» Un coach n’a jamais le droit d’être satisfait « 

Après des débuts difficiles, il est devenu un des plus grands coaches d’Europe. Du Real Valladolid au Real Madrid, Rafael Benitez nous parle de son parcours.

Exactement vingt ans après avoir quitté le Stade Santiago Bernabeu pour tenter sa chance comme entraîneur principal, Rafael Benitez (55) revient où tout a commencé. Après avoir joué dans les équipes d’âge du Real et entraîné les jeunes, Rafa boucle ainsi la boucle. Au cours des vingt dernières années, il est devenu un entraîneur tout-terrain qui a connu le succès presque partout. Sa carrière n’a pourtant pas toujours été un long fleuve tranquille…

En 1995, après s’être forgé une bonne réputation au centre de formation du Real Madrid, Benitez devient manager du Real Valladolid, qui évolue alors en D2. On attend beaucoup de lui mais les choses tournent court. Très vite, il doit revoir ses plans car, suite aux ennuis financiers du Celta de Vigo et de Séville, Valladolid et Albacete obtiennent, sur tapis vert, la montée en Primera Division.

Du coup, Benitez est obligé de renforcer son noyau. Un moment dont il se souvient encore très bien.  » Je faisais la sieste quand on m’a réveillé pour me dire que nous montions en D1. Nous étions à la mi-août, il ne nous restait que quinze jours pour trouver des joueurs. Le début de championnat a été difficile et j’ai été limogé car je manquais d’expérience.  »

On n’en est qu’à la mi-saison et sa première expérience tourne mal. La saison suivante, il se voit pourtant offrir une nouvelle chance à Osasuna, en D2. Mais là non plus, cela ne dure guère puisqu’il est viré après neuf journées seulement. Une nouvelle fois, son manque d’expérience lui coûte cher.  » C’était frustrant « , dit-il.  » Les gens pensaient que j’étais mauvais mais j’avais à chaque fois hérité de situations délicates.  »

En un peu moins d’un an, Benitez a donc été limogé à deux reprises. On ne peut pas dire qu’il s’agisse de débuts de rêve pour un entraîneur jeune et ambitieux. Benitez ne se fait toutefois pas de mouron quant à son avenir. Avant de se lancer dans le métier, il a accumulé pas mal de connaissances et d’expérience.

A l’âge de 13 ans, il avait été invité à rejoindre les équipes de jeunes du Real Madrid. Et à ce moment-là déjà, on sentait le coach en lui puisqu’il transcrivait des comptes rendus de matches dans des carnets de note, donnant même une cote à ses équipiers. Par la suite, il a suivi une formation universitaire en éducation physique et il a fait office de joueur-entraîneur au sein de l’équipe universitaire.

Du foot en voyage de noces

Sa carrière de joueur n’a jamais véritablement décollé. En bonne partie à cause d’une blessure au genou encourue aux Universiades de 1979, au Mexique, où il représentait l’Espagne. A l’âge de 26 ans, il a été contraint de ranger ses chaussures à crampons. Peu après, il a commencé à donner des cours dans différentes écoles de sport de la ville et à entraîner les jeunes du Real Madrid. Puis tout s’accélère.

 » J’ai beaucoup appris au contact de bons entraîneurs, des gens très expérimentés. C’était l’équipe de la fameuse Quinta del Buitre avec Emilio Butragueño, Michel, Manolo Sanchis, Martin Vazquez et Miguel Perdeza. J’avais joué avec certains d’entre eux, comme Butragueño et Michel.  »

D’autres mentors inspirent Benitez.  » Celui qui m’a le plus influencé, c’est sans doute Arrigo Sacchi : j’adorais son AC Milan. Mais j’aimais aussi beaucoup le Barcelone de Johan Cruijff, qui jouait à la hollandaise. Il avait réussi à implanter son 4-3-3 en Espagne. Plus tard, j’ai aussi suivi l’Ajax, lorsqu’il a remporté la Ligue des Champions sous la direction de Louis van Gaal. J’aimais les équipes hollandaises, j’utilisais les mêmes exercices de possession de balle et de placement.  »

Benitez va voir comment les clubs étrangers travaillent, il étudie leurs méthodes. Un voyage l’a marqué :  » Pour notre lune de miel, ma femme et moi avons effectué un tour d’Europe. Nous nous sommes notamment rendus à Amsterdam. Je voulais absolument voir comment l’Ajax s’y prenait.

Nous sommes donc d’abord allés voir un musée puis nous nous sommes rendus à l’entraînement. Elle n’était pas très contente. Elle disait : D’accord pour voir un entraînement de temps en temps mais je veux aussi que nous consacrions du temps à la culture. Heureusement, elle est flexible. Et pour moi, c’était génial car j’apprenais beaucoup de choses.  »

 » C’était l’époque de Van Gaal. En Espagne, j’avais analysé des vidéos de son équipe. J’avais également étudié le modèle TIPS (Abréviation de Techniek, Inzicht, Persoonlijkheid, Snelheid, soit Technique, Discernement, Personnalité, Vitesse, ndlr) utilisé au centre de formation de l’Ajax.  »

Après Amsterdam, Benitez et sa femme ont pris la direction de l’Italie, où il a pris rendez-vous avec Adriano Bacconi. Ce dernier avait développé avec Mircea Lucescu un software permettant de sélectionner des données et des images de matches et de les présenter à l’entraîneur dès la mi-temps.

Curieux, Benitez a compris que ceci pouvait beaucoup l’aider dans sa carrière. A partir de là, il s’est mis à faire appel à de nombreux softwares dans son travail.

Des matches en pouponnant

C’est sans doute en Italie, pays connu pour sa science tactique, que Benitez apprend le plus. Il se rend plusieurs fois au complexe d’entraînement de la fédération à Coverciano afin de voir l’équipe nationale à l’oeuvre sous la direction de Sacchi.  » Je prenais des notes et, après l’entraînement, je l’interrogeais sur ses méthodes « , dit-il. A l’époque, il passe aussi par l’AC Milan, entraîné par Fabio Capello.

Depuis tout jeune, il enregistre des matches.  » J’avais commencé avec le système Betamax avant de passer au VHS. J’utilisais donc deux enregistreurs à la fois : un pour enregistrer tout le match et l’autre pour faire des montages que je montrais aux joueurs lorsque nous étions dans l’autocar qui nous emmenait au match. Je leur disais :  » Regardez à quel niveau l’AC Milan met la pression.  »

Plus tard, les cassettes-vidéo sont remplacées par les DVD et Benitez digitalise tout. A Naples, après chaque match, chaque joueur recevait une clef USB avec une analyse personnalisée de son match. C’est ainsi qu’il profite de chaque moment de liberté pour parfaire sa connaissance du jeu.  » Lorsque ma fille Claudia est née, je devais lui donner le biberon à une heure et à quatre heures du matin « , dit-il.  » Alors, j’en profitais pour regarder des matches sur vidéo.  »

Avec les jeunes du Real Madrid, sa méthode fonctionne. En trois ans, il remporte un championnat et deux Coupes d’Espagne avec les U19. En 1993-94, il devient entraîneur de la deuxième équipe (le Real Madrid Castilla) et adjoint de Vicente Del Bosque en équipe première. En 1995, après une nouvelle saison avec la réserve, il estime qu’il est temps de voler de ses propres ailes.

Ses premières expériences à Valladolid et à Osasuna ne sont pas couronnées de succès mais, heureusement, il obtient une troisième chance à Extremadura, club d’Almendrajelo qui n’existe plus aujourd’hui et qui, en 1997, venait de descendre de D1. Pour des raisons financières, il a dû vendre ses meilleurs joueurs mais, cette fois, Benitez mène sa mission à bien puisque le club remonte.

Un an plus tard, il est approché par Tenerife où on lui demande à nouveau de rallier la Primera Division. Et cette fois encore, il parvient à ses fins. Cela lui permet d’attirer l’attention de Valence, qui voit en lui le successeur idéal de Hector Cuper. Le défi est de taille puisque, au cours des deux saisons précédentes, celui-ci avait atteint la finale de la Ligue des Champions. Mais Benitez relève le gant et offre à Valence son premier titre depuis 31 ans.

 » Avec Cuper, l’équipe jouait le contre « , dit-il.  » J’ai demandé aux défenseurs d’avancer d’un cran et de faire circuler le ballon. Ça a fonctionné et nous avons mieux contrôlé les matches.  » En 2004, il est à nouveau champion et remporte la Coupe UEFA. Peu après, il passe à Liverpool, qui compte sur lui pour ramener le sourire aux supporters d’Anfield Road.

La frustration de Steven Gerrard

En Europe, Benitez est reconnu pour ses méthodes novatrices. Les joueurs apprécient ses préparations de matches minutieuses. Il décortique l’adversaire jusque dans les moindres détails. On le compare à un joueur d’échecs, un jeu qu’il adore par ailleurs.  » Quand j’avais entre douze et quinze ans, j’ai lu des tas de bouquins consacrés au jeu d’échecs et j’ai analysé de nombreuses ouvertures. C’était l’époque de Boris Spasski et Anatoli Karpov.  »

Par la suite, il a moins joué mais il a continué à s’y intéresser.  » L’été, nous organisions souvent des parties entre amis. Je me souviens que l’une d’entre elles avait duré quatre heures.  » Le football et les échecs ont des points communs comme l’utilisation des espaces, l’analyse du jeu de l’adversaire et l’importance du contrôle du centre. Dans les deux cas, la visualisation joue un grand rôle.

 » Il faut pouvoir aller de l’avant. Le bon joueur d’échecs est celui qui voit le plus d’ouvertures possibles et qui pense avec un ou deux coups d’avance. C’est pareil au football. Je me souviens d’un jour où je regardais un match à la télévision avec ma femme. Je lui disais ce qui allait se produire et elle me demandait comment je le savais. C’est une question d’expérience. Si plusieurs personnes regardent le même match, elles ne voient pas toutes la même chose.  »

Parfois, Benitez crée ses propres ouvertures afin de tromper l’adversaire. C’est ainsi que lors de sa première saison à Liverpool, à l’occasion d’un match crucial face à la Juventus, il aligne son équipe selon une certaine configuration pour changer peu de temps après.  » Je voulais juste désorienter l’adversaire « , dit-il.  » En Italie, surtout, on étudie beaucoup le jeu adverse. C’est pourquoi j’ai décidé de commencer avec quatre défenseurs puis, après trois minutes, lorsqu’ils s’étaient adaptés, j’ai fait reculer un cinquième joueur.  »

Benitez veut toujours faire mieux et cela irrite parfois certains joueurs. C’est ainsi que Steven Gerrard afait remarquer qu’après plusieurs saisons, le manager ne l’avait encore jamais félicité.  » Je lui ai répondu qu’un entraîneur n’avait jamais le droit d’être content, qu’il devait toujours exiger davantage de son équipe « , dit Benitez.  » Stevie était tellement bon que je l’incitais sans cesse à repousser ses limites.  »

Benitez raconte que, très jeune déjà, il ne pensait qu’à faire mieux.  » Au Real Madrid, on apprenait à être le meilleur. A Liverpool, je disais aux joueurs qu’il ne suffisait pas de l’emporter et d’être content de soi car, quand on gagnait par deux buts d’écart, on pouvait peut-être en mettre deux de plus.  »

Il pense qu’il aurait pu avoir plus de succès encore à Liverpool si la direction avait fait davantage d’efforts. Finalement, c’est en désaccord qu’en 2010, leurs chemins se séparent. C’est pour la même raison qu’il allait quitter l’Inter, le club qu’il avait rejoint après Liverpool.

 » Lorsque je suis arrivé à Milan, le président m’a promis du renfort mais je n’ai rien vu venir et j’ai compris que ce serait difficile. Nous avions quinze joueurs de plus de trente ans.  » Quelques jours après avoir remporté le championnat du monde des clubs, il quittait l’Inter. Après cette courte expérience italienne, il n’est pas pressé de retrouver un club.  » J’avais plusieurs opportunités mais j’attendais une proposition d’un grand club qui me permette de remporter des trophées.  »

En symbiose avec le président

Cela allait durer près de deux ans. Entre-temps, il conçoit son propre software, Globall Coach, qui doit permettre aux entraîneurs de créer et d’enregistrer leur propre tactique de façon digitale. En novembre 2012, il devient entraîneur de Chelsea, avec qui il s’engage jusqu’à la fin de la saison. Là aussi, il réussit puisqu’il remporte l’Europa League et termine troisième en Premier League, assurant ainsi au club un ticket pour la Ligue des Champions.

Malgré cela, certains fans ne l’aiment pas, parce qu’il est passé par Liverpool. Et ils ne se privent pas de le lui faire savoir. Benitez dit pourtant avoir passé de bons moments à Stamford Bridge.  » C’était bien mieux que ce que les gens pensent généralement. Le staff était excellent et les joueurs fantastiques. Je n’avais de problèmes avec personne au sein du club. Roman Abramovich était toujours détendu. Je sais que certains fans n’étaient pas contents mais j’ai fait ce qu’on attendait de moi.  »

Après Chelsea, il est libre de discuter avec qui il veut. Aurelio De Laurentiis, le président de Naples, vient à Londres afin de lui présenter ses projets pour le club. L’entraîneur espagnol est enthousiaste et a envie de tenter une nouvelle fois sa chance en Série A. Il dit avoir eu de très bonnes sensations dès le début.  » Parce que le président a tenu parole. Nous étions en symbiose.  » Le sera-t-il aussi avec Florentino Perez ?

PAR ARTHUR RENARD

A l’âge de 13 ans, il fait des comptes rendus de ses matches avec le Real Madrid. Il cote même ses coéquipiers.

 » Arrigo Sacchi est probablement le coach qui m’a le plus influencé. J’aimais beaucoup son AC Milan.  » Rafael Benítez

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