dans un placard. Il y a parfois fait allusion quand des choses analogues se passaient, sans qu’elles concernent Anderlecht. L’intégrité lui importait plus que tout.  »

LE MANAGER GÉNÉRAL : HERMAN VAN HOLSBEECK

Lors de la journée des supporters, en juillet 2011, le manager général Herman Van Holsbeeck est hué sans pitié, suite au titre raté à cause du départ de Boussoufa. Le club est presque d’accord avec Milan Jovanovic et Dieumerci Mbokani mais ne peut pas encore le confirmer, certains détails n’étant pas encore réglés. Van Holsbeeck n’oubliera jamais la réaction de Roger Vanden Stock :  » J’étais sifflé par 15.000 personnes. Rentré dans mon bureau, le président m’a dit : – Tant que je serai président, toute la Belgique peut te huer : moi, je suis satisfait de toi et je veux que tu restes. Pour un homme comme ça, on va au feu.

Dans la vie, on a besoin de gens qui croient en vous et vous protègent dans les temps de crise « , explique maintenant Van Holsbeeck.  » C’est pour ça que j’ai lié mon sort à Roger. Le président possède une grande intelligence émotionnelle. Il cherche toujours les qualités des gens et pas leurs défauts. Il cherche toujours à trouver un consensus où chacun se retrouve. Il est formidable dans les moments de crise, grâce à sa sérénité. Il m’a appris que dans la vie, on donne et on prend. C’est ça la philosophie. Nous, Anderlecht, sommes souvent les plus forts mais chacun doit pouvoir vivre.  »

Van Holsbeeck cite l’exemple du contrat TV, qui était dans l’impasse quand Luciano D’Onofrio était encore l’homme fort du Standard. La Ligue Pro était au bord de l’implosion, aucune solution ne semblait se dégager.  » Roger est quand même parvenu à impliquer le Standard dans une solution.  »

Van Holsbeeck de conclure :  » Roger est un homme sage. On peut être pour ou contre Anderlecht mais peu de gens peuvent dire que Roger leur a joué un sale tour. Quand Roger Vanden Stock dit : -Nous avons un deal, et bien, ça a autant de valeur qu’un contrat.  »

LE PORTE-PAROLE : DAVID STEEGEN

Au superbe complexe d’entraînement de Neerpede – encore une réalisation du président -, le porte-parole et directeur de la communication David Steegen ne doit pas réfléchir longtemps pour décrire le président :  » Il est tout simplement un homme très bon. De nos jours, il y a peu de gens qui ont des valeurs et qui partent de ce qu’il y a de bien dans les hommes. Un jour, après une victoire en déplacement au Standard ; la direction d’Anderlecht revenait en car. En chemin, le président a pris la parole : – Appelez tous votre femme, nous allons manger ensemble. Ce fut une belle et longue soirée.

Steegen, qui travaille avec Roger Vanden Stock depuis sept ans, confirme les propos de Jacobs.  » La pire erreur de jugement qu’on commet sur le président est de penser qu’il n’y connaît rien en football. Ce n’est pas vrai. C’est un homme de football absolu. Peut-être même le dernier président de Division Un qui y connaît quelque chose en football, en Belgique. Le président est conscient que le football occupe une place centrale dans un club de foot. Que, quand on perd 1-0, on peut avoir la plus large base de supporters, la meilleure stratégie de marketing, ça ne fait aucune différence à ce moment car le football reste l’essentiel.

Ce qui l’anime, c’est l’amour du ballon et du club. Quand nous perdons, nul ne comprend la situation mieux que lui. Le président sait ce qu’est le sport : parfois on gagne, parfois on perd. Il y a quelques années, nous avons subi une lourde défaite au Club Bruges. Tout le monde était atterré. Il est entré dans le vestiaire et il a dit : – Ne restez pas dans cet état. Rien n’est jamais aussi négatif qu’il le paraît, de même que rien n’est jamais aussi bien qu’on le pense quand tout va bien.  »

Roger Vanden Stock a complimenté Steegen pour son travail au bout d’un an. Le porte-parole a fait remarquer qu’il serait temps que le club entre dans l’ère digitale. Vanden Stock a demandé combien ça coûterait. En entendant le montant, il a répondu :  » Je préfère utiliser cet argent pour un joueur. Je préfère une bonne équipe à un bon site.  »

Steegen aussi trouve que, dans les discussions, Roger Vanden Stock pense toujours à l’intérêt général.  » Il sait que ça ne lui sert pas à grand-chose d’être le meilleur d’un championnat faible. Quand nous avons joué contre l’Olympiacos, en mars, ce club était champion depuis deux semaines. Mais plus personne ne va voir un match du championnat grec.  »

Le président prend ses distances, dans la nouvelle structure d’Anderlecht.  » Il a choisi de céder son pouvoir pas à pas « , précise Steegen.  » Roger est partisan de l’évolution, pas de la révolution. Il ne cédera jamais à la folie du jour. Parce qu’il a une vision.  »

PAR GEERT FOUTRÉ – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Ce qui est bien, c’est que les Vanden Stock viennent du terroir du club, pas d’un champ de pétrole.  » – JAN MULDER

 » Le président cherche toujours les qualités des gens, pas leurs défauts.  » – HERMAN VAN HOLSBEECK

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