Un clan balkanique? Trop poilant!

Pierre Bilic

Les ex-Yougoslaves du club champion en crise parlent de sales rumeurs.

S’il avait joué au football à l’époque actuelle, Georges Moustaki aurait été très inspiré par certaines petites insinuations: « Avec ta gueule de métèque, de juif errant, de pâtre grec comme il te plaira de choisir ». Le compositeur préféré d’ Edith Piaf avait répondu par une chanson aux propos du papa de sa petite amie de l’époque qui crut bon se moquer et se méfier de ses origines. Le Métèque devint un des plus grands succès de la chanson française…

Qui en fera autant sous le maillot anderlechtois? Une rumeur creuse son sillon depuis que le Lokomotiv Moscou a écrasé les Mauves devant leurs supporters en Ligue des Champions. Ce soir-là, sans prendre de recul, Glen De Boeck lança devant les caméras que cette défaite s’expliquait aussi par le fait que le vestiaire n’était pas uni.

Puis, sous le manteau, d’autres affirmèrent qu’il y avait des clans selon les racines des joueurs: francophones, néerlandophones, slaves, balkaniques, africains, asiatiques, etc. On a même lu dans la presse écrite que les ex-Yougos étaient devenus les patrons du vestiaire, une espèce de « quatrième pouvoir » qui dicte le ton, parle sa langue, ralentit le rythme à l’entraînement, etc. D’aucuns craindraient même que leur influence soit encore plus nette quand Nenad Jestrovic aura retrouvé son rythme de croisière…

Milojevic: « Des alibis de bébés »

Populaire auprès des supporters et toujours constructif, Zvonko Milojevic a sa petite idée sur ces cancans: « Il en va toujours ainsi quand cela ne tourne pas rond. On cherche des boucs émissaires. Inutile d’inventer un monde à l’envers: tout part du terrain et c’est là que cela ne tourne pas très bien pour le moment. Quand on parle de complications dans le vestiaire, je dis que c’est faux. Prétendre le contraire, c’est ne pas accepter ses responsabilités sur la pelouse. Tout le monde doit se regarder dans le miroir au lieu d’accuser je ne sais qui. C’est trop facile. Les remarques s’adressent peut-être plus à ceux qui ne manient pas encore une des deux langues nationales ou du moins l’anglais. Moi, j’ai appris le néerlandais et je suis à l’écoute, je veux me perfectionner et cela se fait le mieux via les nombreux contacts avec les autres joueurs dans le vestiaire. Aleksandar Ilic parle anglais, comprend le néerlandais. Ivica Mornar et Nenad Jestrovic s’expriment couramment en français. Pavlovic parle allemand et anglais. Besnik Hasi a un formidable don des langues et son néerlandais est impeccable….

Je ne vois pas où se situe le problème. Je ne me vois pas dire bonjour à Nenad Jestrovic en anglais: ce serait quand même rigolo. C’est un collègue, comme Olivier Doll, Aruna Dindane, Filip De Wilde ou Yves Vanderhaeghe sont aussi des amis de travail. Le soir, après l’entraînement, chacun rentre chez soi et a sa vie de famille. Je ne rencontre pas plus les uns que les autres. Il y avait autant d’étrangers dans le groupe la saison passée. Cela se passait bien car l’équipe gagnait. Chercher dans une direction linguistique, c’est de la perte de temps. Ce sont des alibis pour petits bébés ».

Mornar: « Je ne marche pas là-dedans »

Si quelqu’un se bat pour le collectif, c’est bien Ivica Mornar qui, dans son style si particulier, renverse parfois des montagnes avant de servir les autres. En début de saison, il y a cette histoire de penalty que De Boeck aurait voulu tirer lui-même afin de fêter son anniversaire. Mais le grand Croate tenait à prendre ses responsabilités. Il y eut un petit malaise entre les deux hommes (De Boeck parla déjà d’égoïsme, de l’esprit collectif qui avait été à la base des succès anderlechtois, etc.) mais le problème fut vite aplani.

Le capitaine anderlechtois est souvent un des premiers à féliciter Ivica après l’un ou l’autre exploit comme ce fut le cas lors de son magnifique but à l’AS Rome.

« Je ne marche dans ce genre de polémiques », affirme Mornar. « Il y a toujours des frustrations après une défaite ou une période éprouvante. Un sportif de haut niveau ne vit que pour la victoire. Quand ça tourne mal, c’est dur. Il faut être plus fort que l’adversité. Je n’ai pas remarqué le moindre problème dans le vestiaire. Je m’y sens bien et la tension y est propre à celle des grands clubs qui ne jurent que par la victoire. Je connais ce stress depuis toujours. Je ne me triture pas les méninges: je sais que cette machine tournera bientôt à son vrai régime car la qualité est présente. Je ne jure que par le travail et je me donne à fond la caisse pour un club qui m’a fait confiance et est venu me chercher au Standard où j’étais dans une impasse.

Mais l’actualité footballistique se nourrit hélas aussi de polémiques parfois un peu floues. Les médias adorent. Quand certains en ont assez d’évoquer ce qui se passe sur le terrain, ou ne le comprennent pas, leurs analyses sont parfois très étonnantes. Il ne faut pas y accorder trop d’importance. Un sportif connaît parfaitement sa tribune: la pelouse. Le reste, ça ne m’intéresse pas du tout car je ne veux pas perdre d’influx ».

Hasi: « Le mélange est total »

Venu de Genk la saison passée avec un titre et une Coupe de Belgique en poche, Besnik Hasi a souvent baigné dans des ambiances pluriculturelles: « Je ne suis pas du tout au courant d’une éventuelle tension. Dans le cas contraire, j’en aurais parlé au conseil des joueurs dont je fais partie avec De Boeck, De Wilde, Doll, Crasson et Vanderhaeghe. Ce sont des faits trop importants. Mais il peut y avoir des soucis dans un vestiaire. A Genk, il y avait également pas mal de nationalités différentes. Et, d’après ma perception des choses, elles se complétaient sans le moindre petit problème. Souleymane Oularé ne parlait que le français. Je ne l’ai jamais vu se disputer avec personne, certainement pas avec Branko Strupar. Oularé ne s’entraînait pas tous les jours et personne n’y trouvait rien à dire car notre attaquant remplissait le portefeuille de tout le monde le week-end en marquant beaucoup de buts.

A Genk, entre deux entraînements, tous les étrangers devaient suivre des cours de langues. Je trouvais ça intéressant et très important. Le dialogue entre êtres humains est toujours source de grandes richesses. A Genk, je me suis tout de suite fixé comme ambition d’apprendre le néerlandais. Je suis du Kosovo, je parle albanais mais j’ai appris le croate à Zagreb, l’allemand à Munich 1860 et je compte me mettre bientôt au français. C’est une façon de respecter le pays qui m’a tant apporté. Genk m’a donné ma chance, je gagne ma vie en Belgique, ma famille est heureuse ici et cela n’a pas de prix. Durant la guerre du Kosovo, on m’a aidé et soutenu. J’ai vécu en Allemagne et je peux vous dire que l’ambiance à l’égard des étrangers n’y est pas aussi sereine qu’en Belgique. L’esprit démocratique qui règne chez vous est assez exceptionnel.

Les étrangers qui évoluent à Anderlecht pensent la même chose que moi. Même s’il peut toujours y avoir l’une ou l’autre frustration. Si on parle plein de langues dans un vestiaire, cela peut parfois être un peu lassant, en Belgique ou dans tout autre pays. Il faut y prendre garde car un détail peut devenir un problème quand les résultats ne répondent pas à l’attente. Tout le monde manie au moins le français, le néerlandais ou l’anglais ici. Il y a peut-être de petits efforts à faire les uns vers les autres. Certains étrangers devraient faire plus vite le premier pas vers une autre langue que la leur. Le système imposé à Genk avec un professeur de langue n’était pas mauvais. Cela avait un effet de rapprochement.

L’anglais est évidemment une langue que tout le monde comprend bien à Bruxelles. C’est facile mais on ne peut cependant pas s’en contenter. Je ne comprendrais pas qu’après avoir joué longtemps en Belgique, un étranger rentre chez lui sans parler le français ou le néerlandais. Il aurait raté la chance de découvrir une mentalité, des traditions, une façon de vivre. De là à dire dire que les joueurs venus des Balkans imposent leur loi dans le vestiaire d’Anderlecht est une stupidité. D’ailleurs, je ne crois pas qu’un seul joueur belge ait pu dire quelque chose allant dans ce sens. Ce sont des inventions venues de l’extérieur. Dans le vestiaire, j’ai mon armoire à côté de celle de Bertrand et d’autres joueurs belges: le mélange est total ».

Ilic: « De la mauvaise littérature »

Aleksandar Ilic a toujours été un joueur très ambitieux et il n’est pas venu à Anderlecht pour faire de la figuration: « Je veux donner le maximum de moi-même. Cela passe forcément par un sérieux et une implication dans le travail de tous les jours. C’est un job très dur quand on veut aller le plus loin possible. Dès lors, je n’ai pas du tout le temps de songer à autre chose qu’au foot. Je parle anglais et je comprends de mieux en mieux le flamand. Je n’ai pas le don des langues de mon ami Besnik mais je sais me faire comprendre et je l’ai déjà prouvé sur le terrain. La saison passé, quand nous avons été champions, on n’a jamais parlé de problème entre Belges et étrangers. A Bruges, quand on empocha le titre, il en fut de même. Il n’y a qu’une chose qui compte à ce niveau: gagner et le reste ne compte pas, c’est de la littérature pour hall de gare ».

Pierre Bilic

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire