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 » Un clasico ou un topper sera toujours compliqué, tu le sais à l’avance « 

Le meilleur arbitre belge depuis cinq ans aurait pu suivre des cours de cuisine, il excuse les coaches surexcités, parle du Mur Jaune de Dortmund et évoque les figurines Panini de Frank De Bleeckere.

Centre national de Tubize, début d’après-midi, 32 degrés et un air irrespirable. Sébastien Delferière rentre d’un… jogging. Cinq Sifflets d’Or consécutifs et un rôle incontesté de numéro 1 belge de l’arbitrage, ça se mérite.  » Des collègues me disent que je suis courageux, d’autres me disent que je suis fou. Il y a probablement un peu des deux.  »

Le Sifflet d’Or est un trophée décerné par les clubs. Après chaque match de D1A, les directions des équipes concernées envoient une note à la Pro League, cotent l’arbitre du match. Au bout de la saison, on fait les comptes et on récompense le meilleur. Il faut voir les choses comme elles sont : c’est toujours le même qui gagne…

Sébastien Delferière, 35 ans, est à Tubize parce qu’il bosse pour l’ACFF, l’Association des Clubs Francophones de Football. Comme manager financier, logique pour un gradué en compta. Il a comme collègues, par exemple, Thierry Siquet, Thomas Chatelle, Daniel Boccar et Aline Zeler.  » J’étais à la fédé bien avant de devenir arbitre en D1.  » Le foot, il baigne dedans depuis qu’il était au biberon. Son père, David, a occupé diverses fonctions à hautes responsabilités à l’Union Belge. De là à croire que le fiston a toujours rêvé de tenir un sifflet et de parcourir de long en large les pelouses de nos meilleurs clubs ou le gazon de grandes équipes européennes… non !

SÉBASTIEN DELFERIÈRE : J’ai commencé l’arbitrage par hasard. Mon père organisait des stages de foot à Soignies, ça existe toujours d’ailleurs. C’était réservé aux enfants de 9 à 15 ans, et pour moi, chaque année, c’était la fête. À 15 ans, en quittant le stage, j’étais très déçu parce que je savais que c’était fini pour moi. Limite d’âge atteinte ! Mon père a réfléchi et a dit : -Je veux bien organiser pour les joueurs de 16 ans, à condition qu’ils acceptent de suivre les cours théoriques d’arbitrage pendant la durée du stage. Il était président de la commission provinciale des arbitres et il voyait ça comme une façon de susciter des vocations. S’il avait mis comme condition qu’il fallait suivre des cours de cuisine, j’aurais suivi des cours de cuisine… C’est comme ça que j’ai découvert l’arbitrage. Je me suis pris au jeu. À ce moment-là, mon objectif était d’arriver en 1re Provinciale. Parce que c’était la première série où il y avait deux assistants. Pour moi, c’était plus sympa d’arriver au stade puis de repasser à la buvette à trois. Ça me donnait l’occasion de m’amuser avec deux collègues. L’arbitrage, je l’ai toujours vu comme un pur amusement. Puis, je me suis retrouvé en Promotion, j’étais super content. Puis en D3, en D2, et en D1.

 » Ce n’est pas parce qu’on devient semi-pros qu’on ne fera plus d’erreurs  »

Il te reste une étape à franchir pour passer dans la catégorie Elites de l’UEFA et siffler par exemple des matches de poule en Ligue des Champions. C’est jouable ?

DELFERIÈRE : En théorie, oui. J’ai 35 ans, il me reste une dizaine d’années. Ce n’est pas l’objectif mais je serais preneur, évidemment. J’ai déjà sifflé quelques beaux matches en Europa League. À Dortmund, à Villarreal, à la Fiorentina, à Nicosie. J’ai fait des matches qualificatifs pour l’EURO et la Coupe du Monde. Je suis allé en Espagne, en Ukraine, en Russie. Quand tu as arbitré à Dortmund devant 60.000 personnes, quand tu as affronté le Mur Jaune, tu abordes plus facilement les gros matches du championnat de Belgique, tu gères mieux la pression.

Tu fais partie des huit arbitres belges qui deviennent semi-professionnels en juillet. Concrètement, qu’est-ce que ça va changer ?

DELFERIÈRE : Il y a trois ans, j’ai déjà choisi de travailler à temps partiel, à trois cinquièmes temps. J’investis deux jours par semaine dans la préparation des matches et la récupération. Comme sept collègues, je passe à mi-temps, ça ne changera donc pas grand-chose pour moi. Le principal changement, c’est que j’aurai sept collèges qui s’entraîneront deux fois par semaine avec moi. Ce sera plus agréable. On travaille mieux en groupe, on pourra échanger nos idées. Ce n’est pas parce qu’on devient semi-pros qu’on ne fera plus d’erreurs. Mais le niveau va augmenter, j’en suis persuadé. Je sens que mon niveau monte clairement depuis trois ans. Parce que je prends le temps de bien préparer mes matches en analysant les équipes. C’est important, par exemple, de savoir si elles jouent la zone ou l’individuelle, comment elles préparent leur reconversion, comment elles négocient les phases arrêtées. Je sélectionne des images, je fais des découpages, des montages, et je les montre ensuite à mes assistants. On diminue la marge d’erreur. Même si on ne sera jamais au risque d’erreur zéro.

 » La mission des assistants est à la limite de l’inhumain  »

Avant de réduire ton temps de travail, ça t’est arrivé de faire un moins bon match et de te dire que c’était dû à un surmenage ?

DELFERIÈRE : Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas une préparation idéale d’aller siffler un match en semaine en ayant travaillé jusqu’à 15 ou 16 heures. Pourtant, c’est encore arrivé cette saison. Se préparer de la meilleure façon possible, c’est un devoir vis-à-vis des joueurs, des entraîneurs, des dirigeants. Le semi-professionnalisme va avoir des effets positifs, j’en suis sûr. Parce qu’en plus du temps qu’on pourra investir dans l’arbitrage, on aura un encadrement plus performant et des sessions techniques beaucoup plus poussées.

Tu as choisi de travailler toujours avec les deux mêmes assistants. C’est si important ?

DELFERIÈRE : Une défense est généralement meilleure quand elle a chaque semaine la même composition, non ? On dit maintenant que j’ai été très bon pendant la deuxième moitié de la saison. Moi, je dis d’abord que mes deux assistants ont fait un deuxième tour fantastique et que ça explique beaucoup de choses. Il m’est arrivé d’être moyen, de ne pas avoir le bon feeling, mais d’être sauvé par mes assistants.

Ça veut dire que tu les suis toujours ? Tu leur fais une confiance aveugle ?

DELFERIÈRE : Deux fois, cette saison, je les ai contredits. Et j’ai eu raison de le faire, les deux fois. Mais, quelque part, c’était normal qu’ils se trompent. Parce que, voir si un joueur est en position hors-jeu, voir en même temps qui donne le ballon, et faire ça quand l’action se déroule du côté opposé, c’est à la limite de l’inhumain. Dans les deux cas en question, j’avais vu que la passe vers l’attaquant partait d’un adversaire. Parce que j’étais plus proche de la phase.

 » Compenser, c’est faire une deuxième erreur  »

Gérer en même temps le match en lui-même, la pression, le public et le trafic de voix via l’oreillette, c’est usant mentalement, non ?

DELFERIÈRE : Il y a la fatigue physique. Je tourne à une moyenne de 11 à 13 kilomètres par match, ça correspond à ce que fait un milieu de terrain. Et la fatigue mentale, qui dépend entre autres du contexte du match, de la nervosité ambiante, de la pression médiatique.

La pression médiatique ? …

DELFERIÈRE : On essaie de faire abstraction mais on sait qu’elle est là. Certaines personnes essaient de mettre une pression supplémentaire en faisant référence à des anciens matches, à des décisions bien précises qu’on a prises dans le passé. Il ne faut surtout pas tomber dans le panneau. Compenser, c’est faire une deuxième erreur. On doit se braquer sur le match qu’on est occupé à siffler et sur rien d’autre.

Et le trafic des voix dans l’oreillette ?

DELFERIÈRE : C’est une question d’automatismes. Comme quand tu commences à conduire. Tu dois penser à enfoncer la pédale d’embrayage, puis passer ta vitesse, puis ça vient tout seul. Et là encore, le travail en équipes fixes est primordial, pour une question d’automatismes. Mes assistants savent quand et comment intervenir. Les communications ne peuvent pas durer trop longtemps, il faut aller à l’essentiel, trouver les mots justes, utiliser des mots clés.

Dans un Standard – Anderlecht ou un Bruges – Anderlecht, tu entends tout ?

DELFERIÈRE : Les oreillettes ne sont pas toujours efficaces à cent pour cent. Donc, moi, je n’oublie pas les bases, je double l’aide technologique ! Je continue à utiliser le drapeau avec le bip qu’on avait il y a quinze ans. Mes assistants ont un bouton sur leur drapeau, et en cas de nécessité, ils poussent dessus et j’ai un petit appareil sur le bras qui sonne et qui vibre. Après, le body language est important. Dès que ça bippe, je les regarde et ils savent quels gestes ils doivent faire pour que je les comprenne très vite.

 » Dans le clasico qui a suivi l’affaire du fameux tifo, j’ai suivi Defour à la trace  »

Quand il y a en plus deux assistants derrière les buts, tout le monde est bien d’accord : ils ne servent à rien…

DELFERIÈRE : C’est faux. Leur travail essentiel est un travail de prévention. Ils doivent parler à l’arbitre principal quand ça devient nerveux près du but. Ça ne m’intéresse pas de siffler cinq penalties par match et d’exclure des joueurs. Je préfère qu’un arbitre additionnel me prévienne que ça devient chaud, et là, je vais parler aux joueurs concernés : -Je vous ai à l’oeil, arrêtez.

Il y a des matches pourris, sur le papier ?

DELFERIÈRE : Il y a des matches plus tendus que les autres… Tu es presque sûr à l’avance qu’un Standard – Anderlecht ou un Bruges – Anderlecht va être très difficile. Surtout si un joueur est passé d’un club vers l’ennemi. C’est important de savoir à l’avance comment ça risque de se passer et de préparer la bonne réaction à avoir. Tu te prépares à tout, et quand une situation particulière se présente, tu ne dois pas trop réfléchir, tu ouvres directement le bon tiroir. Parce que tu es prêt, parce que tu as anticipé.

Tu parles de joueurs qui passent chez l’ennemi… Justement, tu as arbitré le premier Standard – Anderlecht qui a suivi le clasico avec le fameux tifo anti-Steven Defour. C’était en début de play-offs, quelques semaines après l’incident. Tu as pris des précautions particulières ?

DELFERIÈRE : Oui, j’ai demandé à mon quatrième arbitre de surveiller s’il n’y avait pas des nouvelles banderoles contre Defour. Je serais intervenu directement. Pendant tout le match, j’ai parlé un maximum avec lui. C’est possible avec Defour parce qu’il accepte le dialogue. J’ai aussi d’essayé d’être toujours près des phases dans lesquelles il était impliqué, je voulais voir si on ne le provoquait pas. Quand il y a des situations pareilles, il faut chercher des solutions pour éviter que les joueurs concernés pètent un câble.

 » La pression brugeoise sur les arbitres est arrivée avec Preud’homme  »

La vidéo arrive enfin dans l’arbitrage : content ?

DELFERIÈRE : En 2017, ce serait dommage de s’en priver. C’est une nécessité. On ne doit pas avoir peur que ça découpe les matches, que ça casse le rythme. Parce que la vidéo se limite à quatre situations bien précises : but, penalty, exclusion, carte donnée à un mauvais joueur. Et on n’aura jamais dix situations scabreuses par match. Dans le cas d’un hors-jeu, si l’arbitre vidéo voit qu’il y a effectivement hors-jeu, c’est clair et il ne doit pas appeler l’arbitre principal pour regarder les images avec lui. L’arbitre principal ne sera appelé que pour des décisions de la zone grise, comme on dit dans le milieu. Des situations qui peuvent donner lieu à une interprétation.

Notre Commission de Review ne fait pas l’unanimité. Ton avis ?

DELFERIÈRE : Je préfère m’abstenir de commentaire.

Tu n’es pas fan…

DELFERIÈRE : Pas de commentaire.

Comment tu gères la pression que les supporters de Bruges mettent sur les arbitres ?

DELFERIÈRE : On sent que c’est un public avec des attentes très hautes. Elles se sont élevées dès que Michel Preud’homme est arrivé. C’était un entraîneur à succès, il avait eu des titres partout, donc ça paraissait logique qu’il permette à Bruges de gagner des trophées. Ça s’est transformé en ambiance, en extra ambiance, en pression sur les arbitres. Il faut pouvoir faire abstraction.

 » Bruges – Anderlecht ? Je dois faire abstraction que c’est un match à 15 millions  »

On a plusieurs entraîneurs qui sont incroyablement nerveux, à répétition. Depuis la fin de la saison, les excités risquent une amende de 5.000 euros : ça va suffire à les calmer ?

DELFERIÈRE : Je ne pense pas qu’il y ait encore eu des coaches exclus depuis que ce système est en place, j’imagine que ça les fait réfléchir.

Tu as quel genre de rapport avec eux ?

DELFERIÈRE : Je dis toujours la même chose à mon quatrième officiel. On doit essayer de comprendre les réactions des entraîneurs quand on fait une erreur. Parce qu’ils ont travaillé toute la semaine pour arriver à un résultat, et parfois, c’est un facteur qu’ils ne maîtrisent pas, un détail qui fait basculer un match. C’est compréhensible qu’ils soient énervés, frustrés. Maintenant, ils doivent aussi savoir que l’erreur est humaine, que les arbitres ne sont pas plus infaillibles que les joueurs et les entraîneurs. Les réactions exagérées, je les comprends et je les tolère, dans certaines limites. Et aussi dans un espace temps. Si ça dure dix secondes, OK pour moi. Si ça dure dix minutes, là j’ai un problème. Un moment donné, le côté purement émotionnel doit s’effacer.

Quelle tolérance !

DELFERIÈRE : Il faut bien se rendre compte aussi qu’il y a de plus en plus d’argent dans le foot. De l’argent qui fait parfois tourner certaines têtes. On a des clubs qui travaillent de façon fantastique et qui visent des résultats : le maintien, le wagon européen, le titre et tous les millions qui vont avec. Tous les clubs du top veulent être champions. Des joueurs jouent pour un transfert. C’est normal que la pression devienne énorme à partir du moment où les montants en jeu sont aussi exorbitants. Quand j’arbitre Bruges – Anderlecht cette saison en fin de play-offs, tout le monde dit que c’est un match à quinze millions. Moi, je dois faire abstraction de ça.

 » Il ne faut pas me dire chaque semaine que je suis le plus mauvais  »

Tu restes zen aussi quand Yves Vanderhaeghe te démolit après la finale de Coupe perdue contre Zulte Waregem.

DELFERIÈRE : Il rouspète parce que je donne une carte jaune à Michaël Jonckheere après trente secondes. J’ai évidemment revu les images. Que la faute de Jonckheere soit commise après trente secondes ou après nonante minutes, ça ne change rien, ça mérite la jaune. Je la redonnerais dans les mêmes circonstances. Vanderhaeghe a le droit d’avoir son interprétation, j’ai le droit d’avoir la mienne. Il a eu une réaction à chaud. Peut-être qu’à froid, il aurait dit autre chose.

Tu as déjà eu des gros clashes avec des entraîneurs ?

DELFERIÈRE : Oui. Mais pour moi, pas de souci. Des choses peuvent se dire après un match. Je dois accepter la critique. Je ne réagis que quand les propos dépassent certaines limites.

Tu fais alors un rapport ?

DELFERIÈRE : Si ça se passe pendant le match, je le mets dans mon rapport. Si c’est une discussion entre quatre-z-yeux, en rentrant au vestiaire, c’est différent. Je suis toujours ouvert au dialogue. Mais il ne faut pas non plus venir me dire chaque semaine que je suis le plus mauvais arbitre.

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

 » Quand tu as arbitré à Dortmund devant 60.000 personnes, tu abordes plus facilement les gros matches du championnat de Belgique.  » SÉBASTIEN DELFERIÈRE

 » Je continue à utiliser le drapeau avec le bip qu’on avait il y a quinze ans, je double l’aide technologique.  » SÉBASTIEN DELFERIÈRE

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