Un Club PERDU

En quête d’une identité, de caractère ou simplement d’argent ? Durant la deuxième décennie du siècle, le Club de Bruges tente de concilier réalité et football moderne. Avec beaucoup de hauts et de bas.

Non, être supporter du Club n’est pas agréable par les temps qui courent. Hormis le sursaut de la saison dernière, le Club n’a plus de valeur sur la scène européenne. Heureusement pour lui, il s’est réveillé juste avant la Noël, sur le plan national, mais il accuse déjà 14 unités de retard sur Anderlecht, le leader du championnat. Et en songeant à la façon dont il s’est lui-même bouté hors de la Coupe de Belgique en huitièmes contre le G. Beerschot, il y a de quoi s’arracher les cheveux. Le staff technique, le manager sportif, le coordinateur des jeunes, tout le monde a été sous le feu des critiques ces derniers mois. Et chacun a dû se remettre en question.

Histoire et recul permettent d’éclaircir la situation.  » Le Club a perdu son identité « , avance-t-on pour expliquer la source de la crise. Récemment, dans quelques interviews, le coach hollandais Adrie Koster l’a lui-même relevé : l’appel à plus de kick and rush est de plus en plus fort. Mais n’est-ce pas quelque peu dépassé dans un football international de plus en plus rapide, qui requiert une technique plus raffinée, adaptée à un rythme élevé ? N’est-ce pas démodé dans un jeu où tous sont parfaitement préparés physiquement et où on fait la différence autrement ? Où sont, dans l’équipe, les Scandinaves, Britanniques, Belges, etc. de niveau international ? N’est-ce pas pour cela que le Club a quelque peu changé de visage ?

Depuis quelques années, le Club essaie de changer de cap.  » Le football, c’est comme l’école « , disait un Trond Sollied, qui a certes effectué ses adieux aux Blauw en Zwart de manière risible, dans une vidéo en 2005, mais qui a offert au Club des titres, des Coupes et un transfert plantureux, celui de TimmySimons au PSV. Son style d’école a été oublié, jugé dépassé, un brin ennuyeux. Le Club a voulu s’y prendre autrement mais la nostalgie de Michel D’Hooghe, aspirant à des résultats, a suscité des remous et provoqué des changements de cap rapides. Jadis, le Club ne limogeait quasi jamais ses entraîneurs mais durant l’ère D’Hooghe, les arbres sont tombés plus vite qu’ils ne pouvaient croître. Jan Ceulemans a obtenu neuf mois. Dans la foulée, Franky Van der Elst et René Verheyen sont également passés à la trappe. Emilo Ferrera n’a même pas tenu neuf mois. En quatre mois, Cedomir Janevski a gagné la Coupe. Jacky Mathijssen avait déjà signé à ce moment mais a eu du mal à achever sa seconde saison.

Entre- temps, le Club avait également changé de direction sportive (les appellations changeant aussi souvent que les hommes : directeur technique, directeur sportif, manager sportif pour les Antoine Vanhove, Marc Degryse, Luc Devroe

Le Club reste donc sur des années agitées, marquées d’accents constamment différents, insistant une fois sur le football, l’autre sur le physique ou encore sur l’organisation. En janvier 2009, quand Michel D’Hooghe a laissé entendre puis affirmé qu’il allait passer le témoin, le Club restait sur quelques anni horribili. C’est tout à l’honneur de son successeur, Pol Jonckheere, de miser sur la stabilité, malgré la violence de la tempête. Même si, avant la Noël, sa confiance en Adrie Koster a vacillé. Le staff technique n’est resté intact que grâce à sa victoire à Gand.

La mentalité

Le Club a perdu son identité mais aussi la mentalité de jadis. Cependant, vous souvenez-vous encore des Darko Anic, Robert Spehar, Bosko Balaban, Andrés Mendoza ou Alin Stoica ? Chaque ère a eu des étoiles capricieuses et ce n’est pas différent maintenant avec des jeunes tels IvanPerisic, DoregeKouemaha ou Vadis Odjidja. De tout temps, les footballeurs ont pensé à leur futur transfert et ont placé leurs intérêts au-dessus de ceux de l’équipe. On a rarement vu un joueur se pavaner comme Spehar devant les portes du casino de Monaco. C’est un phénomène universel…

En revanche, en d’autres temps, durant des périodes sportivement stables, les footballeurs calmes et équilibrés formaient la majorité du noyau. De ce point de vue, le Club a peut-être commis des erreurs de jugement. Les départ de Simons, Dany Verlinden, Gert Verheyen puis de PhilippeClement n’ont pas été compensés ou alors trop tard. Stijn Stijnen, Jeroen Simaeys, Karel Geraerts, Carl Hoefkens, Geert De Vlieger, Peter Van der Heyden recèlent assez d’expérience et font preuve d’une bonne mentalité, en théorie, mais manifestement, ils ont eu plus de difficultés que leurs prédécesseurs à maintenir l’ordre dans le vestiaire.

Le budget

La maigreur des résultats de ces cinq dernières années n’est-elle imputable qu’à la vision ou à la mentalité ? Degryse, Ceulemans, Ferrera, D’Hooghe, Devroe et tutti quanti n’y connaissent-ils rien ? Foutaises. En réalité, le Club plie financièrement et pas seulement sur la scène européenne.

Ce n’est pas un hasard si Michel D’Hooghe aurait tellement espéré effectuer ses adieux en présentant un plan concret de nouveau stade et s’il considère toujours sa défaite lors de son bras de fer avec les pouvoirs publics locaux comme un point noir. D’Hooghe a bien utilisé ses relations politiques à Bruxelles et dans le monde commercial pour attirer des partenaires à Bruges mais la filière n’est pas inépuisable. L’assistance moyenne a progressivement augmenté – avant de diminuer car depuis quelques mois, on aperçoit des vides dans les tribunes. Ce filon-là est également épuisé. On ne peut pas demander 40 euros pour un billet.

Comment générer d’autres revenus ? Par des performances sur la scène européenne et des transferts,…. là où le bât blesse. La dernière participation du Club à la Ligue des Champions remonte à 2005. Eté après été, les clubs belges se sentent riches mais peu d’entre eux remportent le jackpot de dix à quinze millions. Anderlecht y est parvenu en 2006, le Standard en 2008. Les formations belges semblent vouées à l’Europa League, qui génère moins de rentrées. N’oublions pas non plus que le Club a raté une campagne entière.

Anderlecht et le Standard compensent ces pertes par l’un ou l’autre transfert. En 2006, le Sporting a vendu Vincent Kompany à Hambourg pour dix millions. Un an plus tard, il a casé Mémé Tchité à Santander, pour huit millions, et le départ d’ Anthony Vanden Borre pour la Fiorentina a rapporté 4,5 millions. L’été passé, Jelle Van Damme a signé chez les Wolves pour trois millions. Le Standard a obtenu le maximum du transfert d’ Igor De Camargo (quatre millions cet été) et de MarouaneFellaini (20 millions en 2008). Les Rouches avaient déjà palpé près de 20 millions en 2000 et en 2001 en vendant DanielVan Buyten et Emile Mpenza

Et le Club Bruges ? Il est à des lieues de tels deals. Sollied a laissé un bel héritage : il a permis à Simons d’émarger à l’élite absolue et de signer au PSV, en 2005, contre cinq millions. En 1999, Eric Gerets avait généré le même bénéfice en transférant Eric Addo au PSV. Indépendamment de ces deux succès, le Club n’a rien gagné en ventes et il a eu de la poisse avec ses acquisitions. Il a ainsi dépensé quatre millions pour Koen Daerden, qui a disputé… 47 matches entre 2006 et 2010. Et 3,5 millions pour François Sterchele, qui a inscrit onze buts lors de l’année de ses débuts dans la Venise du Nord mais est décédé dans un dramatique accident de la route.

Un cercle vicieux

Mettez la mentalité et l’identité entre parenthèses. Le Club doit tout simplement chercher de l’argent et de la créativité. Sa chute est l’histoire du serpent qui se mord la queue. Faute d’argent, le Club perd son pouvoir d’achat sur le marché des transferts et ne peut donc enrôler assez de talents. Les transferts estivaux sont ratés, ce qui coûte des points et diminue encore la valeur du noyau, tout en mettant en péril la ligne sportive. Etc.

Heureusement, l’argent n’est pas tout, sinon le Standard n’aurait pas connu une telle chute jadis. La créativité peut résoudre maints problèmes. La créativité dans la recherche d’argent frais, dans la politique de formation, dans le scouting (cf. Gand) et dans la gestion du potentiel présent, dans la manière d’obtenir du rendement des talents (Perisic, Odjidja, Vargas). Là, on en revient à la mentalité et à l’identité.

PETER T’KINT

L’argent n’est pas tout : la créativité peut résoudre maints problèmes.

Degryse, Ceulemans, Ferrera, D’Hooghe, Devroe et tutti quanti n’y connaissent-ils rien ? Foutaises.

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