Un ciel nuageux

Visite de la nouvelle équipe de Carl Hoefkens, Johan Boskamp et des Anderlechtois Kolar et Junior.

Mardi, peu après midi. Un par un, les joueurs de Stoke City pénètrent dans le stade. Le terrain d’entraînement est à un jet de pierre mais certains professionnels accomplissent le trajet en voiture. Carl Hoefkens est en compagnie de Thordur Gudjonsson, l’ancien joueur du RC Genk, qui joue depuis un an pour le club de D2 de Stoke-on-Trent, une ville sise à 65 kilomètres au sud de Manchester. Le manager de Stoke City, Johan Boskamp, est absent. Il se trouve en Belgique, pour affaires. Le soir, Stoke dispute un match amical contre Stockport County, un club de D4. Boskamp ratera ce match mais il a confié les rênes de l’équipe à son adjoint Jan de Koning (ex-Lokeren et Cercle, ancien entraîneur des jeunes de l’Ajax).

Hoefkens :  » Mon transfert a été conclu un rien trop tard pour que je participe au stage en Allemagne. Je suis donc venu directement ici, en voiture, afin de prendre un maximum de bagages. C’était une opportunité intéressante. Le stade et l’environnement me conviennent, et le football anglais m’a toujours fasciné. Les négociations ont pourtant été pénibles : Stoke City pensait que je ne coûtais que 250.000 euros mais il a finalement dû débourser deux fois plus. C’est une grosse somme pour un défenseur central « .

Pour les premières photos, il pose près du monument dédié à SirStanley Matthews, ancien joueur et président du club, qui n’a gagné qu’un seul trophée dans son histoire, la Coupe de la Ligue en 1972.  » Tout ce que je savais de Stoke City, c’est qu’il s’appuyait sur une tradition, qu’il est le deuxième club le plus ancien d’Angleterre et qu’outre Matthews, Gordon Banks a joué ici « , poursuit l’ancien joueur du Germinal Beerschot.  » Pour moi, l’essentiel était d’évoluer en Angleterre. Je suis très ambitieux. A terme, je vise la Premier League, mais je pense avoir besoin d’une étape intermédiaire. J’avais la possibilité de signer à Wigan, mais le challenge me paraissait trop risqué. Promue, cette formation va se battre chaque semaine pour son maintien et elle va vivre une saison stressante. La Premier League compte beaucoup de défenseurs réputés, auxquels j’aurais dû me mesurer. Ici, je bénéficie du soutien de la direction et du manager. Celui-ci me protègera tant que je presterai. C’est déjà un avantage « .

Hoefkens :  » Le physique était un de mes atouts en Belgique mais ici…  »

Le club l’a prévenu : il doit se livrer à 100 %.  » Y compris à l’entraînement ! Les tacles sont indescriptibles. Jeunes ou vieux, peu importe : il faut être orgueilleux. A ce rythme, en Belgique, on tiendrait trois matches mais eux en disputent 60 à cette allure. La saison passée, Stoke City a livré 67 rencontres. D’ici au Nouvel An, notre calendrier en comporte 30, soit presque un championnat de Belgique. Le physique constituait un de mes atouts au pays. Ici, je ne sais pas s’il suffira « .

Un attaquant à l’essai passe devant nous. Hoefkens observe sa robustesse.  » Ils sont tous comme ça, qu’ils soient attaquants ou défenseurs. Je ne manque pas de puissance mais ce n’est rien, comparé aux autres. MichaelDuberry a joué 100 matches pour Chelsea, GerryTaggert compte 70 sélections en Irlande. Il devrait perdre huit ou neuf kilos mais il n’en voit pas l’utilité car il est à l’automne de sa carrière. Il reste un crack, à sa façon. Tout le monde a peur de lui, quand il monte sur un coup de coin. On m’a raconté qu’au bout de trois jours, ils avaient pendu un squelette à l’armoire de BobPeeters parce qu’il était trop maigre. Il devait prendre six kilos… Gudjonsson n’a disputé que trois rencontres la saison passée. Les attaquants qui réussissent sont incroyablement rapides ou forts. Tout est permis dans les airs, on ne siffle jamais. On peut se casser le nez ou se déchirer l’arcade sourcilière. On n’effectue pas de tests de lactate comme au Germinal Beerschot. Ils disent que ce n’est pas nécessaire. On joue tellement de matches que ceux qui ne peuvent suivre s’effondrent automatiquement. Il y a un grand distributeur de bonbons dans le vestiaire. Je n’avais jamais vu cela. Je vais devoir être dur envers moi-même et surveiller mon poids. Je veux terminer le plus haut possible. J’ai 26 ans. Si j’avais attendu plus longtemps, tout serait devenu plus difficile « .

 » Je me suis remis sur les bons rails  »

Il estime avoir déjà attendu suffisamment de temps pour partir.  » Sciemment, même si j’ai regretté de n’avoir pas accepté une offre de l’Ajax ou du Celta Vigo à 18 ou 19 ans. Je me trouvais trop jeune pour pareille aventure et je voulais rester au Lierse. J’aurais sans doute dû m’en aller. Beaucoup de gens ont été surpris que je préfère Lommel à Trabzonspor mais vous voyez, finalement, tout s’arrange. J’ai gagné la Coupe de Belgique et j’ai été un élément important pour le Germinal Beerschot. L’essentiel est peut-être qu’en Belgique, tout le monde me connaît. J’ai aussi commis des fautes quand j’étais à Lommel. Après coup, j’ai éprouvé un regret sincère. Et puis, Vanessa et moi faisions la une de tas de magazines. Nous avons été dépassés par toutes les demandes. Par la suite, nous sommes volontairement restés discrets et à Anvers, je me suis remis sur les bons rails « .

Encore que… Sur le site web du club, nous lisons un glamour model sur sa femme. Le couple est ici depuis deux jours mais une équipe de VTM le suit déjà. Une chaîne locale a aussi demandé à Vanessa si elle ne souhaitait pas travailler pour elle, une fois installée.  » Vanessa a vécu un an à Los Angeles, elle a tourné des publicités et parle très bien anglais. De ce point de vue, nous n’avons aucun problème car je le maîtrise bien aussi « , précise Carl.

Le soir, nous nous rendons à Stockport County, qui évolue deux divisions en dessous de Stoke. L’équipe vient d’être rétrogradée et a été reprise par les supporters, qui ont ainsi sauvé leur club de la faillite. En première mi-temps, Stoke est la meilleure formation. Hoefkens emprunte à un journaliste la feuille mentionnant la composition d’équipe, pour apprendre les noms de ses coéquipiers.  » C’est ennuyeux de toujours devoir crier hey, you à l’entraînement « . Nous découvrons une vieille connaissance. L’excellent arrière droit de Stoke n’est autre que John Halls, qu’Arsenal avait loué à Beveren avec Graham Stack.

Bruce Dyer, qui passe un test, offre l’avantage à Stoke. Gudjonsson livre un match terne, fiché sur le flanc droit. Il prend peu d’initiatives, touche peu de ballons, à l’image de son équipe en seconde mi-temps, au point que Stockport s’impose 2-1. Le gardien Ed de Goey et Duberry hurlent de rage mais c’est clair : ce noyau ne recèle pas assez de talent.

Boskamp :  » Nous ne devons pas payer Junior et Kolar  »

Le lendemain, il n’y avait pas d’entraînement et nous attendions Johan Boskamp. Brusquement, sa voix caractéristique et son rire gras résonnent. Johan est fatigué.  » En deux ans au Moyen-Orient, je n’ai jamais travaillé aussi dur que ces trois dernières semaines « .

Boskamp a été placé devant un choix, cet été : un retour au Koweït, à Dubaï, en Géorgie ou un nouveau défi.  » Longtemps, tout semblait me ramener en Géorgie, puis Stoke City s’est manifesté « . Il a emporté le poste au détriment de RuudKrol et de FransThijssen. Il est à nouveau bourré d’ambition. Le décès de sa femme l’a miné.  » J’avais perdu toute ambition, je n’avais plus assez d’énergie pour stimuler les joueurs, pour dispenser des entraînements comme il le fallait. Le Moyen-Orient ne vous y incite d’ailleurs pas. On passe la journée sur la plage et on s’entraîne le soir. D’un coup, j’ai repris goût à la vie et au football. Stoke est idéal « . Puis, toujours direct il ajoute :  » AsgeirSigurvinsson est conseiller technique de la direction mais comme je le connais, il ne fout rien. La direction est composée de trois Islandais et de trois Anglais, mais je ne les ai pas encore vus « .

Que savait-il de Stoke ?  » Seulement ce qu’on peut en lire sur le site « , reconnaît Boskamp.  » Le club s’y est pris trop tard pour tout. Je passe ma vie à voyager comme un dingue à la recherche d’attaquants, mais le budget n’est pas illimité. Avant mon arrivée, ils ont acheté deux joueurs et épuisé une large part du budget. Le permis de travail constitue un problème ici. Les joueurs non européens doivent obligatoirement avoir disputé 75 % de leurs matches internationaux. Sinon, j’aurais immédiatement pu transférer LamineTraore et GoranLovre. Je pouvais aussi louer des joueurs de Feyenoord, dont DankoLazovic, mais ce n’était pas permis « .

Il se réjouit de l’accueil qu’il a reçu à Bruxelles.  » Anderlecht a fait preuve de classe, vraiment. Nous ne devons rien payer pour Junior et MartinKolar.. Je voulais Kolar pour mon flanc gauche. Il est rapide, peut déborder sur son aile et est capable de réaliser une bonne passe. Quand Anderlecht m’a dit que je pouvais prendre Junior aussi, j’ai été interloqué mais je comprends, maintenant : le Sporting compte déjà PärZetterberg, YvesVanderhaeghe et BesnikHasi dans ses rangs. Junior n’aura pas l’occasion de jouer avant un an. S’il peut le faire ici, Anderlecht récupérera un tout bon footballeur « .

 » J’aurais donné une claque à Zewlakow  »

C’est le walhalla mais tout ciel a ses nuages.  » Ce fanatisme des supporters anglais est fantastique, mais il faut offrir quelque chose en retour et cela m’effraie « , avoue Boskamp.  » J’ai écumé l’Irlande, la Belgique, l’Allemagne. Je me suis éreinté. J’ai passé mon temps à chercher des attaquants. J’aurais volontiers donné une claque à MarcinZewlakow. Il commence par refuser quand nous l’approchons, puis son manager me poursuit au téléphone pendant des jours en m’expliquant qu’il souhaite malgré tout venir. Puis, ils émettent des exigences invraisemblables pendant les négociations. Enfin, quand je me rends à Mouscron pour le revoir, me privant pour ça d’un beau match à Anderlecht, voilà que ce gars se comporte de façon bizarre sur le terrain. Finalement, un journaliste me téléphone pour m’annoncer que, selon le site internet de Metz, l’attaquant polonais aurait signé en Lorraine. Je pensais connaître le milieu, mais voilà que je vis cela. Mentir sur le salaire, réclamer une commission sans la moindre honte, même quand ils ne font rien… On s’est servi de nous pour obtenir davantage ailleurs… Vous me connaissez, je suis incapable de me taire. J’ai déjà fui des négociations parce que j’avais envie de foutre une raclée aux gens. Je deviens fou. J’aurais mis fin aux négociations avec Carl au bout d’une heure, vraiment. Entre-temps, le championnat reprend et nous n’avons pas assez de joueurs. Je n’ai pas le temps de dispenser moi-même les entraînements et de voir mon équipe à l’£uvre « .

A 15 heures, Boskamp rejoint le stade pour une nouvelle tournée de coups de fil. Nous visitons les vestiaires, étonnamment vétustes, avec quelques vieilles baignoires individuelles. Le bureau de Boskamp a vue sur la pelouse, tondue au millimètre pour la deuxième fois de la journée. Un voyant clignote sur le téléphone. 44 messages, affiche l’écran. Boskamp jure et soupire.  » Je ne sais même pas comment ce truc fonctionne « . Il claque la porte et va fouler la pelouse.

Peter T’Kint

 » Il y a un DISTRIBUTEUR DE BONBONS DANS LE VESTIAIRE. Je n’avais jamais vu cela  » (Carl Hoefkens)

 » Je pensais connaître le milieu mais JE ME TROMPAIS  »

(Johan Boskamp)

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